Portrait

La science de la danse

Les sciences coulent dans ses veines. Pourtant, après des études de botanique, de zoologie, de chimie et de géographie à l’Unifr, Mady Perriard a décidé de faire de la danse son métier. Cette année, l’école qu’elle a fondée en Basse-Ville de Fribourg fête ses cinquante ans.

«Vous êtes Patricia?» La question vient de l’encadrure d’une fenêtre. Une minute plus tard, lorsqu’elle ouvre la porte de son appartement, Mady Perriard explique sur un ton enjoué: «Ma fenêtre, c’est mon cinéma». Alors que, pour se divertir, de nombreuses personnes regardent des films sur les médias sociaux, la septuagénaire observe les gens dans la rue.

Des films sur les médias sociaux, celle qui a fondé il y a 50 ans l’école de danse La Planche ne pourrait de toute façon pas en regarder: elle fait partie de ces irréductibles Helvètes à qui les mots «téléphone portable», «ordinateur» ou «Internet» donnent de l’urticaire. Comment la journaliste enverra-t-elle son article à relire à son interlocutrice avant publication? «Par la Poste, pardi!», lui répond Mady avant de se diriger vers la cuisine pour préparer des cafés. Malgré une légère boiterie – «figurez-vous qu’il y a quelques mois, je me suis fracturé la rotule… en m’encoublant sur la canne d’un malvoyant» –, elle a le pas à la fois gracieux et énergique d’une danseuse.

Têtue comme une mule

Tout en suivant des yeux le liquide fumant qui s’écoule dans les tasses, Mady Perriard pousse plus loin ses réflexions sur la déconnexion digitale. «Aujourd’hui, de plus en plus de services sont fournis uniquement en ligne. Pour rester sur le thème de la Poste: il devient difficile d’acheter des timbres. Idem pour la banque, les formulaires officiels, etc.» Attention, qu’on ne la prenne pas trop vite pour une «vieille râleuse réfractaire au changement». Ce que cette Fribourgeoise d’adoption n’apprécie pas, «c’est le fait qu’on veuille nous mettre dans de petites boîtes étroites». Selon elle, «la société prône l’inclusivité, mais fait tout le contraire». Or, les petites boîtes étroites, elle n’aime pas du tout ça, celle qui a grandi dans une famille «très ouverte, où l’on ne nous bourrait pas le crâne de clichés à mes deux frères et moi».

La native de Sion – qui a déménagé à Fribourg à la fin de l’adolescence lorsque son père y a obtenu le poste de chimiste cantonal – admet volontiers que sa cyber-résistance découle aussi de son caractère: «Je suis une vraie tête de mule!» Elle donne l’exemple de la mésaventure ayant provoqué sa fracture: «Après ma chute, malgré la douleur, j’ai fait mes courses comme prévu, puis j’ai essayé de rentrer chez moi à pied. Autant vous dire que je ne suis pas allée très loin…»

© STEMUTZ.COM

L’exception qui confirme la règle

Un caractère têtu, ou du moins très déterminé, il n’en faut pas moins pour lancer – à 24 ans seulement – sa propre école de danse. Surtout lorsqu’on a les deux pieds – «plats qui plus est» –  dans une famille résolument orientée vers les sciences. «Je vous ai dit tout à l’heure que mes parents étaient très ouverts d’esprit. Il y a eu une seule exception: mon père ne voyait pas d’un bon œil le fait que je veuille faire de la danse mon métier». Or, la danse, Mady la pratiquait intensivement depuis l’âge de 10 ans. Classique tout d’abord, puis néo-classique, moderne et jazz.

Face aux arguments paternels, la jeune femme s’incline, du moins provisoirement. Elle s’inscrit à l’Université de Fribourg dans le but de se former à l’enseignement secondaire. Au programme: matières scientifiques, bien sûr! «L’Unifr était en pleine restructuration, donc nous étions assez libres dans le choix des matières». Pour Mady, ce sera la botanique, la zoologie, la chimie et la géographie. Une fois son diplôme en poche, elle enseigne quelques années à Morat. Durant son temps libre, elle continue à danser, danser, danser. Et à remplacer ponctuellement sa professeure, Erika Gerlach.

C’est au décès de cette dernière que Mady Perriard prend une grande décision: faire de sa passion son métier à plein temps. Elle trouve un local en Basse Ville de Fribourg, commence à y donner des cours de danse tout en poursuivant une formation professionnelle en parallèle. «Mes études universitaires m’ont beaucoup aidée: la zoologie pour les questions d’anatomie, la géographie pour la gestion de l’espace et bien sûr la pédagogie». Elle tient vraiment à préciser qu’art et sciences ne sont pas antinomiques. «J’ai plutôt un esprit cartésien, comme de nombreux autres danseurs et chorégraphes rencontrés tout au long de ma carrière».

Faire danser

Au cours de son demi-siècle d’existence, l’école La Planche – qui, en 1992, a déménagée dans ses locaux actuels du quartier de la Neuveville – n’a cessé d’étoffer son offre. Aujourd’hui, on peut s’y initier aussi bien au hip-hop qu’au jazz, au classique qu’à l’afro-contemporain. La seule constante, c’est Mady Perriard elle-même. A bientôt 75 ans, la fondatrice – et désormais co-directrice, aux côtés de Nathalie Favre-Pandur – figure toujours dans la liste des professeures. «Même si, actuellement, je suis plutôt au bord de la piste de danse qu’en plein milieu», plaisante-t-elle.

Redevenant sérieuse, elle commente: «De toute façon, j’ai toujours davantage aimé enseigner, faire danser. Je ne me suis jamais rêvée en danseuse étoile». L’objectif qui a sous-tendu ses efforts au fil des ans? «La transmission de cet art de vivre dans le mouvement». Pour Mady, la danse n’est rien de plus qu’un langage corporel. «Depuis ma fenêtre, j’aime voir bouger les gens dans la rue, essayer de deviner leur humeur sur cette base».

Mady Perriard est née à Sion en 1950 d’une mère enseignante et d’un père chimiste. En 1968, la famille déménage à Fribourg où l’adolescente continue à pratiquer assidument la danse, une passion qu’elle nourrit depuis l’âge de 10 ans. Après avoir étudié les sciences à l’Unifr et enseigné quelques années à l’école secondaire de Morat, la jeune femme décide de faire de sa passion pour la danse son métier et fonde une école en Basse-Ville de Fribourg. Cette année, La Planche fête ses 50 ans.