Portrait
Charles Morerod, évêque 2.0
Virevoltant d’un continent à l’autre, Charles Morerod est resté longtemps un véritable nomade du monde académique; mais, bien malgré lui, la houlette et la mitre ont aujourd’hui remplacé son viatique.
Accrochés aux murs, ils affichent tous le même air compassé, les prélats qui vous toisent dans l’escalier de l’évêché. Par palliers, celui-ci vous invite à voyager dans le temps, tandis que les tableaux craquelés des évêques défilent, stylistiquement immuables, jusqu’à l’ultime, celui de l’évêque actuel, Charles Morerod. Dans son cadre, le Gruyérien arbore lui aussi une posture hiératique, comme il sied sans doute à la fonction, mais, brossé façon pop art pointilliste, son portrait détonne dans cette galerie. De toute évidence, Charles Morerod a fait entrer son diocèse de plain-pied dans le XXIe siècle.
Miséricorde, tentations dans le désert
Inutile de lui servir du «Monseigneur» si vous y rechignez, à lui qui, au diapason avec le pape François, abhorre le cléricalisme: «Si vous êtes inconfortable, ne le faites pas, rassure-t-il d’emblée, ces titres sont plutôt un inconvénient, car ils créent toujours ce genre de problème.» On pourrait d’ailleurs tout aussi bien remplacer le «Monseigneur» par un «Herr Doktor», puisque Charles Morerod peut se targuer d’un double doctorat, l’un en théologie délivré par l’Université de Fribourg, l’autre en philosophie de l’Université catholique de Toulouse: «La théologie m’intéressait, car mieux connaître Dieu permet de l’aimer plus.»
Amour réciproque sans doute, mais qui n’empêche pas Dieu de laisser le jeune Charles entrer en tentation. «A l’université, je côtoyais des étudiantes, avoue-t-il sans fard, ce qui n’est pas allé sans provoquer des remue-ménages intérieurs. J’ai pu tenir, car j’étais convaincu que j’étais appelé au célibat.» Une traversée du désert de bien plus de quarante jours, mais qu’il parcourt avec pour seule soif celle du savoir et pour seule faim celle de croquer la vie à pleines dents, comme tous les étudiants: «J’ai participé à presque tous les camps de ski organisés par le service des sports. J’ai aussi fait du taekwondo!»
Ce monde universitaire, Charles Morerod s’imaginait ne jamais le quitter. En tant que professeur invité, il le sillonnait d’un continent à l’autre, du Minnesota à Guam, en passant par Rhode Island et Rome, ville où il enseignait à l’Université pontificale Saint-Thomas d’Aquin: «Je pensais y finir mes jours. J’habitais sur la colline du Quirinal. C’étaient vraiment des années heureuses», soupire-t-il.
Hélas, bien qu’impénétrables, les voies du Seigneur, par le truchement du pape Benoît XVI, finissent par le ramener à Fribourg, où il est ordonné évêque le 11 décembre 2011. Non sans un pincement au cœur, il doit faire une croix sur ce passé consacré à l’enseignement. «J’ai bien dû m’y résigner, puisque j’avais fait vœu d’obéissance. Peut-être était-ce la volonté de Dieu?»
Devenu un personnage public, Charles Morerod brise volontiers les codes de bienséance liés à sa fonction. Sur les réseaux sociaux, il participe au ice bucket challenge, un défi qui consiste à se jeter un seau d’eau glacée sur la tête, afin de récolter des fonds pour la lutte contre la sclérose latérale amyotrophique. Chaque année, il «brasse» les bières dites de l’évêché dont les différentes cuvées, peut-être pas au goût de tous les fidèles, trahissent l’humour de l’évêque: «Les 12 Epeautres», «Urbi et Orti». Charles Morerod va même jusqu’à bénir une artiste de la place en l’oignant de double crème de Gruyère. Sacrilège? Il s’en défend: «On ne va quand même pas changer complètement de personnalité parce qu’on devient évêque. Cela ne vaudrait pas la peine.» Et de conclure avec un humour pince-sans-rire dont il a le secret: «Cela dit, il y a des moments de liturgie solennelle où je sais me tenir.»
Scandales à l’évêché
«Nous avons perdu notre crédibilité», affirme Charles Morerod à l’évocation des scandales sexuels qui entachent la réputation de l’Eglise et de son diocèse. Trop longtemps, selon lui, les prêtres se sont vus dans une «position exaltée, supérieure, favorisant un sentiment d’impunité». Il enjoint systématiquement les victimes d’abus à s’adresser directement à la justice. Et quand on lui demande pourquoi Dieu laisse faire cela, la réponse fuse, péremptoire: «C’est une bonne question, pourtant ce n’est pas à la responsabilité de Dieu que je pense, mais à celle des êtres humains.»
La foi…
«Enfant, je priais avec ma mère; mais, à l’adolescence, je me demandais: Est-ce sérieux? Est-ce que ce sont des bêtises?» La réponse lui viendra par étapes, après bien des doutes. «Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que, plus tard, à Rome, j’ai donné des cours sur l’athéisme.»
… la vocation
«Je n’avais absolument pas envie de devenir prêtre, en particulier parce que je n’avais pas envie de rester célibataire! J’ai donc fait ce que j’ai pu pour écarter cette idée.» Jusqu’à ce qu’un beau matin, au sortir d’une conversation, il tombe à l’arrêt dans une rue et s’exclame: «C’est évident que je dois être prêtre; pourquoi ne l’ai-je pas vu avant? C’est depuis une évidence qui ne m’a plus quitté.»
… et le célibat
Charles Morerod évoque une anecdote survenue dans le train entre Rome et Milan, lorsqu’un juif italien lui déclare: «Bien qu’athée, j’ai une idée de ce que peut être Dieu pour un croyant. J’essaie de faire coller cette idée avec l’amour que je porte à ma femme. Si on aime Dieu, cela doit suffire à remplir une vie.»