Dossier

Les ados face à leur sexualité

Réseaux sociaux, chaînes YouTube, sites internet, les sources d’informations dédiées à la sexualité se sont multipliées ces dernières années. Mais quels sont les connaissances et les comportements des adolescent·e·s fribourgeois·e·s en matière de sexualité? Un travail de master de l’Unifr dresse un état des lieux.

Si la sexualité fait partie intégrante de la vie de chacun·e, il est parfois difficile d’en parler, notamment à l’adolescence. Pudeur, contextes social et familial, éducation peuvent représenter des barrières qui empêchent de poser des questions pourtant essentielles à l’épanouissement sexuel. Pour mieux cerner les attitudes et pratiques des adolescent·e·s fribourgeois·e·s, leurs comportements et connaissances dans le domaine de la sexualité, Noémie Butt a effectué un travail de master en sciences de l’éducation. Un état des lieux réalisé en 2022: «L’idée était de répliquer une étude menée à grande échelle par Nancy Bodmer en 2008 pour le compte de la Commission fédérale suisse pour l’enfance et la jeunesse. Si cette recherche faisait le point sur le comportement des adolescent·e·s suisses âgé·e·s de 10 à 20 ans, j’ai centré mon travail sur des élèves fribourgeois·e·s de 11e Harmos dans deux cycles d’orientation du Canton, le premier situé en Ville de Fribourg, le second dans une commune rurale», explique l’ancienne étudiante de l’Unifr, aujourd’hui enseignante dans un cycle d’orientation. Le but de ce master consistait à comparer les résultats des deux études permettant ainsi de saisir l’évolution des mœurs et des connaissances des jeunes entre 2008 et 2022.

De nombreuses sources d’information

De manière confidentielle et anonyme, 198 adolescent·e·s âgé·e·s de 14 à 17 ans ont donc rempli, en classe, un questionnaire disponible en ligne et comprenant plusieurs thématiques: usage général d’Internet, éducation sexuelle, sources d’information, expériences sexuelle et ressenti, pornographie. Même si 14 années séparent les résultats des deux études, ceux-ci ne montrent pas de contradiction. Le comportement sexuel des jeunes sondé·e·s entre 2008 et 2022 n’est pas si différent, mais les manières de s’informer ont changé. Cela est surtout dû au contexte technologique et à la diversité des sources d’informations qui ont fortement évolué. «Je ne sais pas si l’étude permet de réellement mettre en avant ce changement majeur, mais je le constate plutôt par mes lectures personnelles et l’usage que je fais moi-même des réseaux sociaux: Internet est de plus en plus utilisé pour se renseigner sur la sexualité. YouTube a pris une place considérable dans le quotidien, avec de plus en plus d’influenceuses et d’influenceurs qui traitent des questions liées à la sexualité. Il en va de même pour des réseaux sociaux comme Instagram et TikTok. Les jeunes ont donc accès à ces informations.» Le constat est le même pour Pascale Spicher, lectrice en didactique au Centre d'enseignement et de recherche pour la formation à l'enseignement au secondaire et superviseuse de ce travail de master. «Les jeunes entre 14 et 17 ans ont un plus grand accès aux réseaux sociaux que les adolescent·e·s du même âge dans l’étude de Nancy Bodmer. Cela est notamment dû au rapport des jeunes avec les smartphones. En 2008, ils et elles recevaient leur premier téléphone portable à la fin du cycle d’orientation. Aujourd’hui, le smartphone est entré dans les cours de récréation des écoles primaires. La pandémie de covid-19 est passée par là. De nombreux enfants ont eu le droit d’utiliser le téléphone portable de leurs parents pour faire l’école à la maison.» Pour Pascale Spicher, les jeunes se tournent vers Internet pour trouver des réponses car, «en matière de santé sexuelle, rien n’a changé depuis trois générations. J’entendais récemment un politicien qui expliquait que sa mère avait enseigné l’éducation sexuelle dans le Canton de Genève. Il constatait qu’aujourd’hui, les mêmes cours sont encore donnés. Alors forcément, s’il n’y a pas d’évolution dans ce domaine, même si je soupçonne que ce n’est pas tout à fait vrai, il est assez normal que les jeunes se renseignent là où se trouvent des informations qui leur correspondent.» Une réalité étayée par les recherches de Noémie Butt: «En 2008, l’étude Bodmer démontrait que les adolescent·e·s abordaient le sujet de la sexualité le plus souvent dans le contexte scolaire, avec leurs enseignant·e·s ou avec les éducateur·trice·s en santé sexuelle. En 2022, seuls 2% des jeunes disent se tourner vers les intervenant·e·s scolaires.»

Homme endormi – Jacqueline Esseiva 1925–1938 | © 2024, ProLitteris, Zürich (Foto Francesco Ragusa)

Le rôle toujours important des mamans

Internet n’est pas la seule source d’information des jeunes sondé·e·s. Le rôle, plus traditionnel, de l’entourage reste primordial, notamment celui de la maman. En effet, pour les adolescentes, la mère est la première personne avec qui elles parlent de sexualité. Suivent le ou la meilleur·e ami·e, puis la sœur. Les garçons s’adressent d’abord à leur meilleur·e ami·e, puis à leur mère et, enfin, à leur père. «On constate donc qu’il n’y a pas eu de révolution dans la manière de s’informer, mais que les réseaux sociaux sont des moyens supplémentaires mis à disposition», précise Pascale Spicher. Les jeunes sont donc bien informé·e·s mais désirent en savoir plus encore, notamment sur les pratiques et les maladies sexuelles, ainsi que sur les interruptions de grossesse.     

Cet accès facilité via Internet n’est pas sans danger. Les mineur·e·s sont confronté·e·s de plus en plus jeunes à des images pornographiques. «Les deux derniers items du questionnaire abordaient la thématique de la pornographie. Il en ressort qu’une immense majorité des participant·e·s a déjà été confrontée à des images pornographiques, mais qu’une immense majorité aussi fait la différence entre ces images et la vraie vie», explique Noémie Butt.

L’auteure s’intéresse aussi aux expériences sexuelles vécues par les adolescent·e·s fribourgeois·e·s. Le questionnaire proposait une gradation des pratiques comprenant cinq paliers: 1. aucune expérience; 2. j’ai déjà embrassé et fait des câlins à quelqu’un·e; 3. j’ai vécu des moments de tendresse en caressant ou en étant caressé·e à même la peau; 4. j’ai déjà eu des rapports sexuels, j’ai déjà couché avec quelqu’un·e (avec ou sans pénétration); 5. les points 2, 3 et 4 ensemble. «Je n’avais pas d’idées préconçues, mais avec ce que l’on peut lire et entendre dans les médias et sur les réseaux sociaux, je pensais qu’il y aurait plus d’élèves de 11H qui déclareraient avoir déjà eu des rapports sexuels. En fait, pas du tout.» Selon les résultats de l’étude, 37% des élèves affirment n’avoir jamais eu d’expérience sexuelle; 38% ont déjà embrassé ou fait des câlins; 10% ont eu des contacts à même la peau et 15% déclarent avoir eu des rapports sexuels avec ou sans pénétration. L’âge moyen de ce premier rapport se situe entre 14 et 15 ans.

Trois élèves cependant déclarent avoir eu leur premier rapport sexuel avant l’âge de dix ans. «Ce résultat est étonnant, voire déroutant. Nous n’avons pas pu vérifier la véracité de ces réponses, mais la suite du questionnaire laisse penser que les trois jeunes en question ont dit la vérité», déclare Noémie Butt. Et Pascale Spicher de préciser: «Déontologiquement, nous aurions peut-être dû rechercher ces personnes pour savoir si elles avaient besoin d’aide, si on part du principe qu’il s’agissait d’un abus. Mais comme nous avions garanti l’anonymat et la confidentialité à tous·tes les participant·e·s, cela devenait très compliqué. Face à ces trois résultats, nous restons prudentes et compatissantes, parce que c’est vrai qu’il n’est pas normal d’avoir un premier rapport sexuel à cet âge.»

Si ce travail de master démontre une continuité entre 2008 et 2022, il a le mérite de cartographier et d’actualiser les connaissances quant aux rapports à la sexualité des jeunes fribourgeois·e·s. De quoi ouvrir de nouveaux champs d’analyses plus détaillées qui permettraient d’adapter, si nécessaire, les programmes des intervenant·e·s en santé sexuelle pour répondre au mieux aux besoins des nouvelles générations d’élèves.

Notre experte Noémie Butt est enseignante au niveau secondaire II et ancienne étudiante de master au Centre d’enseignement et de recherche pour la formation à l’enseignement secondaire.
noemie.butt@edufr.ch

Notre experte Pascale Spicher est lectrice au Centre d’enseignement et de recherche pour la formation à l’enseignement secondaire.
pascale.spicher@unifr.ch