Géologie28.08.2024

Non, il n'y aura pas de sixième océan!


Petit séisme chez les géologues: contrairement à ce qui était admis par la communauté scientifique, la région de l’Afar central, en Ethiopie, ne deviendra probablement jamais un océan profond. C’est la conclusion à laquelle a abouti deux géologues de l’Université de Fribourg, en collaboration avec une équipe internationale. Publiée dans la revue Geology, leur recherche permet de mieux comprendre la formation des plateaux océaniques.

Anneleen Foubert et Valentin Rime du Département des géosciences de l’Université de Fribourg, connaissent l’Afar comme leur poche, eux qui sillonnent cette zone aride depuis des années. Connu surtout pour ses fossiles – les paléontologues y ont découvert Lucy – l’Afar représente un véritable paradis pour les géologues. Ces derniers peuvent y observer des processus géologiques fondamentaux pour ainsi dire à ciel ouvert. L’Afar est considéré comme l’archétype de la séparation des plaques continentales. «C’est l’endroit même où les plaques africaine et arabique se séparent. On voit très bien cette déchirure quand on regarde une carte de la Mer Rouge et du Golf d’Aden», précise Valentin Rime. Jusqu’à présent, les scientifiques pensaient que ce mouvement de déchirure (rifting) avait conduit à un amincissement progressif de la croûte terrestre, à l’instar d’une pâte à gâteau que l’on étirerait. Il était même admis que ce processus représentait le stade initial de la formation d’un océan. Or, de nouvelles données concernant la structure et la genèse de ce rift ébranlent cette théorie. «Nous avons réalisé que la croûte terrestre y était beaucoup plus épaisse que dans tout le reste de la Mer Rouge et du Golf d’Aden et qu’elle était encore loin d’être assez fine pour former un océan, explique Valentin Rime. Ça nous a intrigué et nous avons cherché une hypothèse alternative.» C’est ainsi que les deux géologues de l’Unifr ont décidé de porter leur attention vers les plateaux océaniques alors que ce n’était a priori pas du tout leur sujet d’étude.

Des zones cruciales pour l’évolution de notre planète
Etudiés uniquement depuis les années 1970, les plateaux océaniques sont de vastes régions qui occupent près de 3% de la surface de la terre. Constitués d’une croûte épaisse, ces plateaux se situent à des profondeurs bien moindres que le plancher océanique environnant. «On le voit bien avec l’Islande qui est situé sur l’un des plateaux océaniques les plus connus et qui forme une île alors que le reste de l’Atlantique se trouve à plusieurs kilomètres de profondeur» explique Valentin Rime. Ils jouent un rôle fondamental pour les courant marins et la dispersion des espèces. «L’Islande a par exemple formé un pont entre l’Europe et l’Amérique jusqu’il y a environ 40 millions d’années. C’est ce qui a permis à plusieurs espèces de passer d’un continent à l’autre alors que l’Atlantique était déjà ouvert» explique Anneleen Foubert, Professeure au Département des géosciences. Pour toutes ces raisons, les chercheurs fribourgeois ont jugé pertinent de comparer l’Afar Central avec la région de l’Islande, zone qui de surcroît a le mérite d’être bien étudiée.

Pour étayer leur hypothèse, les deux chercheurs fribourgeois ont bénéficié de l’appui de leurs collègues de l’Université de Florence (IT), de Southampton (UK), de Derby (UK) et de l’Université de Wayne (USA). «Tout comme dans l’Afar, le plateau océanique de l’Atlantique Nord est une région dont l’origine est liée à l’écartement des plaques tectoniques, explique Anneleen Foubert, on sait toutefois que des remontées massives de magma (hotspot) depuis l’intérieur de la terre y ont rendu la croûte terrestre très épaisse, dépassant par endroit les 30km. »

Pas de nouvel océan
A l’instar de la région de l’Islande et d’autres plateaux océaniques, la formation de l’Afar centrale est elle aussi modelée par ces remontées massives de lave survenues il y a environ 30 millions d’années. «Ici aussi, la croûte terrestre dépasse les 25 km d’épaisseur. L’apport magmatique précoce, volumineux et durable y a empêché l’amincissement de la croûte terrestre malgré son étirement, ce qui rend la formation d’un océan improbable», conclut Valentin Rime. L’Afar représenterait donc plutôt le stade précoce de l’évolution d’un plateau océanique, tel que la région de l’Islande. «Et cette différence a probablement eu une influence sur l’espèce humaine puisque nos ancêtres ont vraisemblablement utilisé cette région presque entièrement émergée pour migrer hors d’Afrique durant la période du Quaternaire» glisse Anneleen Foubert.

Publiée dans la revue Geology, cette étude constitue également un modèle permettant de mieux comprendre la genèse des plateaux océaniques. «Cette découverte fournit des informations déterminantes sur les processus géologiques impliqués dans la création de ces vastes structures sous-marines», conclut Anneleen Foubert, Professeure au Département des géosciences de l’Université de Fribourg.

Central Afar: An analogue for oceanic plateau development, in: Geology. 2024 DOI: https://doi.org/10.1130/G52330.1