Ce que dit l’évolution de l’identité cardinalice sur un siècle de crises pour l’Eglise d’Occident

Ce que dit l’évolution de l’identité cardinalice sur un siècle de crises pour l’Eglise d’Occident

La thèse d’Antony Roch, consacrée à la construction des représentations théoriques du cardinalat du Moyen Age tardif à l’orée de la Réforme, a obtenu le prix Vigener 2022 de la Faculté des lettres de l’Unifr. C’est la reconnaissance d’un travail de longue haleine, primé pour son approche novatrice. Rencontre avec l’auteur.

Les crises et les transformations socioculturelles du Quattrocento n’ont pas épargné l’Eglise d’Occident. Dans ce contexte chahuté, la place et les modes de représentation des cardinaux sont reconsidérés. «Les éléments mis à jour sur la construction et les mutations de l’identité cardinalice idéale correspondent parfaitement au phénomène transitionnel associé à ce siècle», relève Antony Roch, dans les conclusions de sa thèse.

Si cette thématique passionne autant l’historien, c’est que la papauté a joué un rôle essentiel dans le monde occidental durant le Moyen Age. «Elle était la clé de voute de la civilisation chrétienne occidentale», souligne le chercheur. A cette époque, l’Europe et la Méditerranée ne forment plus une unité comme au temps de Romains, mais un monde multipolaire. Le pape se donne un rôle de figure impériale. «Il se voit en réunificateur et en successeur des empereurs.» Le Collège des cardinaux, organe d’élection du pape, prend alors de l’importance.

Durant les XIVe et XVe siècles, l’Eglise traverse une crise profonde qui mène au Grand Schisme d’Occident. Les divergences sont telles que la chrétienté comptera simultanément jusqu’à trois souverains pontifes. «Cette période se révèle très intense. Tout évolue très vite. La pensée humaniste apparaît. Le monde entre dans la première Renaissance. On assiste à des bouleversements politiques et religieux.» Les modes de représentation du monde et de l’humain changent.

Du collège à l’individu
«Les cardinaux traversent une crise identitaire. L’observer permet de mieux comprendre les transformations de l’institution elle-même.» Parmi les changements principaux, l’historien explique qu’une vision collective a longtemps guidé le Sacré-Collège: «Les cardinaux se voyaient comme des sénateurs, des successeurs des apôtres et des prêtres lévites. Une identité forte définissait l’ensemble. Or, dès le XVe siècle, des individualités sont mises en lumière.» Des indices apparaissent dans les textes ecclésiologiques aussi bien que dans les représentations artistiques.

«Dès le milieu du XIVe siècle, Saint Jérôme devient une figure emblématique du cardinalat, sorte de cardinal idéal, alors que rien ne prouve que cet homme, prêtre à Rome, a bien occupé une fonction qui n’existait de fait pas encore.» Sur ce modèle sont définies les qualités indispensables au cardinal: théologien éclairé, érudit, d’influence humaniste, «Un peu plus tard, apparaît aussi la figure du cardinal-prince, mécène, patron des humanistes et des arts. Plusieurs cardinaux de cette époque appartiennent en effet à des familles princières.»

Une institution médiévale qui perdure
Dans les recherches menées en vue de sa thèse, Antony Roch a choisi une approche novatrice: «J’ai travaillé sur l’évolution des représentations durant une période donnée, en rassemblant toutes les façons de percevoir le cardinalat. J’ai cherché une vision holistique de la construction de cette représentation qui donne aussi une tendance de celle de la crise que rencontre l’Eglise à cette époque.»

Y a-t-il des parallèles à tirer entre cette crise et celle que traverse l’Eglise aujourd’hui? «On voit quelques éléments apparaître en lien avec les projets (non aboutis) d’internationalisation du collège des cardinaux et du respect des proportions géographiques. Un sujet qui ne reviendra pas avant le XXe siècle. Quant aux représentations elles-mêmes, elles ne diraient plus grand-chose aux cardinaux d’aujourd’hui. N’empêche que certaines mentions ont perduré jusqu’en 1917… Depuis, l’institution a encore beaucoup évolué. Mais elle existe encore, ce qui est rare pour une institution médiévale.»

D’aussi loin qu’il s’en rappelle, Antony Roch a toujours été intéressé par l’histoire. L’attrait particulier pour le Moyen Age, lui, est venu durant son cursus universitaire. «Beaucoup de stéréotypes et d’idées reçues perdurent sur cette époque, la faisant passer pour sombre et peu intéressante. Alors que, au contraire, le Moyen Age est le laboratoire du monde moderne, qu’il a vu éclore les idées et les techniques et que les sources sont encore très présentes autour de nous.»

Après son bachelor, Antony Roch réalise un travail de master sous la houlette du Professeur Hans-Joachim Schmidt, récemment parti à la retraite. «Le sujet était déjà lié aux cardinaux durant la première moitié du XVe siècle. C’était un peu comme si j’avais soulevé le tapis, j’ai eu envie de poursuivre cette étude.» Le master, terminé en 2015, s’est donc poursuivi par un doctorat, obtenu durant l’été 2021. Antony Roch travaille actuellement comme assistant docteur auprès du Département d’histoire.

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  • Le Prix Vigener a été institué en 1908, à la suite d’un don réalisé par Joseph Vigener. Il récompense des travaux de doctorat se distinguant par leur excellence. Les facultés de l’Université de Fribourg remettent ces prix à l’occasion du Dies academicus.
  • Page d’Antony Roch
  • Légende de l’illustration de une: Durant la période étudiée, les cardinaux arborent non seulement la couleur rouge, mais aussi le bleu, couleur princière, mariale et morale, suscitant contradictions et discussions. BL Add MS 23923: Bonifacius PP. VIII, Decretalium liber sextus, cum apparatu Johannis Andreæ Bononiensis, fin XIVe siècle – f. 1r (Londres, British Library)

Author

Sophie Roulin a d’abord exercé sa plume dans les rubriques régionale et magazine du journal La Gruyère, avant de reprendre sa liberté et de devenir indépendante. Ce choix lui permet d’élargir encore son horizon professionnel et de remettre davantage de sciences dans les thématiques abordées. Avant de se tourner vers le journalisme, elle a étudié les géosciences à l’Université de Fribourg.

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