23.09.2015
Jihad au féminin: les dessous du voile
Dans un contexte où la femme martyre a tendance à être considérée comme une victime, la thèse de doctorat de Géraldine Casutt, assistante en Science des religions à l’Université de Fribourg, pose la question d’un jihad au féminin, sous la perspective des choix personnels et des motivations de ces actrices contemporaines. Qui sont ces jeunes filles qui quittent l’Europe pour la Syrie? Comment leurs parents vivent-ils cette rupture? Dans le cadre de ce travail, la sociologue des religions a invité le journaliste David Thomson et l’expert en salafisme Samir Amghar à s’exprimer sur la place de la religion dans le jihad lors d’une conférence exceptionnelle, organisée à l’Université de Fribourg.
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C’est après un séjour en Palestine qui l’a beaucoup marquée que Géraldine Casutt décide de s’intéresser à la figure de la femme jihadiste et son rapport à la violence. «Pour la première fois, j’ai été confrontée aux attentats suicides et à la notion de martyre dans la société civile. Concernant les “femmes-bombes humaines”, j’ai constaté qu’entre leur victimisation, une sorte de “violence sous tutelle” et leur “déféminisation” volontaire, aucun chercheur n’avait encore étudié ce que j’appelle le “juste milieu”», explique la chercheuse. C’est ainsi qu’elle décide de consacrer sa thèse de doctorat à la question du «comment être jihadiste en tant que femme». Elle étudie d’abord la situation en Afghanistan, en Bosnie et en Afrique. Quand, en 2013, le conflit syrien éclate, sa recherche prend une nouvelle tournure pour se focaliser davantage sur ces jeunes Européennes qui choisissent de tout quitter pour le jihad. «La presse parlait beaucoup de ces départs pour la Syrie. J’ai eu beaucoup de mal à faire comprendre aux familles que je n’étais pas journaliste, que ma démarche s’inscrivait dans le respect et l’écoute afin de comprendre les motivations de ces jeunes filles. J’ai eu la chance de rencontrer une première maman française, puis d’autres qui ont décidé de me faire confiance et de me confier leurs histoires», précise Géraldine Casutt.
«On ne naît pas terroriste»
Elle entre également en contact avec ces jeunes filles sur les réseaux sociaux et parvient même à continuer les discussions avec certaines d’entre elles après leur départ. Elle pose des questions simples et considère les réponses dans la perspective d’un dialogue apaisé et d’une analyse scientifique sans jugement. «Mon but est de donner la parole aux actrices, même si je dois parfois soulever des sujets épineux», précise la sociologue des religions. C’est en suivant une certaine logique familiale qu’elle décide de s’intéresser aux parents de ces adolescentes, aux mères en particulier, jugées par l’opinion publique comme mauvaises, puisqu’elles n’ont pas su élever leur enfant. «C’est très violent comme discours. On touche à des émotions profondes et ces jugements font beaucoup de dégâts. Le jihadisme est plus qu’une simple forme de délinquance et les parents sont aussi des victimes. Des groupes de soutien s’organisent en France et en Belgique. J’espère que ma recherche permettra d’en faire autant en Suisse, de faire comprendre à ces pères et à ces mères qu’ils ne sont pas seuls.»
La prévention par la compréhension
La radicalisation religieuse est un thème d’actualité et les étiquettes sont tenaces. «Il est nécessaire d’utiliser les bons mots et les bonnes définitions. C’est pour cette raison que je travaille avec des spécialistes, dont le journaliste David Thomson et Samir Amghar, expert du salafisme. J’estime qu’il est nécessaire d’écouter ce qu’ils ont à dire. C’est en comprenant les différents aspects, et non en jugeant, que la prévention pourra s’organiser», explique Géraldine Casutt. Dans une conférence organisée à l’Université de Fribourg, les deux invités débattront de la place de la religion dans le jihad; le premier sous un angle pratique et le second dans une perspective plus théorique. «Les musulmans sont les premiers à se questionner sur la justification religieuse du jihad et du départ en Syrie. Mais s’est-on déjà interrogé sur l’impact de la croyance, de la spiritualité, des convictions ou sur l’état d’esprit de ces jeunes filles? Il est important de s’intéresser aux jihadistes en tant qu’êtres humains et pas uniquement comme des terroristes; et pour ce faire, il est indispensable de se pencher sur la nature même de l’islam radical et sur la religion vécue par les jihadistes», conclut Géraldine Casutt.
La conférence
«La religion du jihad et le jihad comme religion: quelle place pour l'argument religieux dans les motivations des candidats au jihad en Syrie?» se tiendra le 29 septembre 2015 à 18h15, dans la salle C 120, Bd de Pérolles 90, 1700 Fribourg; http://agenda.unifr.ch/e/fr/1028/Contact: Géraldine Casutt, Chaire de science des religions, 026 300 74 52, geraldine.casutt@unifr.ch