Dossier
Sous les pavés de la laïcité, la créativité de l’Eglise
Championne de la laïcité dure, la France s’emploie à expurger toute trace du religieux dans l’espace public. Par effet de balancier, le pays voit fleurir les initiatives originales en faveur de la catéchèse et de l’évangélisation. Analyse avec le Professeur de théologie François-Xavier Amherdt.
Interdiction dans les mairies et les écoles républicaines des crèches et sapins de Noël, interdiction pour les employés de la fonction publique de porter un signe ostensible chrétien, interdiction pour les membres d’une congrégation religieuse de se rendre dans une institution étatique en arborant leur habit religieux: la France fait figure de championne de la laïcité dure. A tel point qu’elle donne parfois l’impression d’avoir oublié son baptême, selon le pape Jean-Paul II.
«L’instauration d’une société rigoureusement laïque en France remonte à 1904, lorsqu’ont été promulguées des lois sur la séparation entre Etat républicain et Eglise catholique», explique l’abbé François-Xavier Amherdt. Reste que la Révolution de 1789 (et la Terreur qui a suivi quelques années plus tard) avait déjà imposé «la suppression de nombreuses composantes de l’Eglise catholique, la confiscation du patrimoine ecclésial ou encore l’interdiction de congrégations religieuses», précise le professeur de théologie de l’Unifr.
Laïcisme réducteur
Aujourd’hui, «beaucoup s’emploient en France à expurger toute trace du religieux dans l’espace public et à le reléguer dans la sphère privée de chaque personne». Au terme laïcité, on pourrait même substituer celui de laïcisme, à savoir le fait de «pousser la séparation entre l’Etat et les communautés religieuses au point de bannir toute possibilité de manifestation d’une pensée ou d’un élément religieux au sein des institutions civiles», commente François-Xavier Amherdt.
La laïcité dure «se traduit par exemple dans la totale distinction entre les écoles publiques laïques, où rien de ce qui est religieux ne trouve sa place – sauf une forme d’aumônerie –, et les écoles catholiques privées, qui comportent des cours d’enseignement religieux et des aumôneries confessionnelles». Ce laïcisme à la française «est réducteur, car il ne ménage aucune place – au nom du rationalisme des Lumières compris comme soi-disant opposé à la foi – à la dimension spirituelle et religieuse de tout être humain», dénonce le professeur.
La Suisse concernée
Ce phénomène déteint sur certains cantons suisses limitrophes, qui sont marqués «par une laïcité parfois agressive, aux antipodes de ce qui se vit dans la plupart des autres régions du pays». Genève et Neuchâtel ne prévoient, à la différence de Vaud, du Jura, de Berne, de Fribourg et du Valais, «aucun enseignement religieux dans l’ensemble des degrés scolaires primaires et secondaires». Tout comme la France, ils rejettent par ailleurs «l’exercice des convictions religieuses hors des institutions cantonales». Et l’abbé Amherdt de donner l’exemple du projet de règlementation genevoise sur la laïcité.
Contrairement à ce «réductionnisme laïciste», la laïcité qui prévaut dans la plupart des cantons suisses «consiste certes à prévoir une distinction entre le pouvoir de l’Etat et l’organisation des Eglises, mais en même temps à considérer le domaine public comme un espace neutre où les diverses opinions peuvent s’exprimer et où les différentes traditions religieuses ont le droit de faire entendre leur point de vue et de se manifester publiquement». Le théologien ajoute que cette laïcité «est bien sûr parfaitement légitime et nécessaire au vivre ensemble».
Vidéos humoristiques et retraites en ligne
En France, parallèlement à la laïcité dure – et à la baisse globale de fréquentation paroissiale –, on observe pourtant deux phénomènes qui vont dans le sens inverse. D’une part, «un peu comme un retour de balancier et une réplique forcée à beaucoup de voix politiques actuelles», les catholiques dits identitaires montent le ton. François-Xavier Amherdt cite les grandes manifestations qui se sont tenues contre le «Mariage pour tous» ou en faveur du candidat républicain aux présidentielles, à l’identité chrétienne affirmée.
D’autre part, «jamais autant d’initiatives nouvelles n’ont été prises dans le catholicisme français pour la catéchèse, la diaconie, l’évangélisation ou le dialogue œcuménique et interreligieux». Les exemples sont légion: paroisses confiées à des équipes de laïcs (baptisés non ordonnés) qui en gèrent la vie ecclésiale; groupes de solidarité pour intégrer les immigrés; diocèses jumelés avec leurs homologues au Proche et Moyen-Orient; espaces spirituels de silence ouverts au centre des grandes villes; camps de jeunes autour de la Parole; parcours de formation de base pour personnes éloignées de l’Eglise; vidéos humoristiques et blogs; retraites en ligne pendant les temps de Carême et d’Avent, etc.
«La France catholique redevient donc un laboratoire de créativité ecclésiale et d’engagement social de toutes tendances politiques», se réjouit le Professeur Amherdt. Le cas hexagonal n’est pas isolé, constate-t-il. «Un phénomène semblable se produit dans d’autres pays de la planète, de l’hémisphère Nord comme Sud: lorsque l’Eglise catholique se retrouve dans une situation minoritaire, elle est amenée à être plus active, faire du neuf, voire se réinventer, afin d’exister et parvenir à annoncer l’Evangile.»
Notre expert François-Xavier Amherdt est professeur de théologie pastorale, de pédagogie religieuse et d’homilétique. Fin observateur du rôle de l’Eglise au sein de la société, il répond volontiers aux sollicitations des médias (presse, radio, TV) et participe à des débats et tables-rondes pour grand public.