Archéologie d’un mythe fondateur: la grande fresque de la Huaca Pintada

Notre époque, souvent qualifiée d’instable, est marquée par un certain nombre de symptômes qui, historiquement, étaient décrits lors du déclin de grandes civilisations passées. Ces périodes de transition jalonnent l’Histoire des sociétés humaines et constituent un défi pour les sciences sociales. Comment les cultures réagissent-elles aux grands changements et quels sont les mécanismes qui les amènent à se restructurer sur de nouvelles bases après une période de crise? Si Sâm Ghavami, chargé de cours au Département des sciences sociales, aborde ces questions à partir d’une recherche archéologique, celles-ci appellent toutefois une démarche pluridisciplinaire, nourrie d’anthropologie et d’histoire des religions.

Son projet de thèse s’intéresse à un cas particulier survenu sur la côte nord du Pérou plusieurs siècles avant l’arrivée des conquistadors espagnols. L’observation de ces vestiges archéologiques révèle que l’effondrement de la civilisation Mochica, au milieu du IXe siècle après J.-C., est à l’origine d’une période de transformation culturelle inédite qui a vu muter plusieurs éléments caractéristiques de cette société pré-inca. La nouvelle culture lambayeque qui en est issue a su s’imposer par la suite sur tout le territoire sous les auspices d’un héros fondateur connu sous le nom de Ñaimlap.

Redécouverte des peintures murales

Le débat concernant la formation de la culture lambayeque s’est d’abord appuyé sur des sources ethno-historiques, telles que les traditions orales récupérées par les chroniqueurs espagnols des XVIe et XVIIIe siècles. Mais depuis peu, les fouilles archéologiques dans les vallées arides du Pérou ont commencé à dévoiler de précieux indices indiquant un phénomène social résolument plus dynamique et complexe. C’est dans l’optique de combler ces lacunes avec de nouvelles données archéologiques récupérées in situ que Sâm Ghavami a concentré ses recherches sur la Huaca Pintada, «la pyramide peinte», un site archéologique situé au cœur même de la région de Lambayeque. L’œuvre fit parler d’elle pour la première fois en 1916 lorsqu’un groupe de pilleurs de tombes trouva par hasard l’une des plus belles découvertes de leur époque: une impressionnante peinture murale polychrome de plus de 18 mètres de long sur laquelle était représentée une majestueuse scène mythologique, composée de guerriers marchant dans la direction d’une divinité centrale. Malheureusement, les pillards détruisirent cette fabuleuse trouvaille. Les pluies et le passage du temps ont fini par enterrer les quelques restes et la nouvelle fut oubliée de tous.

Heureusement, à l’occasion d’une courte visite sur le site avant sa destruction, le célèbre ethnographe allemand Heinrich Brüning réussit à prendre plusieurs clichés. Ces maigres indications sous la main, Sâm Ghavami décide de vérifier si une trace de la prestigieuse peinture subsiste encore. En effet, la valeur de la peinture murale n’est pas seulement esthétique, puisque son style métissé, démontrant des éléments à la fois de la culture lambayeque et des archaïsmes de leurs ancêtres mochica, nous suggère que la Huaca Pintada a pu être témoin du processus de transformation qui anime sa recherche. Ainsi, au mois d’octobre dernier, au bout de la troisième et dernière campagne de fouilles et de nombreuses péripéties, Sâm Ghavami et son équipe retrouvent la trace du grand mur sur lequel était représentée cette fabuleuse scène. La partie centrale a été complètement détruite par les pilleurs, ceux-ci n’ont pas fouillé la totalité de la structure qui mesure en réalité 30 mètres de long. Ainsi, les parties externes, ensevelies depuis plus de mille ans, ont été épargnées et conservent leurs couleurs originales, telles que le rouge, le jaune, l’orange ou le bleu.