Dossier
Douleurs chroniques: tout dans la tête?
La fibromyalgie, une des formes les plus fréquentes de douleur chronique reste un mystère. Quel rôle joue le cerveau dans les douleurs chroniques? Une approche transdisciplinaire pourrait éclairer cette question.
On parle de douleur chronique lorsque la douleur persiste plus de 3 mois. C’est le symptôme principal du syndrome de fibromyalgie, caractérisé par une douleur diffuse dans tout le corps, qui s’accompagne d’autres symptômes, tels que fatigue chronique, troubles du sommeil, dépression, troubles gastriques, etc.. Il touche plus fréquemment les femmes. La Ligue suisse contre le rhumatisme estime que sa fréquence en Suisse oscille entre 0,5% et 5%. Cette maladie représente une souffrance physique et mentale. En effet, les personnes concernées n’ont longtemps pas été prises au sérieux, entre autres parce que ses causes restent encore largement méconnues.
Comme beaucoup de patient·e·s ayant une maladie chronique invisible, les malades entendent souvent que «c’est dans leur tête». Et même si cette affirmation sous-entend qu’il s’agirait d’un mal imaginaire, elle n’est pas complètement fausse, puisque des recherches récentes indiquent que les causes de la fibromyalgie auraient un lien avec l’activité neuronale dans le cerveau.
Ainsi, bien qu’il n’y ait pas encore de consensus définitif, de plus en plus d’études suggèrent que plusieurs facteurs en seraient à l’origine, dont un dysfonctionnement du système nerveux central, en particulier en lien avec l’activité de neurotransmetteurs spécifiques. Mais ce syndrome serait également lié à des facteurs tels que le stress, le système hormonal, le système immunitaire, etc.
Les défis majeurs de la recherche sur la fibromyalgie sont, d’une part, de mieux comprendre les mécanismes impliqués et, d’autre part, de développer des traitements pour permettre de soulager les patient·e·s. En effet, il n’existe actuellement pas ou peu de traitements vraiment efficaces et les médicaments autorisés ont souvent de nombreux effets secondaires.
Quel lien avec le cerveau?
De plus en plus d’études montrent que des changements dans l’activité neuronale seraient impliqués dans la douleur chronique en général et dans la fibromyalgie en particulier. Au sein de ces mécanismes, on a notamment observé une altération du système lié à la dopamine, un des neurotransmetteurs du cerveau. L’activité de la dopamine est aussi connue pour son implication dans le traitement des informations de récompense, que traite de manière spécifique un réseau de régions du cerveau. Ce système joue un rôle important dans la motivation, les apprentissages et dans les comportements d’approche en général.
La neuro-imagerie, quand la science devient art
Dans ce contexte, des études ont montré, par exemple, que le cerveau de personnes souffrant de fibromyalgie libérait moins de dopamine en réponse à une stimulation douloureuse que celui de personnes en bonne santé. De précédentes études de notre groupe de recherche indiquent que la dopamine module différemment la perception de la douleur chez les personnes souffrant de fibromyalgie que chez des personnes contrôles. De plus, les réponses du cerveau à la récompense (comme, par exemple, gagner de l’argent dans un jeu proposé sur ordinateur) sont impactées chez les personnes souffrant de fibromyalgie. Ces résultats soutiennent l’hypothèse qu’il y aurait un lien entre la douleur et le système de récompense. Il pourrait s’agir de processus différents, voire opposés, mais qui s’influenceraient mutuellement. Par exemple, l’expérience de la récompense pourrait être diminuée lorsqu’on ressent de la douleur.
Ces résultats ont pu être obtenus avec des techniques actuelles de neuro-imagerie, qui permettent d’identifier les zones du cerveau impliquées dans certains processus et d’explorer des différences entre des personnes en bonne santé et des personnes souffrant de douleur chronique par exemple. Les méthodes de neuro-imagerie passent par l’utilisation de scanners. Ces outils permettent d’obtenir des images du cerveau de manière non invasive. Pour en citer deux: la tomographie par émission de positrons (TEP) permet d’observer l’activité chimique du cerveau, en mesurant, par exemple, la dopamine grâce à une substance injectée dans le sang. Tandis que l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), permet d’observer indirectement l’activité neuronale lorsqu’une tâche est exécutée par une personne dans le scanner. Ces techniques ont permis de grandes avancées dans notre compréhension du fonctionnement du cerveau humain, ainsi que dans l’investigation des mécanismes de maladies dont l’origine se trouve dans le cerveau.
Pleine conscience
Les techniques de neuro-imagerie ont permis de mieux cibler les mécanismes impliqués dans la fibromyalgie, même s’il reste encore beaucoup à apprendre sur leur fonctionnement. Sur la base des résultats précédemment cités, notre groupe de recherche s’intéresse à des formes d’interventions psychologiques qui pourraient restaurer l’activité de la dopamine. Les interventions liées à la pleine conscience y jouent un rôle intéressant, car elles semblent avoir un effet sur la douleur tout en agissant sur le cerveau. Certaines études suggèrent même qu’elles pourraient rétablir les réponses du cerveau à la récompense. La pleine conscience se base, entre autres, sur la tradition bouddhiste et la méditation. Elle a gagné en popularité grâce à l’élaboration de programmes structurés de gestion du stress par Jon Kabat-Zin. Dans ce cadre, le projet FIBRODOPA, financé par le Fonds national suisse pour la promotion de la recherche, est actuellement conduit au niveau national sur 3 sites – le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), l’Université de Fribourg et l’Hôpital universitaire de Zurich – pour tester les effets d’une intervention combinant des méthodes de pleine conscience et des méthodes d’approche cognitivo-comportementale.
Trouver un traitement, un vrai challenge
Ce projet se confronte aux aspects complexes de la recherche sur le cerveau à plusieurs niveaux. D’abord intrinsèquement, comment interpréter les résultats d’une recherche sans tomber dans la spéculation? Une altération du système dopaminergique chez les personnes atteintes de fibromyalgie étant l’une des hypothèses de base, il est, par exemple, difficile de comprendre les mécanismes impliqués au niveau cellulaire avec les méthodes actuelles, qui ont leurs limites en termes de résolution spatiale et temporelle. Il est donc judicieux de combiner plusieurs mesures et approches afin d’exploiter leur complémentarité.
Il est également complexe de comprendre les interactions entre les processus psychologiques et neurobiologiques. Une approche combinant ces deux aspects est cependant prometteuse pour la fibromyalgie, dont les causes sont plurifactorielles et pour laquelle il est difficile de développer des traitements n’agissant que sur un seul système. L’intérêt de notre projet réside donc dans la compréhension des mécanismes neurobiologiques impliqués et des effets d’un potentiel traitement ciblant ces mécanismes.
Les personnes impliquées dans le domaine de la recherche sur le cerveau doivent faire face à un subtil jeu d’équilibriste entre la multitude de possibilités qu’offrent les outils actuels de neuro-imagerie et les limites de ces derniers. Ces chercheurs·euses sont donc poussé·e·s à la réflexion dans leurs choix. La recherche sur le cerveau mise toujours plus sur la pluridisciplinarité, impliquant à la fois des connaissances techniques sur la méthode d’investigation, neurobiologiques, physiologiques, ainsi que des troubles et des processus cognitifs.
Notre experte Maya Burckhart est doctorante FNS au Département de psychologie dans le cadre du projet FIBRODOPA. Si vous êtes concerné·e par la fibromyalgie ou intéressé·e à participer au projet FIBRODOPA, n’hésitez pas à la contacter.
Notre experte Katharina Ledermann est maître-assistante au Département de psychologie.
Notre experte Chantal Martin-Soelch est professeure au Département de psychologie.