SantéPublié le 13.04.2023

Comment percevons-nous nos propres mouvements?


Même dans le noir le plus total, tout le monde est capable de porter une bouteille d’eau à ses lèvres. Un exploit rendu possible grâce une sorte de sixième sens qui supplée la vue: la proprioception. Cette dernière permet de percevoir la position de nos membres dans l'espace. Des neuroscientifiques de l’Université de Fribourg ont mis en évidence le rôle clé joué par certains neurones du cortex somatosensoriel. Publiés dans la revue Nature Communications, ces résultats pourront servir à développer des neuroprothèses plus performantes.

C’est tellement banal qu’on en vient à oublier la merveilleuse complexité du moindre de nos gestes. Saisir une bouteille, la porter à sa bouche pour en boire le contenu, même les yeux fermés, ne présente aucune difficulté et n’épate personne. Et pourtant! Ce mouvement maîtrisé n’est possible que grâce à des capteurs spécialisés, qu’on qualifie de propriocepteurs, situés dans nos muscles, dans nos tendons et articulations. Ces capteurs envoient au cerveau l’information sur la position instantanée du membre. «La proprioception est un système sensoriel méconnu, mais essentiel pour percevoir où se trouvent nos membres et comment ils se déplacent dans l'espace», explique le Professeur assistant Mario Prsa du Département des Neurosciences et des Sciences du Mouvement de l'Université de Fribourg (UNIFR). Avec ses collègues, il a cherché à identifier quels signaux spécifiques sont perçus et encodés dans le cerveau lorsque le système proprioceptif est activé.

Le corps sert de référence aux mouvements de ses propres membres
Pour y parvenir, les neuroscientifiques de l'Unifr ont étudié le comportement de souris entraînées à effectuer une tâche perceptive. «Nous avons développé un système robotique pour délivrer des stimuli proprioceptifs bien quantifiables aux membres antérieurs des souris», explique Irina Scheer, doctorante dans l'équipe du Professeur assistant Prsa. En déplaçant leurs membres dans différentes directions, nous avons remarqué que les souris font une distinction étonnante entre des mouvements qui s’éloignent de leur corps et ceux qui s’en rapprochent.» L'équipe de Mario Prsa a aussi pu démontrer que les signaux proprioceptifs remontent des muscles des membres antérieurs de la souris vers le cortex et a identifié les régions corticales qui traitent les stimuli proprioceptifs consciemment perçus.

Que codent les neurones?
Dans une deuxième série d'expériences, les chercheurs ont utilisé la microscopie à deux photons pour visualiser l'activité de centaines de neurones dans les zones corticales proprioceptives précédemment identifiées. «Nous avons observé que ces neurones codent la proprioception des membres en termes de direction du mouvement plutôt qu'en termes de position spatiale ou de posture, explique Ignacio Alonso, doctorant et co-premier auteur de l'étude. Cependant, toutes les directions ne sont pas également représentées et, étonnamment, cette représentation non uniforme n’est pas organisée le long de l'axe du membre mais plutôt en fonction de l'axe du corps». Ces résultats, publiés dans la revue Nature Communications, suggèrent donc que les souris ne perçoivent pas leurs membres comme étant fléchis ou étendus, mais plutôt comme se rapprochant ou s’éloignant de leur propre corps.

Un modèle pour les neuroprothèses bidirectionnelles
Si l’on souhaite qu’une neuroprothèse remplace complètement un membre paralysé ou amputé, celle-ci doit être capable de renvoyer des signaux sensoriels au cerveau afin d’imiter la proprioception. Une question clé est de savoir quelles propriétés du mouvement ces appareils de nouvelle génération doivent prendre en compte lors de la conception des paramètres de stimulation? «Nos découvertes suggèrent que les paradigmes de stimulation devraient être basés sur la façon dont le bras artificiel se déplace par rapport à des cibles pertinentes, telles que le propre corps du patient», explique Mario Prsa. Au-delà des neuroprothèses bidirectionnelles plus précises, ce domaine de recherche peut nous permettre de mieux comprendre la nature, souvent bizarre, des troubles proprioceptifs et inspirer de nouvelles approches thérapeutiques.»

> Alonso I, Scheer I, Palacio-Manzano M, Frézel-Jacob N, Philippides A, Prsa M:
Peripersonal encoding of forelimb proprioception in the mouse somatosensory cortex