Quand la bibliothèque joue les cupidons

Quand la bibliothèque joue les cupidons

Permettre aux célibataires de se rencontrer autour de Casanova, Georges Sand ou Rousseau? La Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) de Fribourg a tenté l’expérience, le 11 février, avec une visite guidée spéciale de son exposition « Fribourg vue par les écrivains ».  Une trentaine de cœurs à prendre ont répondu à l’appel.

Il a le sourire un brin gêné, la réponse vague, polie. «Je suis là pour la culture», raconte ce jeune homme de 21 ans. Apprenti informaticien vivant à Lausanne, il fait partie de la petite trentaine de curieux réunie ce soir-là, à trois jours de la Saint-Valentin, dans l’aile exposition de la BCU. Comme la plupart des hommes et des femmes présents, il est célibataire. «J’ai vu l’annonce sur Internet, et comme j’ai pas mal d’heures a récupérer au travail…», justifie-t-il sans se départir de son charme nonchalant.

De la culture à l’amour

Favoriser les rencontres par la littérature, c’était le but de la BCU. Une première pour elle. «Nous avions déjà proposé des rencontres de speed-bookings et des lectures de textes pour la Saint-Valentin, mais jamais de soirée spécifiquement dédiée aux célibataires», explique Silvia Zehnder-Jörg, cheffe de secteur des Collections fribourgeoises et activités culturelles. Pour cette dernière idée, elle s’est inspirée du Musée des beaux-arts de la Chaux-de-Fonds, qui met régulièrement sur pied de telles soirées spéciales.

Cette visite a pris pour cadre l’exposition temporaire de la BCU, « Fribourg, vu par les écrivains», visible jusqu’au 27 février prochain. Concept de la soirée? Une promenade littéraire balisée par des lectures d’écrivains du XVIIIe au XXe siècle, suivie d’un apéritif. Les morceaux choisis étaient tous tirés de l’ouvrage d’anthologie publié parallèlement à l’exposition. Sous la plume de Jean-Jacques Rousseau, Etienne Pivert de Senancour, Hilaire-Léon Sazerac, Pier Paolo Pasolini, il y est question du Canton de Fribourg, mais aussi de l’amour, des femmes.

Pour Jean-Jacques Rousseau, Fribourg est «une petite ville peu jolie, mais peuplée de très bonnes gens». Extrait audio des lectures de la soirée.

Ainsi, le Fribourgeois Alexis Peiry évoque dans ses mémoires, publiées en 1968, son premier amour pour Madeleine, fille de gardes-génisses gruériens. Une bien belle histoire que n’aura pas vécue le Français Désiré Raoul-Rochette, traversant la région en 1820. Alors conservateur du Cabinet des Médailles et des Antiques à la Bibliothèque nationale de Paris, l’archéologue dresse un portrait peu flatteur des Fribourgeoises de l’époque, qui n’offrent, écrit-il, «rien de très remarquable, si ce n’est pourtant leur laideur».

Fribourg et ses Fribourgeoises

Responsable des fonds iconographiques de la BCU et auteur des caricatures jalonnant l’exposition et le livre qui lui est consacré, Claudio Fedrigo a préparé cette visite aux côtés de Silvia Zehnder-Jörg et de Michel Dousse, commissaire de l’exposition et auteur de l’anthologie. «En cherchant des textes, j’ai été surpris de voir à quel point les écrivains évoquaient les femmes lors de leur passage à Fribourg. L’élément féminin faisait partie du voyage», explique-t-il.

Désiré Raoul-Rochette n’est pas tendre avec les Fribourgeoises, mais ce passage a le mérite de faire rire les auditeurs célibataires de la BCU. Extrait audio des lectures de la soirée.

A l’heure de l’apéro, les contacts se nouent. Certains sont venus en groupe. «Je suis ici par le biais d’une amie, elle aussi célibataire», raconte ce Gruérien de 35 ans, divorcé depuis quelque temps. Veston, crâne rasé, l’homme s’est mis sur son «31». «L’idée est surtout de faire autre chose de mes soirées, de croiser du monde. Je ne cherche pas spécialement à trouver quelqu’un. Les choses se passent ou non.» Il trouve la soirée sympathique. «Non seulement la démarche est intéressante par son côté culturel, mais elle est aussi plus sociale que les rencontres sur internet.»

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Image: Pierre Koestinger, Unicom

Si la moyenne d’âge tourne autour de la trentaine, le public compte tout de même quelques personnes plus âgées. C’est le cas de cette Fribourgeoise de 65 ans qui va droit au but: «Je ne suis pas une spécialiste en littérature. Je suis là pour faire des rencontres.» La présence de quelques seniors dans la salle semble la rassurer sur ses chances. «A partir d’un certain âge, il devient parfois difficile de trouver des gens intéressants. Beaucoup n’osent pas venir, souligne-t-elle. Ça m’a d’ailleurs aussi traversé l’esprit. Je me suis dit que fréquenter de telles soirées n’était plus de mon âge.»

Et plus si affinités…

Autre senior présent, ce Lausannois de 74 ans semble avoir trouvé chaussure à son pied. «Avec Madame, on s’est rencontré sur le site de rencontres Swissfriends. On est allé manger ensemble au restaurant et puis elle m’a proposé de l’accompagner pour cette soirée à Fribourg. Je ne sais pas si notre histoire durera, mais au moins, cette sortie permet de nous changer les idées.»

Alors que les curieux quittent progressivement la BCU, l’expérience a été positive pour Silvia Zehnder-Jörg. Selon elle, la culture favorise les contacts. «Les gens se retrouvent autour d’intérêts communs. Les institutions culturelles restent souvent trop rarement conscientes de ce potentiel.» Une telle soirée pourrait-elle être reconduite à la BCU? «Si le thème des prochaines expositions s’y prête, comme cette année, pourquoi pas?», répond-elle.

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L’exposition «Fribourg vue par les écrivains» se tient à la BCU jusqu’au 27 février 2016.

Retrouvez également tout le programme culturel de la BCU sous: http://www2.fr.ch/bcuf/Dynamic.aspx?c=1318

 

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Pierre Koestinger est journaliste indépendant.

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