«Il me manquait une grille d’analyse pour aborder l’extrémisme»

«Il me manquait une grille d’analyse pour aborder l’extrémisme»

Même si l’extrémisme est devenu une thématique incontournable, on peine à l’appréhender. Un nouveau CAS dispensé par le Centre Suisse Islam et Société donne des outils aux professionnels concernés. Deux participants témoignent.

A la fois incontournable et méconnu, alors qu’il est sur toutes les lèvres, l’extrémisme présente des défis de plus en plus complexes, que l’on peine à appréhender. Les regards se tournent souvent vers les acteurs des milieux éducatifs, carcéraux, sécuritaires ou sociaux, dont on attend qu’ils maîtrisent des outils pour faire face à la radicalisation. Or, ces professionnels sont généralement démunis. Pour les soutenir, le Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg a lancé en 2018 le certificat de formation continue (CAS) «Prévenir les extrémismes. Idéologies, religions et violence(s)» (voir encadré). Les premiers diplômes ont été remis le 23 janvier, lors d’une cérémonie accompagnée d’une conférence de l’expert français Hugo Micheron.

Marie Bersier fait partie de cette première volée. Chargée d’évaluation pénale auprès de l’Office neuchâtelois d’exécution des sanctions et de probation, la criminologue confirme: «Bien que la thématique de l’extrémisme soit de plus en plus abordée – du moins dans le domaine pénitentiaire – et  des réflexions mises en place, j’avais l’impression de cruellement manquer de bagages pour y faire face. En m’inscrivant au CAS, j’espérais acquérir des outils me permettant de guider ma pratique professionnelle.»

Passer en mode proactif
Son de cloche similaire chez Raphaël Cavin, le commandant de l’Association Police Lavaux (APOL): «A l’époque où j’ai entendu parler de ce nouveau CAS, j’étais chef de corps et des opérations à la Police Nord vaudois. Dans la région, il y avait eu des précédents en matière de radicalisation, sans oublier bien sûr l’onde de choc provoquée par les attentats terroristes de Paris. Les autorités locales commençaient à s’inquiéter des mesures à prendre, notamment lors de manifestations ou en milieu scolaire.» Le problème? «En Suisse, on agit souvent de façon réactive, en fonction de l’actualité à l’étranger. Il me manquait une grille d’analyse permettant de passer en mode proactif. Et, à titre personnel, d’orienter plus utilement les autorités politiques locales.»

Raphaël Cavin poursuit: «Etant donné qu’en terre helvétique, on peine à identifier le bon interlocuteur en matière d’extrémisme en raison de la multiplicité des partenaires concernés, les gens ont tendance à se tourner naturellement vers la police. Or, les policiers de terrain sont principalement formés à faire face aux attaques terroristes, qui ne représentent qu’une part infime des actes liés à la radicalisation et dont la Suisse n’a jamais connu les affres.» Dans ce contexte, le commandant souhaitait acquérir des outils pluridisciplinaires, lui permettant d’aborder la thématique sous différents angles. «Et c’est justement la grande force de la formation dispensée par le Centre Suisse Islam et Société: aussi bien les intervenant·e·s que les participant·e·s viennent de milieux très différents.»

Marie Bersier salue elle aussi la diversité de la vingtaine d’intervenant·e·s, tout comme leur qualité. «Non seulement il s’agit d’expert·e·s reconnus dans leur domaine, mais surtout ils possèdent un lien fort avec le terrain.» La criminologue se dit en outre très satisfaite «d’être repartie non pas avec des formules clés en main, mais avec des pistes de réflexion ouvrant la voie à une application spécifique à mon milieu professionnel.» Les effets concrets de sa participation au CAS ne se sont d’ailleurs pas fait attendre. Jouissant d’une crédibilité accrue auprès de ses employeurs, elle a «rapidement été intégrée à un groupe de travail intercantonal consacré aux instruments de screening et d’évaluation du risque de violence liée à l’extrémisme et à la radicalisation en privation de liberté.»

Un précieux réseau intercantonal
Raphaël Cavin, lui, a profité de son travail de certificat pour explorer un aspect qui lui paraît particulièrement important dans le travail de la police de proximité: les outils de détection précoce à disposition des polices communales vaudoises. «Les personnes les mieux placées pour observer les premiers signes de comportements antisociaux, ce sont les collectivités locales, et notamment les policiers de proximité. En effet, ils accompagnent les enfants et les adolescents durant tout leur parcours.» De l’avis du commandant, les policiers uniformés travaillant sur le terrain sont «d’excellents auxiliaires de prévention de la radicalisation et des partenaires essentiels des organismes spécialisés». Idéalement, il faudrait davantage sensibiliser les acteurs locaux – police de proximité en tête – à la problématique de l’extrémisme et les encourager «à faire remonter les informations pertinentes vers les services spécialisés au niveau cantonal, puis national». Il précise que le cloisonnement de l’information ou du renseignement peut s’avérer hautement préjudiciable.

Tous deux partis chercher à l’Université de Fribourg des outils concrets pour faire face au défi que représente l’extrémisme dans leur pratique professionnelle quotidienne, Marie Bersier et Raphaël Cavin tirent un bilan amplement positif de leur expérience. La chargée d’évaluation pénale ajoute qu’elle est rentrée de cette formation avec un ‹bonus› inattendu, sous la forme d’un réseau de consœurs et confrères actifs dans d’autres cantons, mais confrontés aux mêmes thématiques. «Il m’est arrivé à plusieurs reprises ces derniers mois de contacter mes camarades de CAS afin de savoir s’ils avaient déjà eu affaire à telle ou telle situation et, le cas échéant, comment ils l’avaient gérée.» Un précieux réseau que Marie Bersier s’est promis d’entretenir.

Une formation en quatre modules
Lancé en septembre 2018, le certificat de formation continue (CAS) «Prévenir les extrémismes. Idéologies, religions et violence(s)» du Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg est constitué de quatre modules: 1. Définir les idéologies extrêmes et théoriser le lien à la violence, 2. Extrémismes religieux, 3. Profils et trajectoires biographiques de personnalités extrémistes, 4. Sortir de l’extrémisme: les défis du désengagement pour les professionnels et les personnes concernées. Le public cible de ce CAS est constitué des professionnels du domaine éducatif, carcéral, sécuritaire et social, ainsi que toute personne intéressée à devenir un interlocuteur de référence pour les questions liées à l’extrémisme dans son cadre professionnel. La deuxième volée arrivera en septembre 2020. Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 15 mai 2020.

Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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