Sciences20.11.2019
Des chercheurs fribourgeois ont identifié les neurones à l’origine des mouvements rapides des yeux (REM)
Mais pourquoi bouge-t-on rapidement les yeux durant le sommeil paradoxal, cette phase du sommeil où se déroule la majorité des rêves? Le mystère n’est pas encore percé, mais on s’en approche: l’équipe du Docteur Franck Girard et du Professeur Marco Celio de l’Université de Fribourg, en collaboration avec l’Université de Berne, a identifié les cellules nerveuses qui pourraient être à l’origine de ce curieux phénomène.
R.E.M, rapid eye movement, n’est pas que le nom d’un groupe pop américain à succès, c’est aussi, et surtout, un mouvement oculaire rapide caractéristique du sommeil paradoxal, celui où les rêves sont les plus nombreux. Cette phase du sommeil présente une spécificité: tandis que le tonus musculaire de la personne endormie disparaît totalement, ses yeux se mettent à bouger soudainement. D’où ce nom bien mérité de «sommeil paradoxal» qui se caractérise par des signes de sommeil profond (atonie musculaire) accompagnés d’une activité cérébrale proche de l’état de veille et de mouvements des yeux. Identifiée dans les années 50 par des chercheurs français et américains, cette phase du sommeil a donc, en toute logique, été baptisée Rapid Eye Movement – sleep (REM-sleep), autrement dit sommeil avec mouvements rapides des yeux. A quoi peut bien servir ce phénomène étrange? Depuis 70 ans, les scientifiques rêvent de percer ce mystère. Grâce à une fructueuse collaboration entre les Universités de Fribourg et de Berne, leur rêve pourrait bien devenir réalité.
Des neurones disposés en ailes de papillon
Cela fait plusieurs années que l’équipe de Franck Girard et de Marco Celio de l’Université de Fribourg étudient de près des neurones présents dans le tronc cérébral et formant une structure baptisée Nucleus papilio, du fait de leur disposition en forme d’ailes de papillon. «Ces neurones sont connectés à plusieurs centres nerveux, notamment à ceux en charge du mouvement des yeux et à ceux impliqués dans le contrôle du sommeil, explique Franck Girard, d’où la supposition suivante: et si ces neurones du Nucleus papilio jouaient un rôle dans le contrôle du mouvement des yeux pendant le sommeil?»
L’union fait la force
Pour tester cette hypothèse, les chercheurs fribourgeois se sont tournés vers le groupe de la Docteure Carolina Gutiérrez et du Professeur Antoine Adamantidis de l’Université de Berne, des spécialistes de l’étude du sommeil chez la souris. «A notre grand étonnement, nous avons découvert que ces neurones étaient particulièrement actifs pendant la phase de sommeil paradoxal», constate le Professeur A. Adamantidis. Resserrant encore l’étau autour des neurones du Nucleus papilio, les chercheurs bernois ont pu démontrer par des méthodes optogénétiques (une technique combinant l’optique et la génétique) que leur activation artificielle provoquait le mouvement rapide des yeux, spécifiquement durant cette phase du sommeil. A l’inverse, l’inhibition ou l’élimination de ces mêmes neurones bloque le mouvement des yeux.
Après le «comment», le «pourquoi»!
On sait désormais de manière claire que les neurones du Nucleus papilio jouent un rôle prépondérant dans le mouvement des yeux pendant le sommeil REM. Il reste à trouver la fonction de ce phénomène: découle-t-il de l’expérience visuelle des rêves? Joue-t-il un rôle dans la préservation de la mémoire?
«Le fait d’être capable d’activer chez la souris le Nucleus papilio spécifiquement, sur demande, par des méthodes optogéniques, permettra peut-être d’y répondre», se réjouit Marco Celio, mais la prochaine étape sera de confirmer l’activation des neurones du Nucleus papilio pendant le sommeil REM chez l’être humain». A défaut d’avoir trouvé la clé des songes, les chercheurs s’en sont sérieusement rapprochés.
Troubles du sommeil
Cette meilleure connaissance des circuits du Nucleus papilio permettra également de mieux comprendre certaines pathologies, telle que la cataplexie, qui se caractérise par une soudaine atonie musculaire, comme dans le sommeil paradoxal, mais chez une personne en état de veille. Celle-ci, bien que consciente, s’affale soudainement, les muscles de son visage se relâchent brusquement et elle n’est plus capable de parler.
«Il n’est pas exclu que des dysfonctionnements dans l’activité des neurones du Nucleus papilio contribuent à provoquer la cataplexie», explique le Docteur Franck Girard. Ces neurones pourraient d’ailleurs être à l’origine d’une autre pathologie, tout aussi problématique, qui se traduit par une absence d’atonie musculaire durant le sommeil paradoxal: le corps n’étant pas «déconnecté», le dormeur s’agite, parfois violemment, et émet des sons. Le plus inquiétant, c’est que ces troubles du sommeil paradoxal peuvent, dans 80% des cas, être les signes avant-coureurs de maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson. «Mieux connaître les circuits neuronaux impliqués dans le sommeil paradoxal est donc la condition préalable à la compréhension de leur vulnérabilité à la dégénérescence», conclut le Professeur Marco Celio.