Nos vies sont sens dessus dessous depuis un an. Comment avez-vous vécu ces derniers mois? Mattia Cuccu, 21 ans, vient du Valais, étudie en première année de Bachelor en sciences du management. Parallèlement à ses études, il travaille dans un club de natation (Club de natation de Sierre) en tant qu’entraîneur et responsable de la communication. Il habite en Valais, mais pendant la semaine, il partage une colocation avec deux de ses meilleurs amis au centre de Fribourg.
Ton moral, il est plutôt au 18e sous-sol ou proche du 7e ciel?
J’espère que vous aimez les sous-sols, parce qu’il va falloir descendre! En toute honnêteté, beaucoup de choses ne vont pas très bien à cause de la crise. Dire le contraire serait se mentir. D’un autre côté, je sais que tout pourrait être bien pire. Donc, pour reprendre la métaphore du sous-sol, je dirais que je me situe vers le dixième… Le manque de contact social se fait vraiment sentir, surtout celui spontané empli de liberté. J’ai l’impression d’être en train de perdre un précieux temps que je ne pourrais jamais vraiment récupérer. Mais la plus grande difficulté pour moi, c’est le manque de perspectives. Impossible de savoir quand les cours vont reprendre, quand je pourrais m’engager dans tel ou tel projet, car tous les engagements sont en attente avec un épée de Damoclès juste au-dessus. L’incohérence des mesures prises n’aide pas non plus. Je suis persuadé que le sport et les cours académiques en particulier sont des milieux faciles à protéger avec les bonnes mesures. Je pense que, de ce point de vue, les autorités n’en ont pas fait assez.
En tant qu’étudiant·e, la covid, c’est nul parce que…
Parce que c’est impossible de se créer un réseau, surtout en première année. Si j’ai de la chance, car je connaissais déjà du monde avant d’arriver sur Fribourg, à moyen terme, ça ne suffit pas. Et, ne nous mentons pas, les événements en ligne, ça n’intéresse personne. Ce n’est qu’une façade: on a l‘impression de prendre du bon temps derrière son écran avant de réaliser que, en réalité, on est aussi seul qu’avant. Pas de fêtes, pas de sorties, pas d’événements, même pas de conférences ou de workshops. Rien de cela, alors que ça fait partie intégrante de la vie d’étudiant·e. Dans cette perspective, je dirais que j’étudie, mais pas que je suis étudiant. Ce n’est pas ça, être étudiant·e. C’est aussi «nul», parce qu’étudier depuis chez soi, cela demande trop de concentration. Il y a trop de distractions et pas assez de suivi. On n’a pas vraiment la possibilité de demander de l’aide spontanée à notre voisin de chaise ou au prof, à la fin du cours. Bien sûr, des solutions virtuelles sont mises en place, mais ce n’est pas pareil.
Ne dit-on pas qu’à quelque chose malheur est bon? Mais à quoi alors?
Les cours en ligne apportent une plus grande flexibilité, surtout pour ceux qui sont enregistrés. Bien sûr, je souhaiterais revenir en présentiel pour la grande majorité des cours, mais pouvoir revoir les enregistrements est un plus en cas de difficultés ou en cas de chevauchement de certains cours et d’obligations professionnelles. J’espère que cette option virtuelle restera même après la covid. Ce qui en découle, c’est le développement accéléré de moyens informatiques pour l’enseignement et les entreprises. Beaucoup de milieux ont pu constater que leurs équipements n’étaient pas suffisants et je pense que la crise a contribué au développement de moyens plus efficaces. Un autre point positif – que je nuancerais toutefois – est l’abondance de temps libre: moins de sport, moins de sorties… Tout ceci dégage beaucoup de temps, trop même car il devient difficile de l’occuper. Personnellement, j’ai pu me pencher sur d’autres projets, notamment l’écriture d’un roman, mais ça ne remplace en aucun cas la vie d’avant.
Dans 20 ans, tu te diras que 2020, c’était…
La pire année de ma vie! A ce stade, c’est le cas, et même si je sais que tout pourrait être pire, je ne souhaite pas revivreùune chose pareille dans les vingt prochaines années. J’espère que je regarderai en arrière en me disant que ça n’était qu’une mauvaise passe et, surtout, qu’on en soit toutes et tous sorti·e·s grandi·e·s.
Une anecdote positive liée à la covid?
Il n’y en a pas beaucoup, mais je pense quand même à une situation de timing lié à ma vie sportive. J’ai pratiqué beaucoup de natation étant plus jeune, toutefois sans jamais avoir eu un tempérament compétiteur. J’ai fini par arrêter de nager en club il y a plusieurs années, en partie à cause d’une mauvaise relation avec mon entraîneur, alors que, quand on est petit, on regarde normalement les coachs avec des étoiles dans les yeux. Jamais je n’aurais pensé y revenir un jour, ni même devenir entraîneur. Mais un concours de circonstances lié à la crise m’a permis de succéder à l’ancien entraîneur principal cette saison. Sans la covid, jamais tout cela ne serait arrivé et contribuer au développement d’un club dynamique tout en amenant de très bon nageurs aux championnats romands et suisses, c’est une fantastique expérience. Dans un sens, j’ai eu l’impression que ça devait se passer comme ça et pas autrement.
Une anecdote négative liée à la covid?
Difficile de sortir seulement une anecdote. Je dirais que de manière générale, j’ai perdu contact avec beaucoup de personnes. D’aucuns disent que la pandémie permet de faire le tri dans son cercle d’amis, mais j’ai plutôt l’impression qu’elle fragilise des relations qui semblaient pourtant inébranlables face au temps et au destin. Je sais que beaucoup d’occasions de renforcer des liens ou d’en créer de nouveaux ont été manquées. D’une certaine manière, on peut dire que j’ai perdu des proches.
Quand la covid sera terminée, de quelle manière marqueras-tu le coup?
Par un truc énorme, bien sûr! Je m’empresserai de revoir toutes les personnes qui m’ont manqué, des amis proches, des connaissances, tous ces gens avec qui les liens ont été cassés afin de prouver que le contact humain triomphe toujours, et cela sans se soucier de mesures à appliquer, d’un lieu adéquat ou d’horaires à respecter. En totale liberté, comme c’était le cas avant. Je fixerai aussi beaucoup de projets qui sont restés entre parenthèses: des sorties bien sûr, mais aussi dans le sport, la culture, le voyage, etc. Bref, d’une certaine manière, j’essayerai de rattraper le temps perdu.
PS: Vaccin ou pas vaccin?
J’ai été plutôt sceptique quant à la rapidité de la commercialisation du vaccin avec si peu de recul. Cela dit, avec le temps, je commence à faire confiance aux chercheurs et à croire que ça sera peut-être bien la solution pour nous sortir de cette impasse. Toutefois, je suis totalement défavorable à l’obligation, même déguisée, et donc je conserve mon scepticisme concernant le passeport vaccinal. Je pense que si obligation il y a, c’est que les autorités n’ont pas su communiquer suffisamment pour faire en sorte que la population veuille se faire vacciner. Après tout, le virus est dangereux ou il ne l’est pas, il n’y a pas d’entre-deux. Les avantages pour les personnes à risque semblent se confirmer; pour les autres cela reste encore à prouver. Je pense aussi que, si passeport vaccinal il y a, il doit prendre en compte les personnes qui ont une immunité, car elles ont contracté le virus sans avoir besoin de se faire injecter une dose de vaccin. C’est une question éthique délicate et, à partir du moment où les hôpitaux supportent la charge, chacun doit être libre de faire comme il le souhaite. Pour le reste, je pense que c’est à l’Etat de faire en sorte qu’il y ait assez de lits et que des variants plus coriaces n’arrivent pas jusque chez nous.
__________
- Nos vies sont sens dessus dessous depuis un an. Comment avez-vous vécu ces derniers mois avec l’enseignement à distance? Sentez-vous les plafonds vous tomber sur la tête ou, en tant qu’introverti, êtes-vous de celles et ceux qui savourent la situation? Comment gardez-vous le contact avec vos ami·e·s? Quels sont les défis auxquels vous êtes confronté·e·s? Que pensez-vous du vaccin? L’Unifr vous donne la parole et vous écoute. Faites-vous tirer le portrait pour notre webzine «Alma&Georges». Les photos, prises par un photographe professionnel, vous seront offertes. Nous nous réjouissons de mettre ainsi en valeur la diversité de notre communauté universitaire. Ecrivez-nous à socialmedia@unifr.ch, objet: Portrait AG.
- Site de Thomas Delley, photographe