Recherche & Enseignement
L’Unifr au chevet de la médecine de famille
Grande première pour l’Unifr: en automne 2019, 40 étudiants prendront le chemin des auditoires et de la clinique afin de se préparer, durant trois ans, à l’examen fédéral de médecine humaine. S’il affiche une claire coloration médecine de famille, ce nouveau master leur laissera cependant toutes les portes ouvertes. Les deux co-pilotes du projet lèvent un pan du voile.
Alors que la pénurie de médecins de famille a déjà de quoi inquiéter à l’échelle nationale, le manque de praticiens de premier recours se fait encore plus cruellement sentir en terre fribourgeoise. Selon des chiffres de l’Observatoire suisse de la santé portant sur 2014, le canton figure en queue de peloton helvétique, avec un ratio d’environ 0,61 médecin de famille pour 1000 habitants (contre 0,94 en moyenne suisse). C’est dans ce contexte sanitaire tendu qu’a germé l’idée d’introduire un Master en médecine humaine orienté vers la médecine de famille à l’Université de Fribourg, en étroite collaboration avec l’hôpital fribourgeois (HFR) et le Réseau fribourgeois de santé mentale (RFSM). Une idée qui a fait d’autant plus mouche «qu’elle intervenait peu après la mise sur pied d’un Bachelor en médecine humaine. Le terreau était donc fertile pour poursuivre sur cette lancée en instaurant un cursus complet», précise Raphaël Bonvin. Ce spécialiste de la pédagogie médicale a pris ses quartiers fin 2017 dans les locaux de l’Alma mater fribourgeoise, tout comme son confrère Pierre-Yves Rodondi. Les deux docteurs en médecine ont la délicate – et passionnante – mission de concrétiser ce nouveau master, dont la première volée d’étudiants prendra le chemin des auditoires et de la clinique en automne 2019.
Ils seront quarante à entamer les trois ans de formation qui les mèneront vers l’examen fédéral de médecine humaine. Ce nombre, certes inférieur à ceux proposés par les universités des cantons limitrophes – Lausanne augmente à 245 étudiants en médecine par année au niveau master et Berne à 300 – correspond «à la capacité d’accueil au niveau clinique» des futurs étudiants, explique Raphaël Bonvin. A titre de comparaison, rappelons que le Bachelor en médecine humaine de l’Unifr est ouvert chaque année à 120 candidats. «La majorité d’entre eux poursuivront donc leur cursus dans une autre université du pays, comme c’est le cas actuellement», rappelle le titulaire de la Chaire de pédagogie médicale. Gageons qu’il faudra trier sec lors des inscriptions, d’autant que l’intérêt des titulaires d’un bachelor hors-Unifr pourrait également être élevé: «Pour un étudiant qui privilégie le contact humain, la proximité avec les professeurs et ses pairs, la perspective d’un programme de master ne comptant que quelques dizaines de participants peut s’avérer très séduisante», anticipe Pierre-Yves Rodondi. Comment les heureux élus seront-ils choisis? «Les critères de sélection précis sont en cours d’élaboration. Mais ce qui est sûr, c’est que l’intérêt pour le Canton de Fribourg et l’engagement pour la médecine de famille joueront un rôle prépondérant», note celui qui continue à exercer à temps partiel dans son cabinet en tant que généraliste.
Raphaël Bonvin est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg et directeur de la future Unité de pédagogie médicale. Il est titulaire d’un diplôme et d’un Doctorat de médecine de l’Université de Lausanne, ainsi que d’un Master en pédagogie médicale des Universités de Berne et de Chicago. Après une formation clinique en médecine interne (CHUV) et en médecine ambulatoire (PMU), il a occupé des postes d’adjoint pédagogique aux Facultés de médecine des Universités de Lausanne et de Bâle.
raphael.bonvin@unifr.ch
Importante exposition clinique
Si cette notion de médecine de famille est omniprésente lorsqu’on évoque le Master en médecine de l’Unifr, elle ne se veut pas pour autant réductrice. «Certes, il y a une volonté politique forte de répondre à une crise sanitaire. Le message transmis par le Conseil d’Etat au Grand Conseil en mai 2016 va clairement dans ce sens», souligne Pierre-Yves Rodondi. «Mais ce master doit également laisser toutes les portes ouvertes à nos futurs étudiants. On peut très bien imaginer que certains d’entre eux décident, au terme de leurs six ans de formation théorique, de se spécialiser en neurochirurgie ou en gynécologie.» Les facultés de médecine des Universités de Berne, Lausanne et Genève se sont déjà dit prêtes à participer à l’enseignement des domaines non couverts par les professeurs de l’Unifr ou les cliniciens de l’HFR et du RFSM. Reste que la médecine de famille sera reine en terre académique fribourgeoise. Concrètement, cette coloration prendra différentes formes, dont une durée totale des stages dans des cabinets de médecins de famille deux fois plus longue que dans les autres facultés de médecine helvétiques et de nombreux enseignements dispensés par des médecins de premier recours exerçant parallèlement en cabinet. «Nous allons, par ailleurs, montrer aux étudiants que les médecins de famille peuvent très bien garder un pied en clinique et dans le monde de la recherche ou de l’enseignement», ajoute Raphaël Bonvin. Une académisation de la discipline que les étudiants auront l’occasion de vivre de près, puisqu’en même temps que la nouvelle filière master, un Institut fribourgeois de médecine de famille verra le jour, piloté par Pierre-Yves Rodondi. A noter qu’en plus de cette exposition à la médecine de famille, les étudiants auront une exposition clinique hospitalière – au sein de l’HFR et du RFSM – parmi les plus importantes de Suisse.
Parmi les autres axes forts du cursus fribourgeois figure l’interprofessionnalité. «De nombreuses compétences peuvent – et doivent! – être mutualisées dans les professions de la santé. Notre volonté est que les étudiants comprennent cette réalité durant leurs études déjà, et non pas au terme de celles-ci», plaide Raphaël Bonvin. Dans son message de mai 2016, le Conseil d’Etat met d’ailleurs spécifiquement le doigt sur la nécessité d’une collaboration avec la Haute école de santé Fribourg (HEdS-FR). «On peut, par exemple, imaginer qu’un étudiant en médecine de l’Unifr fasse des immersions dans le quotidien d’un infirmier ou d’un ostéopathe. Et vice-versa.» Et Pierre-Yves Rodondi de rebondir: «Il y a une déconnexion, parfois flagrante, entre les pratiques d’un médecin et le contexte de vie de son patient. Prenons l’exemple d’un médecin qui prescrit des médicaments, mais ne constate aucune amélioration de l’état de la personne. S’est-il demandé si son patient est en mesure de se souvenir de les prendre? S’il a les moyens financiers de les acheter? L’infirmier qui rend régulièrement visite au patient à domicile peut participer à cette évaluation et aider à trouver les solutions nécessaires. C’est ce réflexe de sortir de sa discipline, de faire appel aux compétences relevant d’autres spécialités, et bien sûr de travailler en réseau, que nous souhaitons inculquer.»
Convaincues de la nécessité de revaloriser la médecine de famille, de mettre l’accent sur la médecine sociale et préventive et de booster l’interprofessionnalité, les autorités fribourgeoises se sont donné les moyens de leur ambition. Un crédit d’engagement de près de 33 millions de francs, portant sur les années 2018 à 2022, a été voté à la quasi unanimité par le Grand Conseil en septembre 2016. A moyen terme, le coût annuel de fonctionnement du Master en médecine (et de l’institut ad hoc) est attendu à un peu moins de six millions de francs. Ces investissements doivent notamment couvrir les charges liées aux futurs locaux. Côté ressources humaines, le message du Conseil d’Etat évoque la création d’une soixantaine de postes EPT (équivalents plein temps) d’ici 2022, dont huit de professeurs. La mission des nouveaux collaborateurs impliquera des enseignements tant sur le site de l’Université qu’au contact des patients dans les différents hôpitaux de l’HFR, du RFSM et dans des cabinets de médecine de famille.
Pierre-Yves Rodondi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg et directeur du futur Institut fribourgeois de médecine de famille. Après un diplôme de médecine obtenu à l’Université de Lausanne, il a suivi sa spécialisation en médecine interne générale dans divers hôpitaux, notamment l’Hôpital Cantonal de Fribourg. En 2005, il a ouvert son cabinet de médecine de famille, tout en poursuivant une activité d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, dans le domaine de la communication médecin-patient, de la douleur chronique et de la médecine complémentaire.
pierre-yves.rodondi@unifr.ch
Contre la pénurie de médecins de famille
Des investissements de cette ampleur impliquent l’espoir de larges retombées positives. Dans son message, le Conseil d’Etat fribourgeois stipule notamment qu’il table sur une hausse de l’attractivité de l’HFR pour la relève médicale et, dans la foulée, une augmentation de la réputation et de la qualité des soins. L’introduction d’un Master en médecine humaine devrait également améliorer le positionnement de l’Unifr, tout en étoffant l’attrait du Canton pour les entreprises du secteur biomédical. L’objectif principal de l’exécutif n’en reste pas moins d’améliorer la couverture médicale du Canton en contribuant à contrer la pénurie de médecins de famille. Reste à savoir si le nouveau cursus est en mesure de répondre à cette attente. «Au Canada et en Australie, où cette sensibilisation à la médecine de famille a déjà été mise en oeuvre, on a constaté que les personnes qui étudient localement ont davantage tendance par la suite à pratiquer leur activité professionnelle localement», relève Raphaël Bonvin.
Pour le spécialiste de la pédagogie médicale et son confrère Pierre-Yves Rodondi, il reste à s’assurer que leurs futurs étudiants aient toutes les cartes en main pour s’initier à la médecine de famille, notamment des places de stage en suffisance dans des cabinets. «Motiver les médecins de famille du Canton à accueillir des stagiaires est, bien sûr, l’un de nos défis. Mais nous avons de bons arguments à faire valoir, notamment celui de transmettre leur savoir et favo-riser leur éventuelle succession», assure le spécialiste de la médecine de famille. Et puisqu’il est question de timing: comment les deux «pilotes» du master jugent-ils l’avancée des travaux de préparation? «Disons que nous sommes… confortablement serrés!», répond Raphaël Bonvin en souriant avec confiance.
Description
Le Master en médecine humaine de l’Université de Fribourg offrira la possibilité à quarante étudiants titulaires d’un bachelor (en médecine humaine) de se préparer durant trois ans à l’examen fédéral (de médecine humaine). Bilingue français-allemand, ce cursus sera orienté vers la médecine de famille, tout en restant complet. Les étudiants seront notamment amenés à effectuer une durée de stage totale deux fois plus longue dans des cabinets de généralistes. Le corps professoral fera par ailleurs la part belle aux médecins de premier recours.
Calendrier
La première volée d’étudiants du nouveau Master en médecine humaine de l’Université de Fribourg entamera sa formation en automne 2019. Cette première volée pourra donc se présenter à l’examen fédéral de médecine humaine en 2022.
Coûts
Le Grand Conseil fribourgeois a approuvé en septembre 2016 un crédit d’engagement de l’ordre de 32,9 millions de francs et portant sur la période 2018-2022. Dès 2023, le coût annuel de fonctionnement est estimé à environ 5,9 millions de francs.
Ressources humaines
Le message du Conseil d’Etat fribourgeois au Grand Conseil, daté de mai 2016, prévoit notamment la création de 8 postes EPT (équivalents plein temps) de professeurs, ainsi que l’engagement d’une dizaine de médecins de famille à 20%. Au total, une soixantaine de postes EPT devraient voir le jour à l’Université. Parallèlement, les effectifs des enseignants cliniciens de l’HFR (hôpital fribourgeois) et du RFSM (Réseau fribourgeois de santé mentale) devraient être augmentés de manière significative, tout comme ceux des médecins praticiens accueillant les étudiants.
Locaux
Le projet approuvé par le législatif fribourgeois inclut la nécessité de trouver des locaux d’une surface utile principale d’environ 4000 mètres carrés. «Avec l’Unifr et l’HFR, nous explorons actuellement des solutions très intéressantes», souligne Raphaël Bonvin.