En 1668, le Fribourgeois François-Pierre von der Weid établit la première carte imprimée du Canton de Fribourg. Au cours de sa vie, par pure passion, il réalisera plus d’une soixantaine de plans et de cartes. Seule la mort mettra un terme à sa frénésie d’arpenteur. 350 ans plus tard, Marino Maggetti rend hommage à ce pionnier de la topographie fribourgeoise.
Bien qu’assez précise, la carte du Canton de François-Pierre von der Weid (1614-1688) n’a rien à voir avec une carte géographique moderne: les routes ne sont pas dessinées, le Nord se trouve au bas de la carte, la légende fait défaut et – détail insupportable aux yeux des Vaudois – le lac Léman se nomme lac de Genève. Autant de tares qui n’ont rien eu de rédhibitoire, puisque cette carte restera sans égale pendant près de deux siècles, avant de sombrer dans un oubli quasi total.
Un bailli peu casanier
C’est Marino Maggetti, professeur au Département des géosciences à la retraite, qui est venu sauver François-Pierre von der Weid, son auteur, des oubliettes du passé: «Il a été bailli à Estavayer-le-Lac de 1652 à 1657, puis commissaire général du Canton de Fribourg 1659-1673, une fonction qui correspondrait de nos jours à géomètre cantonal. Il a dressé de très nombreux plans et cartes, en se rendant lui-même sur le terrain, à pied ou à cheval, chose inimaginable à l’époque pour un homme de sa condition.» Marino Maggetti masque mal sa sympathie pour son homologue du XVIIe siècle. Entre amoureux des cartes, on se comprend. «Il était un peu fada. Je suppose qu’il a tout financé lui-même, notamment les plaques de cuivre qui serviront à l’impression de la carte.» Un travail de passionné qui n’a pas eu l’heur d’emballer les autorités fribourgeoises. Loin de s’en offusquer, von der Weid dresse encore des dizaines de plans cadastraux et, peu avant de passer sa chaîne d’arpenteur à gauche, trouve encore le temps de mesurer la largeur du lac de Neuchâtel, entre Estavayer et Gorgier. Par ses calculs, il parvient à une largeur de 8,3 km, contre 7,5 km en réalité. Pas mal!
Une précision sans précédent
Par superposition avec des cartes modernes, Marino Maggetti est parvenu à montrer que, pour des raisons qui resteront à jamais inconnues, von der Weid cartographie certaines régions plus précisément que d’autres. Circonstances exténuantes, le bailli d’Estavayer-le-Lac ne peut compter que sur sa boussole, son quadrant, ainsi que des chaînes et ses pas pour mesurer les distances. D’où une carte qui présente certaines distorsions par rapport à la réalité.
La carte de distorsion établie par M. Maggetti montre les problèmes d’échelle rencontrés par von der Weid.
Pas plus géographe de cabinet que son prédécesseur, Marino Maggetti s’est rendu à de nombreuses reprises sur le terrain. A force de persévérance, il retrouvera même, à Essertes-Auboranges, une borne indiquée par von der Weid comme «pierre à dos d’asne», que les archéologues identifieront 300 ans plus tard comme étant le menhir le plus grand de la Suisse.
Une carte géographique qui recèle des trésors historiques
La carte de von der Weid représente en quelque sorte un instantané du Canton de Fribourg. Elle foisonne d’informations historiques. La toponymie utilisée laisse penser que la frontière des langues passait plus à l’ouest à l’époque: Marly se nommait «Mertenlach», Pont-la-Ville «Ponedorf», Pérolles «Pigritz» et Ependes «Spins». Von der Weid est par ailleurs le premier à nommer certains sommets. On reconnaîtra sans peine la Dent de Brenleire «Brenleire», Jamand «Dent de Jaman», tandis que le Schafarnisch répondait au doux nom de Harmƒschberg.
Carte de von der Weid, la première carte imprimée du Canton.
Von der Weid pousse le détail jusqu’à indiquer la chute d’eau de Joun (Jaun), à plus de soixante kilomètres de chez lui, preuve, selon Marino Maggetti, que ce sacré bailli d’Estavayer connaissait bien son Canton.
Le biographe du cartographe
Marino Maggetti a attrapé le virus des cartes il y a de cela plus de quarante ans. Celle de von der Weid lui est tombée entre les mains alors qu’il n’était qu’étudiant. «C’était purement fortuit, explique-t-il le sourire aux lèvres, et l’importance incroyable de ce document pour l’histoire du Canton m’avait, à l’époque, complètement échappé.»
Même à la retraite, Marino Maggetti continue de se passionner pour les cartes.
Initialement, notre collectionneur de cartes souhaitait se livrer uniquement à une modeste analyse scientifique de la carte de 1668. Une découverte en entraînant une autre, Marino Maggetti a pu déceler, en filigrane des cartes qu’il étudiait, un magistrat fribourgeois pas comme les autres, dont il a fini par brosser le portrait. Une dérive toute relative car, après tout, le biographe n’est-il pas le cartographe de l’existence?
__________- Contact: Marino Maggetti, marino.maggetti@unifr.ch
- Article paru dans le Bulletin de la Société Fribourgeoises des Sciences Naturelles, vol. 106 (2017), pp. 39-118
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