Climat10.07.2024

La genèse de l'inlandsis de l'Antarctique


Une équipe de recherche internationale, avec la collaboration de Silvia Spezzaferri de l’Université de Fribourg, a découvert pourquoi la calotte polaire de l’Antarctique fond plus rapidement à l’ouest du continent qu’à l’est. Des nouveaux forages et une modélisation sophistiquée ont montré que le phénomène remonte à la formation originelle de l’inlandsis il y a 34 millions d’années.

Ces dernières années, sous l’effet du réchauffement climatique, la glace éternelle de l'Antarctique s’est mise à fondre plus rapidement qu'on ne le pensait, en particulier dans la partie occidentale du continent. Selon les travaux d’une équipe de recherche internationale dirigée par l’Institut Alfred Wegener, cette fonte différenciée pourrait trouver ses causes dans le passé, il y a près de 34 millions d’années, lors de la formation de la calotte polaire. Des échantillons de sédiments prélevés dans des carottes de forage, combinés à une modélisation complexe du climat et de l’inlandsis, ont révélé que la couche de glace ne s’était pas étendue à l’ensemble du continent, comme on le supposait auparavant, mais qu’elle s’était limitée à sa région orientale, la progression vers l’ouest ne survenant que 7 millions d’années plus tard. Cette découverte explique pourquoi la fonte des glaces semble si différente de part et d’autre de l’Antarctique.

Un continent couvert de forêt
Il y a environ 34 millions d'années, notre planète a subi l'un des changements climatiques les plus fondamentaux: la transition d'un monde à effet de serre, avec pas ou très peu d'accumulation de glace continentale, à un monde à effet de serre glaciaire, avec de vastes zones glaciaires permanentes. C’est durant cette seconde période que la calotte glaciaire de l'Antarctique s'est formée. Jusqu’à présent, les scientifiques en ignoraient toutefois les modalités, faute de données et d'échantillons fiables provenant de régions clés, en particulier de l'Antarctique occidental.

Un forage qui change tout
Sur la base d'une carotte prélevée à l'aide de la plate-forme de forage des fonds marins MARUM-MeBo70 au large du glacier de Pine Island, sur la côte de la mer d'Amundsen, dans l'ouest de l'Antarctique, les scientifiques ont pu établir pour la première fois l'histoire de l'apparition du continent glacé de l'Antarctique. A leur grande surprise, aucun signe de présence de glace n'a été trouvé dans cette région au cours de la première grande phase de glaciation de l'Antarctique. Autrement dit, l'Antarctique occidental est resté libre de glace pendant ce premier maximum glaciaire. À cette époque, cette partie du continent était recouverte de forêts denses de feuillus et jouissait d'un climat frais et tempéré qui y empêchait la formation de glace.

Glaciation d’abord à l’est
Afin de mieux comprendre où la première glace permanente s'est formée en Antarctique, les chercheuses et chercheurs ont combiné les nouvelles données disponibles avec les données existantes sur les températures de l'air et de l'eau et la présence de glace. La modélisation a confirmé les résultats du forage des géologues: les conditions climatiques de base pour la formation de glace permanente ne prévalaient que dans les régions côtières de l'Antarctique oriental et de la Terre de Victoria septentrionale. C'est là que les masses d'air humide ont atteint les monts Transantarctiques qui s'élèvent fortement et favorisent l’accumulation de neige permanente et la formation subséquente de la calotte glaciaire. De là, cette dernière s'est rapidement étendue à l'arrière-pays de l'Antarctique de l'Est. Ce n'est qu'environ sept millions d'années plus tard que les conditions ont permis à la calotte glaciaire d'atteindre la côte ouest de l'Antarctique. Pour Hanna Knahl, modélisatrice du paléoclimat à l'AWI, «ces résultats montrent clairement à quel point il a fallu qu'il fasse froid pour que la glace puisse avancer et recouvrir l'Antarctique occidental».

L'étude fournit également de nouvelles informations qui permettent aux modèles climatiques de simuler avec plus de précision la manière dont les zones glaciaires permanentes affectent la dynamique du climat mondial, c'est-à-dire les interactions entre la glace, les océans et l'atmosphère. Ces nouvelles connaissances sont précieuses si l'on considère que nous pourrions à nouveau être confrontés à un changement climatique aussi fondamental dans un avenir proche.

Ice sheet–free West Antarctica during peak early Oligocene glaciation, Science, 4 Jul 2024,