Troisième céréale la plus cultivée au monde, le riz contribue fortement au réchauffement climatique. De la plante, on ne garde en effet que son épi, tandis que le reste doit être brûlé. Un véritable gâchis qui provoque des émissions de CO2 considérables. Dans le cadre de sa thèse en bioinformatique, Jeferyd Yepes García, étudiant colombien à l’Université de Fribourg, planche sur une solution durable pour résoudre cet enjeu écologique.
«Avec la paille de riz laissée à l’abandon dans les champs de la planète après la récolte, on pourrait recouvrir la superficie du Canada!» A la manière de Paris-Match, Jeferyd Yepes García connaît le poids des mots et le choc des images. Il faut dire que ce problème, méconnu sous nos latitudes, mérite d’être empoigné à bras le corps. Et même si la Colombie, pays de provenance de Jeferyd Yepes García, est surtout connue pour l’excellence de son café, elle figure tout de même à un honorable 23e rang dans le classement des plus grands producteurs de riz, ce qui ne va pas sans poser des problèmes pour ses habitant·e·s. «Dans mon pays, les agriculteurs·trices procèdent rarement à la rotation des cultures, explique l’étudiant, ils brûlent la paille de riz pour pouvoir entamer au plus vite la récolte suivante.» Les conséquences sont immédiates, au niveau local d’abord avec du smog qui crée des problèmes respiratoires, puis au niveau global avec l’émission massive de gaz contribuant au réchauffement climatique.
Approche biologique
Il existe bien sûr des solutions chimiques ou physiques pour se débarrasser de la paille, mais toutes présentent des inconvénients, dont les plus évidents sont les coûts ou les pollutions engendrés. Au sein du groupe de bioinformatique de Laurent Falquet (BUGFri), Jeferyd Yepes García planche sur des stratégies biologiques: «Notre objectif est de déterminer quels sont les micro-organismes les plus susceptibles de décomposer rapidement la paille de riz. De cette manière, nous pourrions la réintégrer au sol, tel un terreau, ce qui permettrait d’en préserver la fertilité tout en évitant le recours au brûlis.»
Solution métagénomique
En collaboration avec des scientifiques de l’Université nationale de Colombie à Bogota, le projet se traduit par des essais en plein champ. Les scientifiques y «arrosent» la paille de riz avec différentes «mixtures» de micro-organismes. Au bout de trente jours, ils observent l’état de décomposition. Jeferyd Yepes García de son côté, par séquençage ADN, détermine quels sont les micro-organismes qui ont proliféré durant le processus. La mission n’est toutefois pas une sinécure! «Le problème, c’est que ces micro-organismes pullulent dans ce type de biome, j’en ai identifié plus de 8000 espèces.» Difficile dans ces conditions de déterminer ceux qui jouent un rôle prépondérant!
Mais le travail finit toujours par payer! La veille de l’interview, le doctorant de l’Université de Fribourg a pointé un candidat susceptible de faire son bonheur! Un soulagement qui lui permet d’entrevoir plus sereinement la seconde phase du projet: aujourd’hui, avec Laurent Falquet, son directeur de thèse, le doctorant en bioinformatique envisage de réutiliser la paille en voie de décomposition comme substrat pour la culture de champignons. Ce second projet revêtira un volet social puisqu’ils envisagent de le mettre en œuvre dans les zones rurales ayant souffert de la guerre civile.
«Si nous y parvenons, nous aurons vraiment mis au point une boucle vertueuse, une vraie économie circulaire», conclut, enthousiaste, l’étudiant Colombien.
Bille en tête, de la Colombie à Fribourg
Depuis sa plus tendre enfance, Jeferyd Yepes García caressait le rêve de vivre une expérience à l’étranger. C’est peu dire qu’il a dû s’armer de patience avant de le voir exaucer. En Colombie, une fois son Master d’ingénierie scientifique en poche, il a travaillé durant quatre années dans un lycée où il a enseigné la chimie, la physique et la biologie. Désireux de découvrir un nouvel horizon, il est devenu technicien de laboratoire pour une compagnie produisant de la nourriture pour le bétail, un «travail passionnant lui procurant un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée.» Rattrapé par son rêve d’enfance, aiguillonné par l’envie d’ajouter des cordes à son arc, il n’a toutefois pas hésité à quitter cet oreiller de paresse. «Un processus rude», avoue le doctorant, lui qui a dû écrire et envoyer plus de 200 postulations, dont la plupart sont restées sans réponse. L’une de ces bouteilles à la mer va pourtant atteindre les rives de la Sarine. «Quand le docteur Falquet m’a contacté, mon sang n’a fait qu’un tour», se souvient-il. Nous avons monté un projet et, sept mois, plus tard nous obtenions la Bourse d’excellence de la Confédération suisse.» Aujourd’hui, hormis son projet sur la décomposition de la paille de riz, il souhaite mettre à disposition des outils informatiques utiles aux chercheurs·euses intéressé·e·s par la métagénomique, cette technique scientifique qui permet d’étudier les gènes des micro-organismes se trouvant dans un environnement donné. Même s’il se sent parfois seul, loin de sa famille, Jeferyd s’estime infiniment privilégié et reconnaissant: «J’acquiers de nouvelles compétences, j’ai pu visiter de nombreux pays, regarder des matchs de la Ligue des Champions. Je ne regrette rien. Je le referais mille fois!»
- Site de Jeferyd Yepes García
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