AboRécit de vie«Je suis la première femme musulmane à devenir aumônière dans l’Armée suisse»
Après quelques années en tant que «soldat du train» et une formation spécifique validée l’été dernier, la capitaine Nida-Errahmen Ajmi se confie sur sa fonction.

- Nida-Errahmen Ajmi, 29 ans, est capitaine aumônière dans l’Armée suisse depuis janvier.
- La Fribourgeoise est titulaire d’un master sur les religions décroché à l’Université de Fribourg.
- La jeune femme pratique la moto dès les beaux jours et s’est construit une certaine notoriété sur les réseaux sociaux grâce à ses illustrations.
- Elle accompagne spirituellement les militaires, conciliant pratique religieuse et service.
Dans l’armée, nous portons tous le même uniforme. Le seul élément qui me distingue de mes camarades est mon couvre-chef noir qui enserre mes cheveux sous mon béret ou ma casquette. Mais cela n’est pas le signe distinctif qui attire le plus les regards. Le fait que je sois une femme et que j’aie choisi de faire l’armée alors que je n’y suis pas obligée est finalement ce qui suscite le plus de questions.
J’ai été nommée capitaine aumônière en juin dernier, dès que ma formation, un CAS (Certificate of Advanced Studies) sur le thème «Pratiquer l’accompagnement spirituel musulman dans les institutions publiques», suivi au Centre suisse islam et société (CSIS) de l’Université de Fribourg, a été validée. Après deux ou trois coups de main donnés sur la place d’armes à laquelle je suis affectée, ça n’est véritablement qu’en janvier de cette année que j’ai pris mes fonctions officielles. Et je ne regrette pas mon choix, car il est le résultat d’un long parcours et d’une réflexion nourrie.
Plus de 149’000 followers sur TikTok
Née à Fribourg en 1995 de parents d’origine tunisienne, rien ne me prédestinait vraiment à intégrer l’armée. Aucun de mes parents n’a eu de carrière militaire. Dans la vie civile, je suis quelqu’un de très actif et de très curieux. Après un bachelor en ethnologie et en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Neuchâtel et un master «Sociétés plurielles» avec focus sur les religions décroché à l’Université de Fribourg, je suis aujourd’hui responsable de la communication digitale de l’ONG ATD Quart Monde, qui travaille notamment sur la pauvreté en Suisse. Je travaille aussi pour l’Université de Fribourg, au Centre suisse islam et société, et je suis coordinatrice de la formation que j’ai moi-même suivie sur l’aumônerie musulmane dans les institutions publiques suisses.
Sportive, je fais beaucoup de fitness, je suis aussi passionnée de moto et, dès les beaux jours, je roule en BMW S 1000 R. Enfin, je suis illustratrice, très active sur les réseaux sociaux et notamment sur TikTok, sous mon pseudo Nidonite où je suis suivie par 149’300 abonnés. Bref, un quotidien déjà bien rempli.
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Pourquoi s’engager dans l’Armée suisse?
Comment ai-je eu envie de m’engager dans l’armée? C’est venu petit à petit. Au début, j’ai vraiment pensé qu’en tant que femme, et femme musulmane, ça n’était pas fait pour moi. Puis, à ma majorité, j’ai reçu l’invitation à la journée d’information. Et là, je me suis rendu compte que les femmes étaient les bienvenues. Je me suis documentée, j’ai cherché des infos sur internet, j’ai parlé avec des filles qui avaient vécu l’expérience. Je crois que cela collait aussi avec ma personnalité, l’idée de camaraderie, de discipline, de dépassement de soi. La volonté de servir. Les hommes aussi nous amènent à nous questionner quand on se lance dans l’armée, entre ceux qui sont super motivés par notre engagement et ceux qui ne comprennent pas qu’on soit volontaires pour quelque chose qu’ils ne feraient pas s’ils en avaient le choix.
J’ai finalement suivi la journée d’information, puis, après encore une période de réflexion, je me suis inscrite aux journées de recrutement. J’ai réussi tous les tests psychologiques et les tests physiques. Physiquement, j’étais la seule parmi les femmes présentes à atteindre les 65 points nécessaires pour débloquer les trois quarts des fonctions à l’armée, c’est-à-dire pour pouvoir choisir parmi les trois quarts des métiers possibles.

Très proche des animaux, j’ai choisi de m’engager dans les «troupes du train», dont la fonction est de transporter du matériel et de ravitailler les personnes qui se trouvent dans des lieux inaccessibles, grâce à des chevaux. J’ai vraiment adoré faire partie de ce corps d’armée, et je porte toujours leur blason sur mon uniforme.
À l’armée, tolérance zéro sur les discriminations
En treillis, c’est l’égalité qui règne. Et en tant qu’institution, l’armée observe une tolérance zéro quant à la discrimination. Alors, oui, il arrive toujours qu’il y en ait qui arrivent avec un bagage sexiste ou xénophobe. Mais, dans mon cas, les camarades, comme les cadres, ont eu vite fait de recadrer les choses. J’ai pu vivre des difficultés qui sont propres à mon identité. Mais comme je l’ai souvent dit, celles qui m’ont le plus impactée, c’était plutôt le fait que j’étais une Romande dans une section en majorité germanophone et le fait que je suis une femme issue d’un milieu urbain et intellectuel qui a dû évoluer avec des camarades issus d’un milieu plus rural et manuel.
L’envie de devenir aumônière est venue avec le temps. Quand j’étais soldat du train, j’ai vécu la même tension que toutes les recrues. Et je me suis rendu compte que grâce à la multiplication de mes expériences en tant que femme, en tant que Romande, en tant que personne qui est dans un milieu urbain, en tant que personne qui a une sensibilité spirituelle et religieuse assez forte, je pouvais aider. Mais en 2019, il n’était pas encore possible de devenir aumônier à l’armée si on ne faisait pas partie de l’une des deux églises principales incorporées dans l’aumônerie, soit les catholiques romains et les protestants. Mais les choses évoluent petit à petit. Et en 2022, les deux premiers aumôniers d’origines juives et le premier aumônier d’origine musulmane ont été nommés. J’ai fait en sorte de suivre les formations adéquates et adaptées pour ce rôle, car les conditions sont strictes, dans l’idée de respecter le règlement de l’armée.
Accompagnement spirituel pour ceux qui en ont besoin
Mon rôle? C’est vraiment d’assister spirituellement des personnes. L’accompagnement spirituel comprend les questions éthiques, existentielles, morales et religieuses. Pour moi, c’est la croyance que tout humain a une spiritualité qui va s’exprimer différemment. Ça va être éventuellement une expression religieuse, ou quelque chose qui est en nous et qui nous dépasse. Ça peut être Dieu, ça peut être des valeurs éthiques, ça peut être le lien aux communautés, à l’humain. Concrètement, je suis présente et à l’écoute des autres, musulmans ou non. Je peux aider pour que chacun puisse concilier sa pratique religieuse avec le service militaire, un musulman qui souhaite faire ses cinq prières, un chrétien qui souhaite aller à la messe le dimanche alors qu’il est de garde.
Mais je suis aussi souvent sollicitée par des jeunes qui vivent mal le déracinement, l’éloignement avec leur famille et leur petite amie par exemple, c’est très courant. J’aide aussi à valoriser ceux qui se sentent parfois dévalorisés par les conditions difficiles. Je ne me vois pas du tout comme un guide spirituel, mais finalement comme une accompagnatrice qui met sa capacité d’écoute et son expérience au service des autres.

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