Se pourrait-il que la musique se mette au diapason de l’époque dans laquelle elle s’inscrit? L’unifr accueillera en 2025 un colloque international, coorganisé par le professeur de musicologie Federico Lazzaro, dont l’objectif sera de cerner les interactions entre la musique et l’imaginaire politique dans les années 1930. L’appel à contributions vient d’être lancé.
Nous l’avons tous appris en cours d’histoire: le krach boursier de 1929 a eu des conséquences effroyables sur la marche du monde. L’effondrement des cours de la bourse a précipité des millions de personnes dans la pauvreté et fait vaciller les démocraties. L’onde de choc a été telle qu’on ne s’étonne guère que les différentes formes d’art s’en soient fait l’écho. Que l’on songe aux «Raisins de la colère» de John Steinbeck (1939) ou aux «Temps modernes» de Charlie Chaplin (1936). Depuis un peu plus d’une année, un groupe de recherche international veut s’interroger, avec la régularité d’un diapason, sur la façon dont la musique a contribué à façonner ou inversement à refléter l’imaginaire lié au champ politique durant cette période charnière. Après les rencontres de Paris en 2023, et celles de Leeds cette année, le séminaire itinérant fera escale à Fribourg du 15 au 16 mai 2025 en collaboration avec le Professeur Christopher Moore de l’Université d’Ottawa.
Aller au-delà de l’étude des politiques musicales
Jusqu’à présent, les liens entre la musique et la politique durant les années 1930 ont fait l’objet de nombreuses études, mais majoritairement au travers du prisme des régimes politiques. «Nous savons bien sûr que le régime nazi a décrété que le jazz était une musique dégénérée, de même que la musique atonale ou que les œuvres de compositeurs juifs», illustre Federico Lazzaro». Avec cet appel à contributions, l’ambition est toutefois différente, moins «top down». «Durant les années 1930, compose-t-on de la musique à des fins cathartiques, afin de rire de la crise? Dénonce-t-on la crise à travers des registres musicaux inédits?», s’interroge Federico Lazzaro. Et de brandir l’exemple d’un film datant de 1934 et intitulé «La crise est finie», comédie musicale relatant les difficultés d’une troupe de music-hall de province qui ne peut plus se produire du fait de la crise et qui s’ingénie à survivre. «Pour qui sait l’observer, on découvre dans cette œuvre toute une série de codes qui faisaient rire les gens de l’époque, ce que ne permet pas d’appréhender la lecture de documents d’une autre nature, tels qu’une revue musicale.»
Un champ d’investigation à explorer
Si de ce côté de l’Atlantique les études restent rares sur le sujet, aux Etats-Unis, il existe déjà des ouvrages sur l’influence du New Deal sur le langage musical. «On observe une récupération de l’imaginaire de l’Ouest américain, qui donnera naissance à une nouvelle musique américaine, explique Federico Lazzaro. Ce sera en quelque sorte la bande-son du New Deal, celle de la renaissance économique, avec de nouvelles instrumentations, des chants autochtones et des mélodies populaires.»
Pour le musicologue fribourgeois, il serait intéressant de voir si l’Europe connaît un phénomène similaire. «Il n’est pas farfelu de l’imaginer car on sait que de nombreux compositeurs américains viennent étudier sur le Vieux Continent. Amènent-ils cette idée de reconstruire une nouvelle musique d’après-crise? Nous l’ignorons et il faudra tâcher de trouver la réponse».
Aucun pays n’ayant échappé au krach de 1929 et à ses conséquences, la production musicale suisse n’est d’ailleurs pas en reste. En 1932, le poète vaudois Jean Villard Gilles a composé une chanson intitulée «Dollar», qui parle de la crise américaine.
De l’autre côté de l´Atlantique
Dans la fabuleuse Amérique
Brillait d’un éclat fantastique
Le dollar
Il f’sait rêver les gueux en loques
Les marchands d’soupe et les loufoques
Dont le cerveau bat la breloque
Le dollar
D’ailleurs, le séminaire ne s’intéressera pas qu’aux œuvres, mais aussi aux artistes et aux organisateurs d’événements culturels. Comment gèrent-ils le tarissement des financements? Raccourcissent-ils la saison des concerts? Cherchent-ils des manières alternatives de transmettre la musique? Valorise-t-on un genre par rapport un autre?
Approche pluridisciplinaire
Federico Lazzaro souhaite également que le séminaire fribougeois s’ouvre à d’autres disciplines. «J’appelle de mes vœux des communications à quatre mains, afin de porter un regard large sur le phénomène.» Et de rêver à de beaux duos entre musicologues et historien·n·es de l’art ou spécialistes de la littérature. «Je tiens à insister sur le fait que le séminaire est ouvert à toutes et à tous, même aux étudiant·e·s. Il ne faut pas craindre que cela soit trop technique. Il sera probablement peu question d’analyses musicales, mais de discours de la musique, d’utilisation de la musique et de paroles des chansons.»
Le présent, une simple reprise du passé?
A l’heure où les crises se multiplient au point de faire dire aux oiseaux de mauvais augure que nous serions au seuil d’une troisième guerre mondiale, il n’est pas inintéressant de se pencher sur une période où résonnait également le bruit des bottes. D’ailleurs, Federico Lazzaro l’avoue d’emblée, ses recherches ont toujours un lien avec le présent. «Je fais partie de ces historiens qui pensent que mieux connaître le passé permet de mieux comprendre le présent. Décrire les mécanismes de construction des imaginaires de l’époque permettrait de mieux appréhender la nôtre, de voir s’il y a des variantes ou des constantes. C’est donner aussi un but très concret à une recherche a priori moins utilitaire qu’une recherche en médecine, mais qui a le mérite de rappeler que réfléchir n’est jamais superflu.»
Même si l’histoire ne se répète jamais, se pourrait-il que, selon la conjoncture, elle imprime un style, un rythme ou des paroles? Et d’ailleurs, notre époque ne serait-elle qu’un bon vieux «sample» du passé?
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