«L’Open Access m’a fait faire des bonds en avant dans ma carrière»

«L’Open Access m’a fait faire des bonds en avant dans ma carrière»

RERO DOC est mort, longue vie à FOLIA. A l’occasion du lancement de cette nouvelle bibliothèque numérique, deux des ambassadeurs Open Access de l’Unifr reviennent sur les principaux avantages de la publication en libre accès.

Daniel Hürlimann et Paolo Borsa, vous faites tous deux figures d’ambassadeurs de l’Open Access à l’Unifr. Pourquoi?
Daniel Hürlimann: Il y a une dizaine d’années, alors que je préparais ma thèse de doctorat, je me suis intéressé à une publication en Open Access et j’ai constaté que cela s’annonçait presque impossible. De là est venue ma volonté de m’engager pour la cause du libre accès. En 2014, j’ai fondé une revue juridique Open Access, baptisée sui generis. Deux ans plus tard, j’ai organisé une conférence à Berne sur le thème du libre accès dans le domaine juridique. Des confrères allemands étaient présents et j’ai remarqué que, dans leur pays, la situation était la même qu’en Suisse: la publication Open Access est peu thématisée dans notre discipline. Depuis 2019, je suis ambassadeur de l’Open Access auprès du Fonds national suisse (FNS). J’ai par ailleurs fait partie du groupe qui a élaboré la factsheet consacrée par le réseau swiss academies à l’Open Science. Il est peut-être utile de préciser que toutes mes publications sont disponibles en libre accès. Si je le souligne, c’est que c’est un phénomène très rare parmi les chercheuses et chercheurs qui ne sont pas actif·ve·s dans le domaine des sciences naturelles.

Paolo Borsa: Je confirme: c’est très rare! Si cela peut vous faire vous sentir moins seul, Daniel, sachez que c’est aussi mon cas. (Rires) Pour répondre à la question: c’est probablement l’une de mes demandes qui est à l’origine de l’idée de créer la plateforme numérique SOAP2 hébergeant les revues en libre accès de l’Unifr et de plusieurs autres institutions, sur le modèle de celle qui existe dans l’Université qui m’employait précédemment, celle de Milan. Là-bas, durant une dizaine d’années, j’ai beaucoup travaillé sur la promotion de l’Open Access. En outre, depuis 2015, je suis co-éditeur auprès de la revue littéraire Interfaces, disponible en libre accès. Concernant SOAP2, je tiens à souligner au passage que ce projet, dont l’Unifr est la leading house, n’aurait pas vu le jour sans la détermination et l’expertise du bibliothécaire et médiathécaire scientifique Thomas Henkel.

Daniel Hürlimann: Paolo, puis-je vous proposer au FNS comme ambassadeur Open Access?

Paolo Borsa: Bien sûr, j’en serais ravi et honoré!

Daniel Hürlimann, vous avez indiqué que dans votre branche, le droit, l’Open Access ne va pas franchement de soi…
Daniel Hürlimann: Je pense que c’est principalement dû à certains raccourcis. Par exemple le fait qu’en Suisse, les textes juridiques sont rarement rédigés en anglais et qu’on pourrait en déduire que l’échange international n’est central que dans les disciplines scientifiques où l’on n’écrit qu’en anglais. Or, l’échange entre pays francophones ou germanophones est également très précieux. Autre raison: les lectrices et lecteurs sont souvent des avocat·e·s, dont on estime qu’ils ont «assez d’argent» pour payer l’accès à l’information. Sans oublier le fait que dans une discipline comme le droit, la pression de publier est moins forte que dans d’autres.

Pourquoi la publication en libre accès est-elle importante et intéressante?
Paolo Borsa: En tant que chercheur financé par l’argent public, j’estime qu’il est de mon devoir de mettre librement à disposition le fruit de mon travail scientifique. Et qu’il y a des tas d’avantages à le faire. L’Open Access m’a fait faire des bonds en avant dans ma carrière, notamment parce qu’elle a dopé mon réseau.

Daniel Hürlimann: Je suis d’accord avec vous, Paolo: il est important que les contribuables qui paient nos recherches aient la possibilité d’en découvrir les résultats. Mais à l’intérieur du monde académique aussi, il est essentiel de faire mieux circuler les différentes recherches. L’Open Access a l’avantage de faciliter la transdisciplinarité. Prenons mon exemple: lorsque je préparais ma thèse d’habilitation sur le droit de la fin de vie, mes recherches ont été grandement facilitées par le libre accès à des articles médicaux. A l’inverse, il y a des domaines juridiques qui concernent un très grand nombre de personnes, comme le droit du travail ou le droit du bail.

Paolo Borsa: Absolument, l’Open Access favorise la transdisciplinarité. Il est souvent arrivé que des chercheuses et chercheurs issu·e·s d’autres domaines me contactent seulement parce que les résultats de mon travail sont en ligne, donc qu’on tombe forcément plus facilement dessus.

Daniel Hürlimann: Idem pour les médias: grâce au libre accès, les journalistes sont davantage susceptibles d’avoir vent de certaines recherches et, par ricochet, de les citer dans des articles.

Paolo Borsa: Cela rejoint un autre avantage que je voulais citer, à savoir l’effet boule de neige. En publiant en Open Access, on ouvre potentiellement la porte à des milliers et des milliers de téléchargements…

Qui dit milliers de téléchargements dit aussi milliers de commentaires potentiels; n’est-il pas intimidant d’être tellement «exposé»?
Paolo Borsa: Certes, on s’expose davantage au jugement, notamment celui des pairs. Mais si on travaille consciencieusement, je ne vois pas trop où est le problème. A l’inverse, cette exposition est essentielle à la circulation des idées et de la recherche. Et puis, comme je l’ai dit précédemment, elle fait connaître les chercheuses et chercheurs et leur permet éventuellement d’avancer dans leur carrière.

Mais, au fond, quelle différence avec des réseaux sociaux scientifiques du type Academia.edu?
Paolo Borsa: Publier en Open Access n’est pas du tout la même chose que publier entre collègues et/ou amis sur ces réseaux sociaux. Notamment parce qu’il ne s’agit pas juste de «mettre en ligne» un texte mais de respecter des règles juridiques et techniques. Le libre accès implique d’adopter des licences d’utilisation appropriées (notamment les licences Creative Commons) et de choisir des lieux de publication, qu’il s’agisse de revues ou de dépôts. Ces derniers garantissent la conservation à long terme des données et utilisent des protocoles de métadonnées favorisant l’interopérabilité et la diffusion, ou plutôt la dissémination, des résultats de la recherche scientifique.

Daniel Hürlimann: Exactement: les plateformes privées du type Academia.edu ne représentent pas une option durable. Si elles venaient à fermer, les articles publiés pourraient disparaître. De telles plateformes peuvent aussi être rachetées, comme cela s’est produit dans le cas de SSRN, qui appartient désormais à Elsevier.

Contrairement à vous, certaines chercheuses et chercheurs se montrent sceptiques face à l’Open Access, voir carrément hostiles. Pourquoi?
Paolo Borsa: Pour différentes raisons. Il y a notamment des scientifiques qui, ayant fait toute leur carrière à l’intérieur d’un cercle fermé, ressentent à juste titre un certain stress à l’idée de s’exposer au jugement d’une grande communauté de pairs. Mais, aujourd’hui, l’une des principales critiques faites à l’Open Access, c’est la question du modèle d’affaires. Ce feu de critiques est attisé par certains éditeurs traditionnels, qui font croire aux auteur·e·s que le seul moyen de publier en libre accès est de payer. C’est faux! Certes, ce qu’on appelle la voie dorée peut impliquer des frais de publication. Mais il existe d’autres modèles. La voie verte (ou deuxième publication) permet le dépôt sans frais d’un article dans une base de donnée publique comme FOLIA (voir encadré). Ce tantôt dans la version de l’éditeur (après avoir respecté ou pas un délai d’attente suite à sa première publication payante), tantôt dans la version postprint. Quant à la voie diamant (ou voie platine), qui est celle de la plateforme SOAP2, elle prévoit que les frais liés à la publication sont financés en amont par une Université, une ONG, un réseau de bibliothèques, etc.

Daniel Hürlimann: C’est justement notre travail, à nous les «ambassadeurs de l’Open Access», de montrer ces différentes voies aux chercheuses et chercheurs. Et, par ricochet, de les protéger contre ces tristement célèbres «journaux prédateurs», qui constituent eux-aussi un grand motif de critique envers le libre accès. Pour mémoire, il s’agit de publications qui tentent de tirer profit du modèle «auteur-payeur». Ils attirent des chercheuses et chercheurs en leur promettant une publication rapide. Cette dernière se fait contre un montant parfois exorbitant et est souvent dépourvue de tout intervention éditoriale.

Paolo Borsa: D’où l’importance de bien choisir le lieu où l’on publie ses textes… Les bibliothécaires sont eux aussi des actrices et acteurs importants du processus de sensibilisation.

Y a-t-il d’autres aspects de l’Open Access qui nécessiteraient un meilleur accompagnement?
Daniel Hürlimann: Je rencontre parfois de jeunes chercheuses et chercheurs qui souhaiteraient publier en Open Access, mais m’expliquent que pour faire avancer leur carrière, ils se doivent de placer leurs articles dans telle ou telle revue. Là aussi, je constate qu’on pourrait améliorer l’information sur le libre accès et les différentes voies et options à disposition des auteur·e·s.

Paolo Borsa: Il faut néanmoins bien avouer que l’un des défis principaux en matière d’Open Access, c’est de négocier avec les éditeurs traditionnels le droit de publier en libre accès. Cela dit, il ne faut pas se décourager trop vite: certains éditeurs sont tout à fait disposés à entrer en matière. Reste la question des droits d’auteur: personnellement, j’ai décidé de ne jamais les céder.

Daniel Hürlimann: Moi non plus, je ne cède pas les droits de mes publications.

Une bibliothèque numérique flambant neuve
Depuis novembre 2021, l’Unifr dispose d’un nouveau serveur institutionnel. Baptisé FOLIA, cet outil permet d’accéder librement aux publications scientifiques de l’Alma mater, qu’il s’agisse de postprints, de rapports, de thèses ou de mémoires. C’est également sur cette plateforme gérée par la Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) que les chercheuses et chercheurs peuvent déposer leurs articles. L’idée de la Fribourg Open Library and Archive (FOLIA) a émergé suite à l’annonce de la mise hors service, à la fin 2021, du portail RERO DOC. Ce dernier permettait notamment d’accéder au texte intégral de plus 8500 articles publiés par des chercheuses et chercheurs de l’Université de Fribourg, mais aussi à des centaines de thèses, mémoires, livres, rapports de recherche ou working papers, parfois organisés en collections ou séries. Entre août 2013 et septembre 2021, les publications de l’Unifr déposées sur RERO DOC ont généré plus de 1’500’000 consultations.

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  • Daniel Hürlimann est lecteur auprès du Département de droit public de l’Unifr et professeur de droit de l’informatique à la Haute école spécialisée bernoise.
  • Paolo Borsa est professeur ordinaire en Littérature italienne à l’Unifr.
    Photo portrait: © Sandra Clerc, Unifr
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Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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