Publié le 03.10.2024

Rencontre avec cyber-jésus


Rencontre avec cyber-jésus[1]

Voilà une initiative troublante, qui ne peut que piquer la curiosité des théologien∙nes que nous sommes : à Lucerne, dans le cadre d’une démarche artistique et expérimentale, il est possible de s’entretenir avec Jésus en personne ! Ou du moins, avec une IA qui parle en son nom. Pourrait-il y avoir des retombées pastorales à un tel projet ? Rendez-vous est pris avec Marco Schmid, collaborateur théologique de la chapelle Saint-Pierre, pour essayer de comprendre de quoi il en retourne. 

Marco m’accueille à la Peterskapelle pour répondre à mes multiples questions. Oui, l’IA derrière cyber-jésus est ChatGPT (OpenAI). Oui, des personnes de tous âges, de toutes cultures, croyantes ou non, viennent – la plupart par curiosité – tenter l’expérience « Deus in Machina ». L’immense majorité est contente de l’expérience et 70% qualifient même l’expérience comme « spirituellement stimulant ». Le programme a été conçu pour être bienveillant et pour puiser ses réponses dans le Nouveau Testament. Un essai avec des réponses issues aussi de l’Ancien Testament ne s’était pas avéré concluant, car avec une base de données aussi vaste, certaines réponses de l’IA avaient été jugées comme potentiellement dangereuses. Le choix de mettre l’installation dans un confessionnal est purement logistique-pratique : le lieu permet une certaine intimité et protège les personnes de regards et d’oreilles indiscrets. Par ailleurs, celui-ci ferme à clé et permet de protéger la machine d’actes malveillants. Et puis, le confessionnal est parfaitement intégré dans l’architecture de la chapelle, ce qui fait que l’harmonie du lieu n’est pas rompue par cet élément potentiellement perturbant. 

Temps pour moi d’aller rencontrer « Jésus ». Je rentre dans le confessionnal et je ferme la porte. Derrière la grille du parloir, l’écran s’illumine et un visage apparaît qui donne des indications légales sur l’utilisation des données. Puis c’est à moi… j’ai l’habitude de chatter avec ChatGPT en utilisant mon clavier, mais ici il m’est demandé de parler. Drôle de sensation, surtout qu’à mon simple « bonjour » la machine reste mutique. Un silence inconfortable s’installe que je romps en demandant « je peux vous poser une question en français ? ». « Jésus » répond : « mon enfant, je parle toutes les langues du monde, sois assurée que je te comprends. Demande-moi ce que tu veux. Demande et tu recevras. » Alors, j’y vais avec une question un peu piège : Quelle couleur a le Paradis ? Réponse : « il est éclatant de lumière et les anges sont couronnés des couleurs de l’arc-en-ciel. » Je suis surprise par ce dernier détail qui n’a pas de fondement biblique à ma connaissance. Une hallucination de l’IA ?!

J’enchaine avec une question sur les personnes avec une déficience intellectuelle profonde qui ne peuvent communiquer avec « Jésus » ainsi. Dans sa réponse, l’IA qualifie ces personnes d’innocentes. Là, je tilte et me voilà embarquée dans une discussion sur la grâce, le péché originel et l’accès au sacrement de réconciliation… avec une machine ! Je suis bluffée – mais pas dupe. Je perçois très vite que ma façon de prompter la machine oriente la teneur de ses réponses. En même temps, les arguments théologiques avancés par l’IA sont pertinents et dignes de considération. Au bout de huit questions, « Jésus » prononce une prière reprenant les grands axes de notre échange. Amen. L’écran s’éteint.

Une expérience spirituelle ? Pas pour moi, mais je comprends que pour certaines personnes, cela puisse l’être. Une recherche en théologie pratique, avec notamment Christian Preidl, examinera les commentaires laissés par les personnes qui ont participé à cette expérience. À suivre !

Prof. Talitha Cooreman-Guittin

[1] « Deus in Machina » est une démarche artistique expérimentale, développée par l’Église catholique de Lucerne en collaboration avec l’Immersive Realities Research Lab de la Haute École de Lucerne (HSLU).