«Il faut aimer la langue et la vie, quoi qu’elles deviennent!»

«Il faut aimer la langue et la vie, quoi qu’elles deviennent!»

A sa très grande surprise, Alizée Veron a remporté le concours littéraire 2024 de l’Université de Fribourg. Passionnée par les mots et le fonctionnement de la langue française, elle a participé au concours avec l’unique objectif de faire rire le jury. Pourtant, si l’on y prête garde, son texte recèle une profondeur et une gravité insoupçonnées.

(Spoiler alert: Si vous ne souhaitez pas que cette interview ne « divulgâche » le récit d’Alizée Veron, nous vous proposons de d’abord lire son œuvre que vous trouverez en bas de page)

Pour quelle raison avez-vous décidé de participer au Prix littéraire de l’Unifr?
Avec quelques ami·e·s de la Fachschaft de français, nous avons eu vent de ce concours et nous nous sommes dit que cela serait chouette de tenter l’expérience. J’y suis allée en mode «yolo», sans trop me prendre au sérieux.

Ecrivez-vous régulièrement?
Pas beaucoup, plutôt de manière ponctuelle et avec des ambitions modestes. Il peut se passer plusieurs années sans que je n’écrive une seule ligne. J’écris le plus souvent de la poésie sur la vie ou sur des pensées qui me viennent. Je trouve que ce genre littéraire convient aux «petites choses». Il m’arrive aussi d’écrire des histoires fantastiques.

Qui sont vos modèles en littérature?
J’aurais envie de citer beaucoup d’écrivain·e·s. J’en aime tellement. Je pourrais citer Daniel Pennac, qui n’est pas qu’un écrivain, mais aussi un enseignant, profession à laquelle je me destine. J’apprécie aussi Erik Orsenna, notamment son livre «La grammaire est une chanson douce», car il se livre à des jeux sur la langue.

Et quand l’envie vous prend, écrire est-il un calvaire ou l’inspiration jaillit-elle littéralement de votre plume?
En général, cela vient assez fluidement. Quand on écrit pour soi, on se censure moins et on rencontre donc moins de blocages. Pour ce concours, étant partie la fleur au fusil, cela s’est avéré plutôt aisé. Certaines personnes ont déjà leur texte en tête avant de le coucher sur le papier. Je ne fonctionne pas ainsi. Chez moi, les idées apparaissent au fur et à mesure de l’écriture.

Pourquoi avoir choisi d’aborder le thème des verbes et la langue française?
A ma grande surprise, le concours n’imposait aucune contrainte! Après réflexion, j’ai décidé de me ressaisir d’un vieux projet né lors d’un atelier créatif alors que j’étais gymnasienne. A l’époque, nous inspirant de l’OuLiPo, nous devions rédiger un texte en nous passant d’une lettre prédéfinie. Ayant mal compris la consigne, j’avais procédé en enlevant non pas une lettre mais un mot, en l’occurrence le verbe avoir! A cette erreur initiale, j’ai greffé la thématique de l’évolution de la langue française, sujet que nous évoquons souvent en cours et dans l’actualité.

Et en quoi cette évolution de la langue vous intéresse-t-elle?
La langue, c’est notre moyen de communication, notre identité, notre culture. Pourquoi dit-on que le français se perd, pourquoi dit-on que les jeunes ne savent plus parler? Ces questions me passionnent et n’ont rien d’anecdotique. Cela rejoint des questionnements plus personnels, plus identitaires, en particulier la manière d’aborder la maladie mentale. Tous ces aspects se sont mélangés et cela a donné cette espèce de texte expérimental.

Il y a des didascalies qui laissent penser qu’il s’agit d’un texte destiné à être joué.
Il s’agit en effet d’une mini pièce de théâtre mais je ne sais pas si ce serait possible de la jouer.. Il y a des jeux de mots et des rébus qu’on ne peut pas facilement rendre à l’oral. Je brise également souvent le quatrième mur. Si quelqu’un a envie de le mettre en scène, je serais très curieuse de connaître le résultat.

Prenez-vous position sur cette évolution inéluctable de la langue?
J’adopte le regard de la linguiste, ce que mon texte trahit d’ailleurs. Nous observons le fonctionnement de la langue de manière non prescriptive, hors de tout jugement. Alors qu’au quotidien nous avons parfois une image figée de ce qu’est la beauté d’une langue, comme une photo, un paroxysme, un âge d’or. Pour moi, la beauté de la langue repose sur son histoire, son évolution. Cela dit, j’insiste: ce texte ne parle pas que de la langue française, mais aussi de nous en tant qu’individus. Je jette un regard croisé bienveillant sur la langue, avec l’acceptation de son inéluctable évolution, mais aussi sur notre évolution en tant qu’individu.

Que voulez-vous dire exactement?
Nous devons accepter que, tout comme la langue française, nous évoluions, nous ainsi que nos proches. Je songe en particulier à certaines maladies mentales qui peuvent survenir dans notre existence, dans mon cas l’anorexie, qui était peut-être un rejet du changement, la peur de grandir. Il faut accepter de ne pas savoir ce qui va advenir, ne pas craindre de changer. Il faut aimer la langue, mais aussi la vie, quoi qu’elles deviennent! Tout change, rien n’est immuable et c’est cela qui est beau.

Mais ce message, dans votre texte, apparaît de manière assez subliminale.
Ce n’était pas l’objectif au moment d’entreprendre la rédaction de ce texte, mais c’est apparu en cours d’écriture. J’y fais d’ailleurs allusion quand je compare la langue française à une adolescente en crise. J’ai vécu un épisode très difficile de dépression en cours d’adolescence. Je ne pourrai jamais l’oublier même si ça va très bien aujourd’hui. Ce n’était pas prévu et je me suis même demandé, une fois le texte écrit, si j’allais le soumettre au jury. Puis j’y suis allée à l’instinct: Yolo!

Et quelle a été votre réaction quand vous avez su que vous aviez remporté le prix?
Je n’y ai pas cru et j’ai même songé à une erreur. Ce n’était pas véritablement un texte que je considère comme abouti. Je dois avouer que j’ai ressenti le syndrome de l’imposteur. Je me suis même demandé s’il n’y avait que peu de participant·e·s! Au fond de moi, cela dit, j’en suis très fière. Il y a tout de même un jury qui lit les textes, puis qui rend son verdict, ce qui signifie que ce que j’ai écrit a plu et su toucher des gens!

Qu’est-ce que ce prix changera?
Ça me motive à me replonger dans l’écriture. J’ai retrouvé du plaisir à prendre la plume.

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Author

The long and winding road! Après un détour par l'archéologie, l'alpage, l'enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l'été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

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