Dossier

Virus vs bactérie: qui frappe le plus fort?

Et si nos deux ennemis se retournaient l’un contre l’autre ? Pour répondre à la question de la Professeure Sarah Progin-Theuerkauf de la Faculté de droit, Laure Weisskopf, professeure au Département de biologie, esquisse une ligne potentielle de l’avenir de la médecine: la phagothérapie ou quand les virus mangent les bactéries.

On a parfois tendance à mettre tous les «microbes» dans le même paquet: celui des agents responsables de nos maladies infectieuses et donc des ennemis à abattre. Notons au préalable que les organismes infectieux ne représentent qu’une infime partie des «microbes», ou micro-organismes, qui sont pour l’essentiel bénéfiques et même indispensables au fonctionnement de notre corps et de notre écosystème. Au-delà du rôle bien connu de la flore intestinale, de récentes études ont montré que notre peau et nos muqueuses sont colonisées par une microflore diverse aux multiples fonctions. Il semble même que notre corps compte plus de cellules microbiennes que de cellules humaines, ce qui montre bien l’importance de ces hôtes microscopiques, dont nous avons peu conscience, mais qui effectuent des tâches indispensables à notre santé. Ceci dit, il est compréhensible que depuis ses débuts, la recherche en microbiologie se soit, avant tout, focalisée sur la minorité pathogène des micro-organismes, puisque cette minorité a été et est toujours la source de nombreux décès dans la monde. 

 

Tout l’art de la guerre

Encore faut-il connaître ses ennemis pour pouvoir les combattre: un mal de gorge, par exemple, peut être causé par une attaque bactérienne ou virale. La première pourra être soignée par des antibiotiques – si tant est que la bactérie y soit sensible –, alors que ceux-ci ne seront d’aucune utilité pour la deuxième. Contrairement aux antibiotiques, les vaccins permettent de nous protéger soit contre des virus, soit contre des bactéries, suivant le type de vaccin. En ce qui concerne les modes de transmission, et le pouvoir contagieux plus ou moins important qui en résulte, ils ne sont pas forcément différents entre une bactérie et un virus: une morsure de tique, par exemple, pourra transmettre à la fois la maladie de Lyme, causée par une bactérie, et l’encéphalite, causée par un virus. Il pourrait sembler, à première vue, que les virus sont plus contagieux que les bactéries, mais cette impression paraît plutôt due au fait que notre po-pulation est surtout exposée aux virus causant les traditionnels rhumes hivernaux ou la grippe, qui se transmettent par voie aérienne et sont, dès lors, très contagieux. En d’autres temps, c’était la peste qui était transmise ainsi – outre la transmission par les rats et leurs parasites – et nos ancêtres ont appris à leur dépens combien cette maladie infectieuse d’origine bactérienne pouvait, elle aussi, être contagieuse! Il en est d’ailleurs de même pour la tuberculose, qui est, certes, largement éradiquée dans nos contrées, mais qui reste la première cause de mortalité infectieuse au niveau mondial.

Alors, au-delà de leurs similitudes, peut-on dire, du virus ou de la bactérie, qui frappe le plus fort? Commençons par décrire les principales propriétés des deux types d’organismes, pour autant que l’on puisse parler d’organismes dans le cas des virus. En effet, ces particules minuscules – pour la plupart environ dix fois plus petites qu’une bactérie, elle-même un million de fois plus petite que nous –, ne possèdent pas toutes les caractéristiques des êtres vivants; il leur manque, notamment, la capacité de se reproduire de façon indépendante. Lorsqu’un virus nous attaque, il se reproduit dans notre corps, mais en parasitant nos cellules: il y injecte son matériel génétique, prend les commandes de leur machinerie cellulaire et les force à travailler à sa propre multiplication, ce qui mène à l’affaiblissement, voire à la mort de celles-ci. C’est assez fort, il faut le reconnaître… Qu’en est-il des bactéries?

 

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Les bactéries, elles, sont des organismes à part entière, capables de se reproduire de façon indépendante même en l’absence d’une cellule hôte à parasiter. Contrairement aux virus, les bactéries infectieuses ne rentrent pas elles-mêmes dans les cellules hôtes, mais elles peuvent sécréter des toxines capables d’induire la mort cellulaire et celle de l’organisme infecté. Au-delà de leur intégrité cellulaire, les bactéries sont aussi capables de s’organiser entre elles pour adopter un comportement coordonné: par de subtils échanges de signaux chimiques, elles sentent à quel moment elles sont assez nombreuses et attendent ce moment pour déclencher les hostilités. Ceci leur évite de se faire remarquer trop tôt par notre système immunitaire, qui aurait plus de facilité à venir à bout de quelques petits soldats que d’une armée entière. Cette stratégie sophistiquée – appelée «quorum-sensing» – n’est qu’un des nombreux mécanismes de survie que les bactéries ont développés au fil de leur évolution de plus de trois milliards d’années. Mentionnons, à titre d’exemple, la formation de véritables cités microscopiques, que l’on appelle «biofilms», qu’elles bâtissent volontiers sur nos implants ou autres cathéters et qui les protègent à la fois de la défense immunitaire et des antibiotiques. Dans cette promiscuité citadine, les bactéries s’échangent facilement leurs trouvailles: si l’un des habitants découvre le moyen de devenir résistant à un antibiotique, il l’aura vite transmis à ses voisins de pallier, d’immeuble, et de quartier. Alors, plus fortes que les virus, les bactéries? 

 

Retournement de situation

Pas sûr… à l’heure de la résistance toujours plus massive des bactéries aux antibiotiques, les virus pourraient venir en aide à la médecine: comme nous, les bactéries ont aussi leurs virus et ceux-ci sont souvent extrêmement spécifiques, c’est-à-dire qu’ils ne s’attaquent qu’à un type de bactérie particulier. Cette propriété fait des virus de potentiels agents de lutte biologique, qui, dans le meilleur des cas, détruiraient uniquement la bactérie pathogène à l’origine de la maladie infectieuse sans affecter le reste de notre microflore aux multiples fonctions bénéfiques. Plusieurs équipes de chercheurs dans le monde s’intéressent de près à ces virus mangeurs de bactéries, ou bactériophages, et à leur application dans ce qu’on appelle la «phagothérapie». Les premiers essais cliniques ont été menés avec succès et ont permis de traiter des infections causées par des bactéries multirésistantes aux antibiotiques. Ceci suscite un grand espoir dans notre lutte contre les agents infectieux, même s’il nous manque encore du recul quant au devenir de ces phages dans notre corps, ainsi que dans l’environnement.

Dans ce dernier cas, il semblerait donc bel et bien que les virus frapperaient plus fort que les bactéries… Mais l’histoire n’est pas terminée et la question n’est pas tant de savoir si, mais quand les bactéries développeront le moyen d’échapper aux attaques des phages, comme elles ont appris à tolérer nos antibiotiques. Toutefois, contrairement aux antibiotiques, les phages, sans être des organismes à part entière, sont tout de même capables d’évolution et d’adaptation aux changements de leurs hôtes. C’est peut-être là surtout que réside l’espoir de ces nouvelles thérapies, à savoir que la vie soit plus rapide et plus efficace que la chimie de synthèse dans cette adaptation constante à l’inventivité bactérienne. Affaire à suivre…

 

Question Sarah Progin-Theuerkauf, professeure de droit international et commercial.
sarah.progin-theuerkauf@unifr.ch

Experte Laure Weisskopf est professeure au Département de biologie. Spécialisée dans les composés volatils bactériens et leurs effets sur la santé des plantes, elle cherche à comprendre comment les organismes communiquent et établissent des interactions. 
laure.weisskopf@unifr.ch