Dossier
Impact des réseaux sociaux sur les marchés financiers
Cet article propose d’esquisser une réflexion sur l’impact des réseaux sociaux sur les marchés financiers. Il commence par une fameuse anecdote illustrant l’hypothèse des marchés efficients, fondement de la théorie financière classique.
Deux économistes se promènent le long de Wall Street à New York pour se rendre à leur poste de travail dans une prestigieuse banque. Soudainement, à sa grande surprise, l’un aperçoit un billet de 100$ au sol et ne peut se retenir de le signaler à son collègue. Celui-ci, adepte de la théorie des marchés efficients, le rabat de sa joie et lui répond qu’il doit être piégé par une illusion, car s’il y avait effectivement un billet de 100$, quelqu’un l’aurait déjà ramassé bien avant lui. Selon cette théorie, le prix d’un actif financier en bourse, par exemple une action, correspond toujours à la valeur fondamentale de l’actif et s’ajuste immédiatement à une nouvelle information pertinente. Par conséquent, cette théorie, sous certaines conditions, exclut toute possibilité de bulles spéculatives et d’opportunités d’arbitrage, c.-à-d. des investissements qui génèrent un profit sans coût et sans prise de risque, comme par analogie le billet de 100$ ramassé du sol.
Les réseaux sociaux connectent les gens à travers le monde et ont comme but de faciliter la communication et le partage d’informations. Ils sont susceptibles d’affecter les marchés financiers par plusieurs canaux.
Trier l’information…
Les entreprises communiquent de plus en plus d’informations quant à leurs activités sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter. Par exemple, Elon Musk, le fondateur et PDG du constructeur de véhicules électriques Tesla, a tweeté, le 7 août dernier, qu’il a pu obtenir le financement nécessaire pour retirer Tesla de la bourse, ce qui a rassuré les investisseurs et fait bondir le cours de l’action de 6% le jour-même. Du fait de la plus grande disponibilité de l’information et d’attirer l’attention des investisseurs, les réseaux sociaux peuvent donc faciliter les échanges, rendre les marchés plus efficients au sens défini initialement et permettre une allocation optimale des ressources entre investisseurs et entrepreneurs. Des études mettent d’ailleurs en lien le nombre de visites sur la page Wikipédia d’une entreprise et le volume d’échange de ses actions.
…ou s’y noyer
En revanche, il se peut aussi que les investisseurs se perdent dans l’afflux d’informations générées par les réseaux sociaux et ne parviennent plus à cerner correctement une nouvelle information, c.-à-d. juger si elle est bonne ou mauvaise, ce qui peut se répercuter sur les prix. La problématique s’accentue en présence de fake news. D’ailleurs, des études montrent que les prix des actions d’entreprises réagissent (baissent) plus fortement suite à des informations négatives publiées dans les réseaux sociaux sur l’entreprise spécifique que suite à une bonne nouvelle (montent). Cette observation est concordante avec la théorie de l’aversion à la perte de Kahneman et Tversky, pour laquelle ils ont reçu le prix Nobel d’économie en 2002. Leur théorie s’inscrit dans l’économie comportementale et s’oppose à la théorie financière classique, dans la mesure où elle relâche l’hypothèse de rationalité des investisseurs et tente d’expliquer les fluctuations des prix par des biais psychologiques (émotions, panique) et biologiques («effet mouton»). Le développement technologique a permis de faciliter la participation des investisseurs individuels aux échanges boursiers via des plateformes de trading en ligne. Si ce sont précisément les personnes privées, vulnérables à ces biais, qui consultent les réseaux sociaux, par exemple pour collecter des informations sur une entreprise, et que ces dernières interprètent l’information de manière biaisée, ce sont aussi les prix des actions in fine qui se trouvent biaisés. Dans ce contexte, les réseaux sociaux peuvent diminuer la confiance sur les marchés financiers, rendre ceux-ci plus volatiles et favoriser la formation de bulles spéculatives, d’autant plus que la diffusion d’informations devient rapide. Il y a également raison de penser que les investisseurs institutionnels, tels que des fonds de placement ou des caisses de pension, se servent des réseaux sociaux, d’une part pour obtenir de l’information en vue de faire de meilleurs choix d’investissement, par exemple en suivant des publications de données macroéconomiques sur Twitter ou en s’informant sur LinkedIn sur les caractéristiques d’un dirigeant d’entreprise nouvellement élu, mais aussi pour attirer des fonds en plaçant des publicités ciblées. En outre, certains agents peuvent s’en servir pour partager leurs informations et donner des conseils d’investissements, bien qu’il soit parfois difficile d’évaluer s’il s’agit là vraiment d’informer ou d’influencer.
En somme, il apparaît que les réseaux sociaux sont susceptibles d’affecter les marchés financiers dans la mesure où des informations financières et économiques y sont diffusées et que les investisseurs traitent celles-ci pour échanger en bourse. Pour terminer encore sur une anecdote, une étude montre que plus les statuts et commentaires sur Facebook révèlent des niveaux élevés de bonheur des utilisateurs, plus les marchés financiers sont en hausse et inversement. Un résultat à interpréter avec prudence bien sûr.
Notre expert Dominic Schwab est assistant diplômé et doctorant à la Chaire de finance et gouvernance d’entreprise de l’Université de Fribourg. Parmi ses thèmes de recherche figurent les fonctionnements et dysfonctionnements des marchés financiers, les relations entre la structure de propriété, la performance et les politiques financières des entreprises, ainsi que les modes d’investissement et de financement alternatifs.