«Une vérité qui dérange»

«Une vérité qui dérange»

Même dans le domaine des sciences dures, détromper ses confrères ne va pas sans mal. Des physiciens fribourgeois viennent d’en faire l’expérience, eux qui ont démontré que le réseau cristallin du TiSe2, un matériau de synthèse prometteur dans le domaine de l’électronique, garde sa symétrie à basse température. Même si cette découverte ne vous empêchera pas de dormir, elle a fait son effet dans le landernau scientifique.

Accrochez-vous à votre ordinateur et préparez-vous à être déçu! Contrairement à votre plus intime conviction, et à celle de la communauté scientifique, le Titanium disélénide (TiSe2) n’est pas le matériau de synthèse que vous croyez. Il y a tromperie sur la marchandise! A basse température, sa structure cristalline reste symétrique – ou achiral pour utiliser le jargon des physiciens. Tout le contraire de ce qu’affirmait une étude japonaise publiée quelques années auparavant. Un détail? Que nenni! Lisez plutôt!

A la recherche d’une nouvelle électronique
De nos jours, les matériaux de synthèse suscitent un intérêt immense. Soumis à des températures glaciales, de celles que vous ne trouverez pas dans votre congélateur puisqu’elles avoisinent les -270°C, ces matériaux deviennent supraconducteurs. Autrement dit, ils conduisent le courant électrique sans aucune résistance… et donc sans dissipation d’énergie. Cette propriété fait rêver: elle laisse entrevoir la possibilité de dépasser les limites de l’électronique que l’on connaît aujourd’hui. Le TiSe2, matériau synthétisé depuis la fin des années soixante, est intéressant à cet égard: «Il y a des choses bizarres qui se passent à basse température, explique le Professeur Philipp Aebi, ses propriétés se modifient. Dans notre domaine, c’est très, très chaud!» Et, en 2010, le sujet devient même brûlant. Cette année-là, des chercheurs japonais affirment que le TiSe2 devient chiral (voir encadré) à basse température. Ce qui semble être un pur débat de spécialistes revêt pourtant une importance capitale pour la recherche fondamentale et pour les applications futures. De la structure, symétrique ou non, des matériaux de synthèse dépendent leurs propriétés physiques, telles que leur capacité à conduire le courant électrique, leur réactivité chimique ou encore leur comportement lorsqu’ils sont exposés à une source de lumière.

Baptiste  Hildebrand étudie l'image produite par le microscope à effet tunnel
Baptiste Hildebrand
Dans le microscope à effet tunnel règne un vide sidéral
Thomas Jaouen assistant docteur au Département de physique
L'image qui a permis de démontrer la non chiralité
Philipp Aebi et son équipe
Le microscope à effet tunnel du Département de physique
Quand le microscope fonctionne, le calme est de rigueur

 

 

To be chiral or not to be?
Face à cette découverte, l’équipe du Professeur Aebi reste dubitative, façon Saint-Thomas: «Cela fait dix-huit ans que nous travaillons sur le TiSe2 et nous n’avions jamais observé cette chiralité. Pour nous, son réseau cristallin était symétrique.» Mais le fait de ne pas observer un phénomène ne signifie pas nécessairement qu’il n’existe pas: «On sentait qu’il y avait quelque chose de branlant, renchérit Baptiste Hildebrand, mais nous ne pouvions pas le démontrer car cela se passe à une échelle si infime que nous n’avions pas les moyens techniques de l’observer.» Au niveau international, l’étude nippone fait grand bruit et suscite de grands espoirs. L’équipe du Professeur Aebi y pense puis oublie, accaparée par d’autres projets… mais, en physique comme dans la vie, ce que l’on glisse sous le tapis rejaillit inévitablement au moment où on l’attend le moins.

Les vertus de la sérendipité
Baptiste Hildebrand et son collègue Thomas Jaouen poursuivent leurs recherches sur le TiSe2. Pour en identifier les défauts, ils en placent des échantillons dans un microscope à effet tunnel, un appareil qui ressemble aux fruits des amours d’une soucoupe volante avec un poulpe chromé. A l’intérieur y règne un vide sidéral et un froid quasi absolu de près de 4,5 Kelvin, environ -270 degrés Celsius. Grâce à ce microscope, en 2017, les deux physiciens repèrent des défauts inédits de forme triangulaire dans le matériau. Ô surprise, ceux-ci apparaissent de manière symétrique. «On s’est dit qu’on pourrait utiliser ce défaut atomique judicieusement placé dans le réseau cristallin pour montrer que le TiSe2 n’est pas chiral». Aussitôt dit, aussitôt fait! Les résultats sont sans équivoque et apportent la preuve que le modèle proposé en 2010 ne tient pas la route. Une découverte quasi involontaire mais qui n’a rien de fortuite. «Dans la recherche, les choses que l’on trouve dépendent des yeux de celui qui fait l’expérience. Baptiste avait les bons yeux!», conclut Philipp Aebi.

Et alors?
Au-delà de la recherche fondamentale, on peut se demander si cette découverte sonne le glas des espoirs que les chercheurs plaçaient dans le TiSe2. Philipp Aebi hausse les épaules: «Peut-être, au niveau de l’électronique de spin, mais notre étude améliore tout de même nos connaissances en matière de supraconductivité.» La nouvelle n’en secoue pas moins le microcosme de la physique des solides. «Toutes les discussions portent sur un paragraphe, celui qui concerne la chiralité, alors que l’article compte cinq pages!», s’étonne à moitié Baptiste Hildebrand. «Dans la communauté scientifique, beaucoup sont soulagés. Pour d’autres, on passe pour des rabat-joie».

La chiralité, kézako?
Le terme semble barbare mais à y regarder de plus près, le concept ne nous est pas complètement inconnu. Il suffit de penser à «chiro-mancie», «chiro-practie», dont le préfixe fait référence à la main. Idem pour chiralité: «C’est une importante propriété d’asymétrie que nous pouvons facilement expérimenter à chaque fois que nous regardons nos mains, explique Baptiste Hildebrand. Notre main est chirale car elle n’est pas superposable à son image renvoyée par un miroir. Elle ne présente aucune symétrie intrinsèque.» En chimie et en physique, cette notion est importante car elle influence les propriétés des molécules.
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The long and winding road! Après un détour par l'archéologie, l'alpage, l'enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l'été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

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