Question d'enfant

Comment expliquer les couleurs à un aveugle?

Toma, 13 ans, veut savoir…

Pour le voyant, la couleur semble une information évidente et indispensable. Mais en réalité, elle est impalpable, indescriptible et complètement arbitraire.?

Le soleil est jaune, l’herbe est verte, le ciel est bleu. Depuis vos premiers dessins d’enfants, c’est une évidence. Pourtant, si on y réfléchit un peu, tout se complique. Parce que quand le soleil brille, l’herbe jaunit et que, lorsqu’il se voile, le ciel devient gris. Et puis: pourquoi les roses sont-elles rouges… ou jaunes? Plus complexe encore: si la mer, comme le ciel, est bleue, pourquoi dit-on que l’eau est transparente? Bref, décoder les couleurs est, en fait, un casse-tête linguistique et neuronal qui niche au creux de notre cerveau, dans une zone minuscule, connue par les spécialistes sous le nom de V4.

Pourquoi minuscule? «Pour l’être humain, la couleur est une information facile à extraire; elle ne nécessite pas un gros processeur, parce qu’elle ne résulte pas d’un gros travail d’apprentissage, contrairement au langage, par exemple», explique Roberto Caldara, professeur de psychologie à l’Unité de neurosciences visuelles et sociales.

Donnée, donc, la couleur, quand on y voit. Complexe pourtant à expliquer à quelqu’un qui n’en a aucune expérience. Et pourquoi donc? Parce que, contrairement aux sons qui résultent uniquement de la propriété physique d’un objet – le bruit de la pluie, un oiseau qui chante, le cliquetis des clés dans un sac – la couleur est complètement arbitraire.

 

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Alors si une porte, un pull, un meuble peuvent être de toutes les couleurs imaginables sans aucune raison objective, comment expliquer la couleur à quelqu’un qui ne voit pas? Pour Roberto Caldara, «c’est un concept quasiment impossible à expliquer, parce qu’il dépasse l’aspect purement visuel. On ne peut pas expliquer la couleur en soi. Par contre, on peut essayer d’expliquer le spectre des couleurs, du blanc au noir, en passant par des analogies». En clair, si la vision manque, il faut passer par les autres sens pour tenter de faire percevoir la variation des couleurs. On peut utiliser, par exemple, des lampes plus ou moins chaudes, des mets plus ou moins épicés ou des symboles. Mais cela reste des analogies imprécises et parfois terri-blement personnelles, puisqu’une couleur évoque souvent une chose et son contraire. Le rouge, par exemple, représente à la fois l’amour et la destruction.

Et puis, contrairement à ce que l’on pourrait croire, voir n’est pas donné. Cela s’apprend. Le système visuel est l’un des plus complexes au niveau cérébral. Dès le plus jeune âge, des aires très spécifiques sont sollicitées. Elles se développent pour décoder tous les signaux captés par la rétine: forme, mouvement, mais aussi visage, écriture et couleur… Si la rétine ne transmet aucun signal au cortex visuel, le cerveau réattribue les parties non sollicitées pour qu’elles effectuent les mêmes tâches, à partir de signaux différents. Un exemple: une aire spécifique dédiée à la lecture chez le voyant sera stimulée par le toucher chez l’aveugle qui lit en braille.

L’expérience joue également un rôle dans cet apprentissage. «Il a été démontré que, dans nos régions où le paysage est composé plutôt de lignes verticales et horizontales, le cerveau attribue un plus grand nombre de neurones à ce type de code, explique le Professeur Caldara.

A contrario, dans certaines tribus africaines, qui vivent dans des paysages plats et dont les habitations sont plutôt arrondies, on a pu constater que certaines illusions d’optique ne fonctionnent pas, car les individus sont très peu confrontés à des angles droits.» Le cerveau utilise donc les stimuli que l’expérience lui accorde. Un dernière preuve: le voyant rêve en couleur, celui qui, suite à un accident par exemple, verra uniquement sa zone V4 touchée, rêvera en nuances de gris, tandis que le non-voyant de naissance mobilisera ses autres sens. Finalement, qu’importe que la rose soit rouge, tant que l’odeur séduit.

 

Notre spécialiste Roberto Caldara est professeur de psychologie à la Faculté des lettres. Il dirige l’Unité de neurosciences visuelles et sociales.

roberto.caldara@unifr.ch

 

Toma est en première année du Cycle d'orientation à Jolimont.