Dossier

L’appel du désert

Qu’on voyage du Nord au Sud ou du Sud au Nord, les défis ne sont pas de même nature. Mettre en regard ces trajectoires jette une lumière crue sur les enjeux socio-politiques qui entourent le Sahara.

L’expression «traversée du désert» puise ses origines dans la Bible, en référence à Moïse qui accompagne son peuple vers la terre promise. Pour différentes confessions, le désert symbolise une connexion avec le sacré. Une parenthèse de solitude qui marque un temps de réflexion entre deux moments d’action. Cette image occidentale, renouvelée aujourd’hui par le biais de nombreux guides, entraine un renouvellement du tourisme saharien. Côté africain, pourtant, le désert représente plutôt un lieu satanique, parsemé de dangers, scandés de nombreux murs et de frontières sur le chemin de l’Europe.

Partir du Nord: tourisme et mysticisme

La traversée du Sahara est une belle attraction pour les Européen·ne·s, qu’elle se fasse à moto, en voiture, mais aussi en dromadaire ou à pied. Lieu de dépaysement, le Sahara véhicule un imaginaire exotique et même mystique décrit par nombreux·ses auteur·e·s avides d’exploration et de terres coloniales. Les premières excursions touristiques traversaient le Sahara du Nord au Sud en valorisant l’exploit technique et sportif. Le désert semble susciter deux types de rapports. D’une part, la confrontation et le dépassement de soi: le désert apparaît comme un lieu d’initiation. D’autre part, la recherche d’harmonie, qui est aussi recherche de soi, par l’immersion dans un ailleurs exotique et dépouillé.

Dans les deux cas, les touristes sont avides de paysages de dunes et de sables, ainsi que de rencontres avec les nomades touarègues, perçus comme des guerriers austères, tentant de préserver leur identité, malgré la sécheresse et la modernité. Même si aujourd’hui l’image du touareg se confond parfois avec celle du djihadiste, le désert garde son aura d’harmonie qui permet à des jeunes du Nord, libres de leurs choix, de vivre une expérience initiatique sans grande difficulté. L’hospitalité comme valeur intrinsèque, ainsi que la place de l’étranger comme hôte honoré est très appréciée, comme le souligne Jacques. Ce jeune homme d’origine franco-suisse a choisi de traverser le désert à moto pour rejoindre le Sénégal. Il lui semble que voyager en tant que Suisse – issu d’un pays non-colonisateur – est plus rassurant. Il s’est également senti privilégié lors des longs passages aux frontières. Il constate tout de même que la recrudescence du terrorisme et le développement d’un certain mépris pour l’occidental·e, peuvent, parfois, représenter un danger pour un·e Européen·n·e.

Partir du Sud: murs de sable et de contrôle

Ces dernières décennies, l’évolution des phénomènes migratoires s’est accélérée et suscite l’émergence de nouvelles dynamiques à l’échelle de la planète. La circulation des images et des informations sur les réseaux sociaux, la communication avec des jeunes d’autres pays perpétuent une image idéalisée des pays européens. Si certaines migrations sont encouragées, d’autres sont entravées et deviennent toujours plus coûteuses, plus risquées et plus éprouvantes.

Selon les statistiques de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), depuis 2014 plus de 11’400 décès ont été enregistrés sur le continent africain, la plupart sur les routes de transit du Sahara et la route maritime de l’Afrique de l’Ouest à l’Espagne et aux îles Canaries.

© Valentin Rime

Bada, Dépression du Danakil 11.02.2019

14.5088°N, 40.1083°E

Aujourd’hui, nos explorations dans le nord de la dépression nous ont menés à découvrir un canyon magnifique. Nous n’avons que peu de temps et, pour le moment, nous ne pouvons expliquer ni l’âge, ni l’environnement précis dans lequel se sont formées ces laminations de gypse. La dépression n’a de loin pas encore livré tous ses secrets.

Moussa a pu quitter sa ville natale, Niamey, grâce à une bourse d’étude. Avec une moyenne de 12.5 sur 20 il n’a pas tenté l’Europe, mais l’Algérie. Il décrit son premier voyage par voie aérienne comme très commode, malgré la méfiance et le regard méprisant des policiers. Plus on se dirige vers le nord, dit-il, plus il y a du mépris. Moussa s’applique pourtant à respecter toutes les règles à la lettre.

Pendant la pandémie, Moussa repart à Niamey voir sa famille. Il regagne alors l’Algérie par la route, car le trafic aérien est bloqué. Le voyage dure six jours. De sa ville natale à Arlit, il emprunte un bus, pour un voyage de deux jours. De Arlit à In Geuzzam (frontière de l’Algérie), il voyage en covoiturage dans un pick-up. Ce trajet est le moins sûr, selon Moussa. Les contrôles se succèdent. Avant de monter dans le taxi, les passagers doivent annoncer s’ils souhaitent passer par la frontière ou par un chemin clandestin. Avant la frontière, des jeunes armés font barrage. S’il est probable qu’ils font bien partie de l’armée, leur statut reste opaque. Ils prennent toutes leurs affaires, même leurs papiers. Face à l’éventualité de la violence physique, le mieux est d’obéir. Cent mètres plus loin se trouve la douane. Les douaniers récupèrent leurs affaires chez les premiers soldats. Après de longues heures, ils peuvent repartir pour Tamanrasset. Moussa remercie Dieu de ne pas avoir eu plus d’ennuis et d’être parmi les vivant·e·s. Il partage, avec une voix inquiète, les histoires de ses compatriotes: la clandestinité, les humiliations, les pots de vin, le viol, la crainte des arrestations et du renvoi.

Le réchauffement climatique

Le Sahara mesure 8,5 millions de km2. Il aurait progressé de 250 km vers le sud depuis 1900. Aujourd’hui, il représente 30% de la superficie totale du continent africain. Même s’il contribue moins que d’autres régions au réchauffement planétaire, il en subira les effets les plus dévastateurs. Habitudes et métiers en seront fortement modifiés. Les habitant·e·s s’adaptent actuellement en se déplaçant durant la sécheresse pour travailler dans la partie du Sahara vert. Les nombreux barrages ne facilitent pourtant pas les déplacements internes et créent une zone d’hostilité même pour les échanges commerciaux. De plus, la capacité de migrer peut se mesurer en fonction de la mobilité et des ressources financières, culturelles et sociales. En d’autres termes, les personnes les plus exposées ne sont pas forcément les plus susceptibles d’émigrer. Malgré des températures qui s’élèvent à 50–55 degrés, la difficulté majeure reste donc de trouver un travail sur place ou une manière de subvenir aux frais quotidiens. Les changements climatiques ne poussent pourtant pas encore les personnes à partir.

Le peuple sahraoui vit depuis très longtemps dans les khaïma, des camps principalement gérés par les femmes, qui, avec leurs enfants, en représentent 80% de la population. Femmes au foyer, mais aussi coiffeuses ou couturières, elles ont développé de très bonnes capacités entrepreneuriales dans des conditions difficiles et changeantes.

Au niveau international, la migration forcée par le climat fait les frais des lacunes existant dans les politiques pour les réfugié·e·s. Dans les stratégies nationales, les migrations à grande échelle ne sont pas encore prises en compte et sont souvent considérées comme un échec d’adaptation. Les études récentes montrent que seules de graves conditions climatiques peuvent obliger les migrant·e·s à partir. S’agissant des scénarios actuels de changements climatiques, on peut dès maintenant affirmer que des migrations forcées se produiront. Leur ampleur dépendra des plans d’adaptation que la comunauté internationale entreprendra. Une prise de conscience au niveau local, national et international, une meilleure compréhension de ces dimensions et une volonté réelle d’y faire face est absolument nécessaire.

Construire des murs en sable ou avec une autre matière est la tendance actuelle dans plusieurs pays du monde pour faire face aux flux migratoires, même si les recherches et l’histoire nous montrent que cela ne diminue pas le phénomène en soi. Ces barrières rassurent probablement certains Etats et leurs citoyen·ne·s, mais elles empirent les conditions de vie des migrant·e·s et mettent sérieusement en péril leur vie dans une zone «sans droit» comme celle du transit. De plus, plusieurs recherches montrent que les murs ne sont pas une solution économique favorable, car ils augment le nombre des migrant·e·s illégaux·ales et déstabilisent le marché du travail des pays plus riches.

Notre experte Greta Balliu est PhD et chargée de recherche à l’Observatoire de la diversité et des droits culturels de l’Unifr.

greta.balliu@unifr.ch