Dossier

Laudato si’–le cri d’alarme du pape François

En amont du sommet climatique 2015, l’évêque de Rome lançait un appel en faveur de la planète, sous la forme d’une encyclique intitulée Laudato si’. Ce message peut-il contribuer à réveiller les consciences? Entretien avec le théologien François-Xavier Amherdt.

Certains observateurs ont qualifié l’encyclique du pape François Laudato si’ de révolutionnaire: est-il nouveau d’associer la foi chrétienne aux problématiques environnementales?

Parler de révolution est exagéré, car dès 1971, avec Pacem in terris, Paul VI dénonce la crise écologique comme une conséquence de l’activité humaine. Puis, c’est au tour de Jean-Paul II d’inviter à une «conversion écologique globale»; enfin Benoît XVI, dans son encyclique Caritas in veritate (2009), exhorte à reconnaître les blessures causées à l’environnement par les comportements irresponsables. La conscience écologique chrétienne remonte à la conception de la création confiée par Dieu aux êtres humains comme un trésor pour qu’ils la fassent fructifier et la conservent. L’enseignement de l’Eglise catholique a, de tout temps, fait de cette notion du «bien commun» l’un de ses principes fondamentaux.

En quoi la contribution du pape François est-elle originale?

Ce qui est nouveau, c’est de consacrer toute une lettre encyclique (litt: «une circulaire» destinée à faire le tour des Eglises et de la terre) à la problématique environnementale. Or, François ne se contente pas de publier un texte: il incarne le message, l’assume et le défend. De plus, il met l’accent sur le lien entre dérèglement climatique et explosion des inégalités sociales. Et si le pape argentin a choisi «François» comme nom, c’est bien évidemment en relation avec saint François d’Assise, le petit pauvre, et son message d’humilité.

En matière de climat, les nouvelles préoccupantes se succèdent. Dans l’encyclique Laudato si’, le pape François ne lance-t-il pas un cri d’alarme de plus?

Avec cette publication, le pape assume son rôle d’autorité morale dans le concert des nations. S’il ne le faisait pas, il manquerait aux devoirs attachés à sa fonction. Son cri d’alarme a été lancé avant la COP21 de Paris de décembre 2015. Cette vive exhortation n’est pas un cri d’alarme parmi d’autres, mais elle en relaie quelques-uns lancés avant lui, tels ceux du Patriarche orthodoxe Bartholomée, appelé le «patriarche vert», et se place en amont comme «source d’appels ultérieurs», qui peuvent ainsi s’appuyer sur l’encyclique comme sur un point de repère spirituel solide.

La religion chrétienne est accusée d’avoir favorisé une vision anthropocentrique: l’homme qui commande à l’ensemble de la création. Cette vision n’est-elle pas à la racine du problème?

Au contraire, c’est une interprétation fallacieuse des récits de la Genèse, comme si l’homme était à même de se mettre à la place de Dieu et de gouverner le reste des êtres. C’est le péché dit «des origines» (Genèse 3): l’orgueil des humains qui oublient qu’ils ont tout reçu, veulent s’approprier ce qui reste un don à soigner et à partager et évacuent le Créateur. «Le Seigneur Dieu mit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder» (Genèse 2,15), non pour l’exploiter à son profit au détriment des autres espèces! François ajoute que c’est la mainmise indue de l’homme contemporain sur le reste de la création qui se trouve à la racine de la crise écologique actuelle et qui renouvelle, en quelque sorte, le péché des débuts du livre de la Genèse.

 

© Chappatte

Laudato si’ aurait été entièrement rédigée de la main du pape François. L’encyclique reflète-t-elle principalement sa pensée ou son propos est-il largement partagé dans l’Eglise?

L’évêque de Rome s’est entouré des meilleurs scientifiques pour asseoir la crédibilité de son discours et le rendre inattaquable. Il a pu compter sur l’appui de plusieurs théologiens spécialistes d’écothéologie et d’écospiritualité, notamment latino-américains, argentins et chiliens. Laudato si’ reflète son style personnel, mais ses propos sont très largement partagés par la majorité du peuple de Dieu et des enseignant·e·s des facultés de théologie catholiques. L’encyclique a également reçu un accueil enthousiaste des théologiens et communautés protestants, évangéliques et orthodoxes.

L’encyclique introduit-elle le concept d’écologie intégrale pour souligner que tout est lié ?

L’encyclique de Jean-Paul II sur l’enseignement social de l’Eglise catholique Centesimus annus (1991) regrettait déjà que nous nous engagions trop peu dans «la sauvegarde des conditions morales d’une ‹écologie humaine› authentique» (n. 38). En reprenant le concept d’«écologie intégrale», le pontife sud-américain s’inscrit dans la perspective holistique des Ecritures: l’être humain forme un tout, corps, âme-cœur et esprit. Il est relié à l’ensemble de l’humanité. Il ne peut s’abstraire du cosmos dont il fait partie, grain de sable pourtant élevé à la dignité «royale» de fils du Père à l’image du Fils unique.

Il n’y a pas d’écologie environnementale sans respect de la justice économique et sociale, sans déploiement d’une culture mondiale du respect de la dignité individuelle contre la mondialisation de l’indifférence, sans solidarité entre les peuples et les générations. Tout se tient: l’écologie intégrale se présente comme une recherche éminemment spirituelle (ou écospirituelle). Cela se reflète dans les prières chrétiennes: rendre grâce pour le soleil, la lune et les étoiles, les montagnes et les mers, c’est s’associer à la louange universelle, s’unir aux symboles dont la Parole est pétrie (eau, feu, sel, huile, couleurs, vêtement, maison, champ, etc.).

Le pape François parle de «conversion» écologique: c’est toute notre société qui est appelée à se réformer de fond en comble?

De toutes ces prises de conscience découle un appel vigoureux envers la «communauté internationale», les autorités politiques, les responsables économiques et les notables de toutes les religions en faveur d’un changement urgent de modèle. Nous ne pouvons continuer ainsi! Nous devons miser sur un autre style de vie et instiller à tous les niveaux une éducation pour une alliance entre l’humanité et l’environnement.

Il s’agit bel et bien d’une «conversion écologique». Mais n’est-ce pas le message même de la totalité de la Bible et de Jésus: «Convertissez-vous et croyez à l’Evangile»? Le Royaume à bâtir ici-bas a des dimensions civiles et politiques autant que spirituelles et religieuses. Cet appel retentit particulièrement à chaque période de Carême, comme une provocation à un retour à la prière, le partage, le pardon et le jeûne. Si l’Ecriture valorise autant le jeûne, n’est-ce pas également par attention et délicatesse envers les produits du sol que le Seigneur nous donne?

Honorer des standards environnementaux et respectueux des droits de l’homme, presser les multinationales (dont certaines ont leur siège en Suisse) à veiller au bien-être des populations habitant sur les terres riches en ressources minières et les faire profiter de ces biens, ne pas les priver de l’agriculture qui les fait vivre, tout cela participe de cette exhortation évangélique à laquelle personne ne peut se soustraire!

 

Notre expert l’abbé François-­Xavier Amherdt est professeur à la Chaire francophone de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique.

francois-xavier.amherdt@unifr.ch