Dossier
Et bien, assumez maintenant!
A force de vouloir le beurre et l’argent du beurre, la Grande-Bretagne pourrait bien se retrouver aussi démunie que la cigale de la fable. Retour sur une valse à 3 temps.
Le 24 juin 2016, les universitaires fribourgeois Joseph Jung et Bernhard Altermatt présentaient leur ouvrage consacré à l’ancien président du Comité international de la Croix-Rouge, Cornelio Sommaruga. Réalisé sous l’égide des Etudes européennes de la Faculté des lettres de l’Université de Fribourg, ce livre rend hommage à l’ouverture d’esprit d’une «autre Suisse» qui, selon l’auteur de la préface, Dick Marty, se veut «solidaire, engagée pour la paix et la justice, ouverte sur le monde».
Plus dure est la chute
Ces paroles rappellent, à bien des égards, celles des actrices et acteurs européen·ne·s, attaché·e·s à des valeurs auxquelles quelques-un·e·s de nos compatriotes, mais aussi des Britanniques, ne semblent pas toujours vouloir rester fidèles. Fruit du hasard, le vernissage de ces mélanges eut lieu le lendemain du référendum sur le Brexit, à l’aula de l’Université de Zurich, où Winston Churchill lança son fameux appel pour des «Etats-Unis d’Europe» le 19 septembre 1946.
Interprété par certains comme un acte fondateur de l’intégration européenne, ce discours traduit en réalité toute l’ambiguïté que le Royaume-Uni lui a toujours prêtée. Les sujets de Sa Gracieuse Majesté l’encensent par des propos parfois élogieux, à condition qu’ils ne soient pas directement eux-mêmes concernés. Rejoints en cela par les Suisses, dont la politique européenne a très souvent été inspirée par celle de Londres, les Britanniques ont fait de l’Europe un merveilleux objet du «je t’aime moi non plus». Ils en apprécient les charmes et les avantages, mais ne tiennent pas à en assumer les charges et les fardeaux. Egoïstes et insulaires par excellence, ils n’ont pas encore fait le deuil de leur Commonwealth chéri, dont ils n’ont jamais accepté la vertigineuse perte d’influence.
Oldtimer
Quelque part, la Grande-Bretagne est devenue désuète. Pour l’avoir compris plus tôt que d’autres, son ancien Premier ministre Edward Heath a réussi son pari. Arrivé presque par hasard au pouvoir en juin 1970, il ne lui a fallu que trente-six mois pour faire adhérer son pays à la Communauté européenne (CE) le 1er janvier 1973. Habile négociateur, il sut nouer les couleurs de l’Union Jack avec celles du drapeau européen. Sachant la France réticente à l’encontre d’une Ostpolitik que Willy Brandt entreprit alors de manière efficace avec les pays du bloc soviétique, il gagna la confiance du Président Georges Pompidou. Ironie de l’histoire, bien que gaulliste, celui-ci accepta l’entrée du Royaume-Uni au sein de la CE, alors que le Général de Gaulle l’avait refusée avec fracas à deux reprises.
Ce n’est qu’en 1997 que la Grande-Bretagne enregistra un regain pro-européen. Œuvre de Tony Blair et son «New Labour», il permit à Londres de réaffirmer son rôle au sein de l’UE que des années de thatchérisme et d’infructueuses tentatives de repositionnement sous John Major avaient mis à mal. Rien ne sert aujourd’hui de revenir sur la dame de fer à laquelle Renaud, dans l’une de ses chansons les plus célèbres, dédiait ces quelques vers, selon lesquels «aucune femme sur la planète, n’s’ra jamais plus con que son frère, ni plus fière, ni plus malhonnête, à part peut-être, Madame Thatcher». Elle, qui criait victoire après avoir eu sa «money back» lors du sommet de Fontainebleau de juin 1984 et plaidait dans son discours de Bruges en septembre 1988 pour une Europe beaucoup plus libérale qui «n’exige pas de nouveaux documents» – bonjour Maastricht en 1992! –, ne pouvait faire oublier son passif à l’exemple d’avoir ouvertement affiché son soutien à l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet.
Avec de mauvais partenaires…
Locataire du 10 Downing Street durant dix ans (1997–2007), Tony Blair a beaucoup fait pour l’Europe dans son pays. Parfois critique à l’égard des politiques communautaires, il avait trouvé un juste équilibre entre l’euroscepticisme exprimé par nombre de ses compatriotes et sa volonté d’octroyer à la Grande-Bretagne une place de choix au sein de l’UE. Conscient de la méfiance que celle-ci exprimait toujours envers les relents d’insularité et de puissance surannée que le thatchérisme avait laissés derrière lui, il était devenu le meilleur avocat pro Europe dans son pays. Il compta également sur sa proximité idéologique avec Gerhard Schröder avec lequel il signa, en juin 1999, un papier destiné à tracer un «nouveau chemin pour les sociaux-démocrates européens». Après avoir fait long feu, celui-ci a été jeté aux oubliettes, d’autant que la Grande-Bretagne travailliste fut bien mal inspirée, prêtant, contrairement à la France et à la RFA, allégeance au président George W. Bush, lors de sa sinistre expédition militaire en Irak de 2003.
Par la suite, Gordon Brown sonna l’hallali des travaillistes britanniques. En 2010, les conservateurs renouaient avec la victoire et leur nouveau leader David Cameron entama une politique d’austérité, qui, sur le plan européen, s’exprima par le refus de toute supervision budgétaire de l’UE. En désaccord profond avec le Président François Hollande, il se tourna vers les pays de l’Europe centrale et orientale (PECO), et notamment vers la République tchèque du très eurosceptique Václav Klaus. Piètre homme politique, c’est sa décision d’organiser un référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE qui précipita sa chute et le fit entrer, malgré lui, dans l’histoire. Depuis le 23 juin 2016, on en connaît l’issue.
…et un mauvais tempo…
Faisant souvent figure de modèle démocratique, loué à travers le monde entier pour son parlementarisme et porté aux nues pour avoir survécu aux pires épisodes de l’histoire, le système politique du Royaume-Uni se porte beaucoup plus mal que ne le croient les ressortissants britanniques. A vouloir amuser la galerie avec les frasques et les mensonges de Boris Johnson, à oublier les rebondissements vaudevillesques lors des négociations que Theresa May avait à supporter avec la Commission européenne, mais plus encore avec la Chambre des communes et avec sa propre et infidèle majorité, la politique londonienne donne une triste image d’elle-même. Même si certains s’en réjouissent ou s’en délectent, il faudrait plutôt s’en inquiéter, car ni le pays, ni l’Europe le méritent.
A l’heure où le mauvais élève quitte la classe européenne, le ton n’est pas à la rigolade. Il n’y a rien de drôle à voir sombrer un Etat dans une forme de pitrerie qu’il aime pourtant cultiver. Le constat est trop affligeant pour qu’il soit pris à la légère. La Grande-Bretagne vaut mieux que cela: mieux qu’un Jeremy Corbyn, dont une phraséologie travailliste éculée a fait sombrer le parti dans les abîmes électoraux des années trente, mieux qu’une girouette à la crinière ébouriffée dont la seule raison d’être est celle de promettre tout ce qu’il ne pourra jamais réaliser.
…comment ne pas faire tapisserie?
Face à l’Union européenne, la stratégie britannique est claire comme de l’eau de roche: sortir de l’UE pour ne pas en supporter les inconvénients et lui demander, en même temps, de lui accorder tous ses avantages. Plane alors la crainte du no deal, dont personne ne veut, mais qui, tout compte fait, vaut encore mieux qu’une duperie supplémentaire à laquelle le gouvernement britannique a trop habitué les Européens. A ces derniers ne reste alors plus qu’à jouer la carte de la fermeté pour ne pas tomber dans le piège grossier dans lequel le Royaume-Uni veut les entraîner. Aujourd’hui, la balle se trouve au 10 Downing Street. C’est Londres qui a voulu le référendum, ce sont les Britanniques qui ont voulu le Brexit, c’est leur gouvernement qui a voulu le mettre en œuvre: au Royaume-Uni d’en assumer toute la responsabilité!
Notre expert Gilbert Casasus, professeur en Etudes européennes auprès de la Faculté des lettres et des sciences humaines, est un observateur aguerri de la politique européenne et un spécialiste des processus politiques au sein de l’UE.