Dossier
Pourquoi est-ce si difficile de stocker de l’énergie?
La recherche sur les batteries est un domaine très prometteur. Les pays européens, dont la Suisse, y sont très actifs, car ils aspirent à l’autonomie énergétique. Mais qu’est-ce qui rend cette question si complexe, se demande Boris Egger, biologiste. Explications de Preston Sutton, membre du groupe de recherche sur les batteries de l’Unifr.
«Je ne vois pas le stockage d’énergie comme une question difficile, mais comme un défi réalisable. Les batteries au lithium ont fait l’objet d’améliorations impressionnantes durant les trois dernières décennies», constate Preston Sutton, qui réalise une thèse sur le développement des batteries au lithium à l’Université de Fribourg. Et de préciser que les batteries actuelles restituent plus de 90% de l’énergie rechargée. A titre de comparaison, lors de la production de courant par combustion de carburants fossiles, tels que le charbon ou le pétrole, 60% de l’énergie stockée sont récupérés au maximum, en fonction de la technologie en question. Toutes les batteries se déchargent, mais à des vitesses différentes. Ce n’est pas la solution optimale pour stocker l’énergie durant des années. Il est techniquement possible de construire une batterie assez grande pour qu’elle conserve suffisamment d’énergie au-delà d’un an. Le chercheur note cependant: «il n’y a que très peu d’endroits où l’on a besoin de l’énergie durant une année sans pouvoir la recharger».
De nombreuses personnes pensent qu’une batterie parfaite pourrait résoudre les problèmes de stockage d’énergie. La technologie pour construire la batterie requise existe déjà, mais c’est une question de taille et de prix. Selon Preston Sutton, on oublie souvent que le développement technologique est aussi tributaire de décisions politiques. Il convient de déterminer combien d’argent et de temps nous sommes disposés à y investir, ce qui aura un impact considérable sur le rythme de développement de la technologie. De grands progrès ont déjà été réalisés. Depuis leur commercialisation au début des années 1990, la capacité d’accumulation d’énergie des batteries au lithium s’est considérablement améliorée. Et leur coût par unité d’énergie a prodigieusement baissé. Les gens oublient que leurs smartphones sont, en réalité, de petits ordinateurs qui consomment énormément d’énergie. Ils sont bien différents des anciens téléphones cellulaires qu’il fallait recharger moins souvent.
Transition technologique vers le renouvelable
«Nous sommes dans une phase de transition technologique des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables. Il faudra un certain temps pour résoudre ce défi en cette période de forte croissance démographique et de développement à l’échelle mondiale», explique l’expert en énergie. On oublie généralement que la majorité des coûts de production d’électricité sont occasionnés par la transmission du courant et les immenses pertes d’énergie durant le transport. Actuellement, les coûts ne sont pas encore concurrentiels avec les énergies fossiles. La terre a accumulé de l’énergie sous forme d’hydrocarbures durant des millions d’années. L’économie mondiale est basée sur l’exploitation de ces ressources, qui s’appuie sur un siècle de développement des technologies d’extraction. Depuis plusieurs décennies, l’énergie à l’échelle mondiale est principalement générée par la combustion de charbon et de pétrole.
«Mon hypothèse est que la combinaison d’énergie photovoltaïque avec des batteries gagnera progressivement en importance et finira par dépasser la capacité de production et de stockage d’énergie des centrales électriques», prédit Preston Sutton. Il existe de nombreuses façons de stocker l’énergie. Par exemple, avec de très grandes batteries (de plusieurs mètres cubes) ou des stations hydroélectriques. On peut charger une batterie avec des technologies différentes, telles que l’énergie solaire ou éolienne, ou emmagasiner de l’énergie sous forme d’hydrogène (par électrolyse de l’eau), ce qui n’émet pas de carbone et n’a pas d’impact climatique, contrairement à la combustion d’énergies fossiles. Le scientifique relève que la combinaison d’énergies renouvelables stockées dans des batteries rechargeables est beaucoup moins polluante que la combustion d’hydrocarbures.
Energie verte générée et consommée
localement Pour le chercheur de l’Université de Fribourg, l’avenir réside dans l’énergie solaire et éolienne générée localement pour une consommation locale. Il n’y aura pas une seule source d’énergie monolithique. On choisira le mélange d’énergie le mieux adapté à chaque région en fonction des besoins énergétiques et de l’environnement. Dans un pays montagneux comme la Suisse, l’énergie hydroélectrique joue un rôle important. La construction de lacs de barrages, qui se remplissent uniquement avec les eaux de pluie et la neige, est la façon la plus efficace de stocker l’énergie. Et il est tout à fait possible de pomper l’eau dans les réservoirs avec de l’énergie solaire et éolienne.
Dans des îles très ensoleillées comme Hawaï, la production d’énergie photovoltaïque coûte déjà moins cher que les combustibles fossiles, car les frais de transport vers les îles sont très élevés. A noter que l’Allemagne est le plus grand producteur d’énergie photovoltaïque d’Europe, bien que ce ne soit pas le pays le plus ensoleillé! Preston Sutton propose de recouvrir les surfaces artificielles non utilisées, telles que des bâtiments, des toits, voir même des aires de stationnement ou des routes, de panneaux solaires qui rechargeraient de nombreuses petites batteries. Selon lui, la combinaison entre l’énergie solaire et les batteries changera bientôt la manière de produire et de stocker l’électricité.
Le chercheur souligne que les batteries sont uniques pour alimenter des dispositifs électroniques portables. Si les coûts par unité d’énergie continuent à baisser et que la technologie progresse au même rythme, les batteries pourraient devenir le principal mode de propulsion automobile. «Je pense que d’ici 25 ans toutes les nouvelles voitures seront alimentées par des batteries et que mes enfants conduiront des voitures électriques», estime le scientifique.
Vainqueur du Science Slam 2018
Lors du Science Slam de l’Université de Fribourg, au printemps dernier, Preston Sutton a conquis le public en expliquant que, dans un avenir proche, il sera possible de boire au volant et d’arriver à bon port en toute sécurité avec des voitures électriques autonomes. Ces véhicules seront alimentés par des batteries plus efficaces et plus sûres. Dans le cadre de sa thèse, il travaille au développement de batteries au lithium, ce dernier étant la source d’énergie de la batterie. Le scientifique a expliqué au public qu’une pile aux ions de lithium typique est constituée d’une anode (de carbone) et d’une cathode (de matière céramique), séparées par une fine barrière (de l’épaisseur d’un cheveu). Grâce à des électrolytes, cette barrière laisse passer les ions de lithium de l’anode à la cathode, qui tous deux peuvent stocker du lithium. Plus le séparateur est fin, plus il y a de place pour l’anode et la cathode, soit une meilleure capacité de stockage du lithium et donc plus d’énergie. Si la barrière est trop fine et que le carbone et la céramique se touchent, de la chaleur est produite avec le risque que les électrolytes prennent feu. Le but est de remplacer les électrolytes inflammables. Le chercheur teste des batteries avec de nouveaux composants chimiques pour remplacer les électrolytes et séparateurs actuels, afin de développer des batteries plus efficaces et non inflammables.
Question Boris Egger, maître-assistant au Département de biologie.
boris.egger@unifr.ch
Expert Preston Sutton est doctorant à l’Université de Fribourg. Il a rejoint le groupe de recherche sur les batteries en 2015. Il a un diplôme d’ingénieur en mécanique et une maîtrise en science des matériaux et chimie des batteries.
preston.sutton@unifr.ch