Dossier
France et gestation pour autrui: «Je t’aime, moi non plus!»
La gestation pour autrui (GPA), une forme possible de procréation médicalement assistée, fait débat en France. Les promesses politiciennes se heurtent à une exécution délicate des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déjà condamné la France à quatre reprises.
«Il n’est pas possible de traiter les enfants [nés à l’étranger de GPA] comme des étrangers dans leur propre pays.» Le candidat Macron, en plein débat du second tour, a rallumé les espoirs des familles et des quelque 2’000 enfants concernés dans l’Hexagone. Mais la question cristallise une foule de postures juridiques, éthiques et sociales, toutes complexes et passionnées. Doctorante et lectrice à la Faculté de droit de l’Université de Fribourg, Tiffaine Stegmüller décrypte pour nous: «La France fait œuvre de pionnier: les politiciens y sont les premiers à promettre un changement, peut-être parce qu’ils n’ont plus le choix. Ils sont au pied du mur!»
Une partition au cœur de la cacophonie?
«La baisse mesurable de la fertilité et des adoptions n’ôte en rien le désir d’enfants», relève la chercheuse. Pour certains couples ou célibataires, la GPA à l’étranger représente l’ultime espoir de devenir parents… Que l’un des deux parents d’intention soit stérile ou non, que les membres du couple soient hétéro- ou homosexuels, mariés ou non, un don d’ovule et/ou de sperme ainsi qu’une mère porteuse, rémunérée ou non, leur permettent de réaliser ce projet de parentalité. «Interdite en France, la pratique de la GPA est possible à l’étranger, poursuit Tiffaine Stegmüller. Il en découle des questions juridiques, touchant notamment à la reconnaissance des liens de filiation créés à l’étranger», dans une combinatoire mêlant droit international privé, présence ou absence de lien biologique ou génétique, constellations familiales variables et en constante évolution… Dans un concert sans unisson entre les nations, la France est le premier Etat à avoir été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et peine à résoudre les cas qui lui ont valu d’être sanctionnée. Elle se doit de jouer une partition, de répondre à l’espoir né des déclarations du désormais Président Macron, ainsi que de gérer les tensions entre les partisans du Mariage pour Tous, ouvert aux couples de personnes de même sexe depuis 2013, et ceux de la famille traditionnelle des Manifs pour Tous.
C’est au pied du mur qu’on le voit le mieux: les attentes légitimes des familles quant à une France là aussi en marche et les condamnations de la CEDH la forcent à agir. Comme cela ne suffisait pas, le Comité consultatif national d’éthique français vient enflammer le débat: catégoriquement hostile à la GPA, il pointe des violences économiques, sanitaires et psychiques qui s’exercent sur des femmes recrutées comme gestatrices, et sur les enfants, objets de contrats entre parties très inégales. Et estime que le tourisme procréatif mène à la marchandisation de la femme (une GPA en Californie coûterait environ 100’000 USD contre dix fois moins en Inde!) et porte atteinte à la dignité de l’enfant. «La Convention internationale des Droits de l’Enfant prévoit un droit à la connaissance de ses origines. La connaissance de son identité et de toutes les personnes qui ont participé au processus de procréation en fait, selon moi, partie intégrante. Ce point m’apparaît toujours plus crucial pour amorcer une réponse concluante», commente Tiffaine Stegmüller.
GPA transfrontalière
Ses recherches s’attardent en effet sur les questions de la reconnaissance de la filiation et de la transcription des actes étrangers dans les registres nationaux. En l’absence de consensus européen, chaque pays y va de sa législation et de sa jurisprudence. La pratique de la GPA est admise dans certains Etats d’Amérique, comme la Californie, l’Inde, l’Ukraine ou la Russie entre autres, qui délivrent des décisions et/ou actes de naissance aux parents étrangers et considèrent le ou les parents d’intention comme parents légaux. Mais selon les lois en application dans le pays d’origine des parents d’intention, un enfant peut se retrouver sans parents légaux, apatride, voire sans document de voyage! Dans sa jurisprudence, la France, qui invoquait jusqu’à peu des motifs d’ordre public, s’appuie désormais sur la réalité biologique. «La Garde des Sceaux Christiane Taubira avait bien émis en 2013 une circulaire accordant la nationalité française aux enfants nés par GPA à l’étranger, mais les obstructions à la transcription dans les registres nationaux sont permanentes, sanctionnées par de nouvelles condamnations de la CEDH», ajoute la juriste. Pour mettre un peu d’ordre dans ce pataquès, la Conférence de La Haye, qui vise à l’harmonisation des règles de droit international privé et a déjà élaboré des conventions dans le domaine des régimes matrimoniaux, des successions ou de l’adoption internationale, s’est emparée du sujet. Pour Tiffaine Stegmüller, une lueur d’espoir au bout du tunnel juridique. Et peut-être une planche de salut pour les époux Mennesson et leurs deux jumelles nées par GPA en Californie, bientôt 17 ans, pas encore inscrites dans le livret de famille français mais Américaines grâce au droit du sol.
La voix des Mennesson
Après avoir découvert qu’une malformation l’empêchait de porter un enfant, Sylvie Mennesson et son époux Dominique ont eu recours à un don d’ovocytes d’une troisième femme, différente de la gestatrice. En octobre 2000, les deux jumelles Valentina et Fiorella naissent, le combat juridique pouvait commencer! La Cour suprême californienne décréta les époux Mennesson parents légaux, mais la France refusa l’inscription des filles sur ses registres d’état civil. S’ensuivirent des années de procédure devant les instances françaises, puis une requête devant la CEDH. Les juges de Strasbourg ont considéré en 2014 une violation de la vie privée des enfants eu égard aux conséquences sur l’établissement de leur identité, leur nationalité et leurs droits sur la succession de leurs parents. Sans passeports français ni inscription dans le livret de famille, les Mennesson continuent à se battre, réunissant des soutiens au sein de leur association CLARA (Comité de soutien pour la Légalisation de la GPA et l’Aide à la Reproduction Assistée). Et donnent de la voix, comme lorsque la Cour de Cassation française rendait, le 5 juillet dernier, plusieurs arrêts autorisant la transcription dans les registres de l’état civil français en ce qui concerne le père biologique, mais pas pour la mère d’intention, sommée de se tourner vers une procédure d’adoption. Selon eux, une discrimination de plus visant à dissuader les couples de pratiquer une GPA à l’étranger.
Quant aux filles, interviewées il y a deux ans par Le Figaro, elles relevaient être des ados normales, certes conçues différemment, et considéraient avoir une famille aimante, un papa et une maman, et non trois comme on leur assène parfois. Tout en se disant lassées que tant de monde embrouille leur bonheur de vivre!
Quelle voie pour la France?
Alors au final, quelle voie possible pour la France? «Si le Président Macron ne veut pas légaliser la GPA, il semble déterminé à donner un statut aux enfants qui en sont issus, conscient que ce n’est pas à eux de supporter le choix des parents», conclut Tiffaine Stegmüller. «L’intérêt de la France comme des familles et des enfants serait d’aller vers un assouplissement, dans l’attente d’une possible convention de la Conférence de La Haye. Une vraie volonté politique et les requêtes encore pendantes à la CEDH l’y mèneront peut-être.»
Et en Suisse?
La maternité de substitution est interdite par la Constitution ainsi que par la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée. En 2015, le TF a confirmé, dans deux arrêts, que le droit suisse permet uniquement de reconnaître un parent génétique. La jurisprudence très restrictive évoluera peut-être une fois la requête déposée à la CEDH jugée. En outre, dès 2018, les partenaires concubins ou enregistrés pourront adopter l’enfant du partenaire.
Le cas du PDC zurichois Markus Hungerbühler a défrayé la chronique il y a peu. Lui et son partenaire enregistré ont eu recours à une GPA aux Etats-Unis. Conscient d’avoir contourné l’interdiction suisse, il se défend toutefois d’avoir violé une loi en Suisse. Sa toute jeune fille, elle, fait son bonheur et rejoint le millier d’enfants estimés nés par GPA à vivre en Suisse.
Notre experte Tiffaine Stegmüller prépare, sous la direction de la Professeure Christiana Fountoulakis, une thèse sur «La reconnaissance en Suisse des liens de filiation créés à l’étranger moyennant une méthode de procréation médicalement assistée». Déjà auteure de l’étude «Tourisme procréatif et reconnaissance des liens de filiation: la jurisprudence embryonnaire de la CEDH et du TF», publiée en 2016, elle a aussi participé, fin 2016, au 1er Congrès International sur la GPA organisé à Paris et écrit des articles dans le domaine plus large du droit de la bioéthique.