Dossier
PositivIslam: ma plume, ma voix, mon islam
Utiliser les nouveaux medias pour proposer une vision alternative et positive de l’islam; offrir un espace à de jeunes bloggeurs pour qu’ils puissent donner de la voix, profiter des techniques et des médias 4.0 pour discuter, débattre et sourire de sujets importants et parfois difficiles: c’est l’ambition du projet PositivIslam.
Le titre du projet est bien sûr provocateur, dans la mesure où les deux termes «positiv» et «islam» ne sont actuellement que rarement associés à la Une des titres de la presse. Une étude, récemment publiée par la Commission fédérale contre le racisme, montre même que les contenus médiatiques tendent à produire de la distance entre musulmans et non musulmans (Ettinger Patrick, 2018, «La qualité de la couverture médiatique des musulmans de Suisse» – une étude mandatée par la Commission Fédérale contre le Racisme, Berne). Le projet part de l’idée d’essayer, pour une fois, de les associer et de rendre compte des expériences et vécus positifs de jeunes suisses à propos de ce thème. Ce défi a été relevé par 18 jeunes bloggeurs, certains de confession musulmane, d’autres pas; nombreux sont francophones, d’autres italophones. L’objectif de cette jeune communauté? Animer un blog avec des articles, des dessins et des vidéos pouvant servir de base pour parler de leurs expériences et visions de la société suisse, des messages essentiellement positifs qui ne sont, à l’heure actuelle, que rarement entendus par le grand public. Ce projet devrait permettre une réflexion sur la place des jeunes musulmans en Suisse, mais également proposer un discours alternatif aux messages clivants qui circulent sur le net, dont certains font référence à une lecture extrême de l’islam.
PositivIslam est un projet porté par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) en collaboration avec l’association fribourgeoise Frislam. Il est soutenu financièrement par la Plateforme «Jeunes et Médias» de l’Office Fédéral des Assurances Sociales. Il répond à un appel d’offre de la Confédération à lancer des projets visant à contrer la présence de discours de propagande radicale sur Internet. Le raisonnement est simple: les groupes extrêmes, soient-ils politiques ou religieux, font un usage massif des médias sociaux pour la circulation de leur propagande. Or, celle-ci n’est, jusqu’à présent, pas adéquatement contrecarrée par des discours alternatifs. Les projets soutenus constituent une opportunité pour des acteurs de la société civile d’examiner un sujet brûlant et de participer au débat en proposant des lectures différentes du quotidien et de la religion.
Le Centre Suisse Islam et Société a choisi de saisir cette occasion. Il a contacté différentes associations musulmanes, des jeunes engagés dans un projet de dialogue interreligieux et les a invités à s’engager dans le projet. Le résultat est, du moins pour le moment, très encourageant. Le site Internet hébergeant le blog est nourri régulièrement par de nouvelles publications et la page Facebook du projet vient d’être officiellement lancée.
Le même langage
Le blog a été pensé et réalisé en collaboration avec les jeunes. A l’occasion d’ateliers que le CSIS a organisés, les bloggeurs ont été conviés à réfléchir aux contenus des messages à produire, mais également à leur forme. Il est crucial de construire une plateforme qui soit adaptée au maximum aux goûts et aux intérêts du public-cible, soit des jeunes entre 18 et 25 ans. La structure de la plateforme, et notamment les types de discours proposés (articles, dessins et vidéos), reflètent donc les propensions des jeunes bloggeurs. Si la plupart d’entre eux aiment écrire, d’autres préfèrent dessiner ou réaliser de courtes vidéos pour exprimer leur point de vue sur la réalité: à chacun son art. Quoi qu’il en soit, partageant les mêmes codes de communication que leurs pairs, les bloggeurs connaissent mieux que quiconque les nouveaux modes de communication liés aux médias sociaux et utilisent un langage user friendly.
Blogs et religion, un binôme improbable?
Ce qui étonne d’abord dans ce genre de projets, c’est peut-être le lien entre religion et médias sociaux. Comment peut-on associer deux registres discursifs que souvent tout oppose? Les blogs sont instantanés, leurs contenus souvent courts, percutants et associant notes d’humour ou d’ironie. En revanche, la religion apparaît comme une tradition séculaire, aux écrits complexes et aux rites immuables. Or, cette opposition n’est que façade.
Le projet PositivIslam révèle que ce binôme peut, au contraire, être instructif. Il montre premièrement que la religion est expérience et appartenance. Elle n’est qu’une partie de l’identité de ces jeunes, qui sont bien conscients des différentes facettes de leur vie. La religion en est une, mais parmi d’autres. Deuxièmement, il permet de comprendre qu’on peut parler de religion, citoyenneté et vie quotidienne, sans que ces concepts soient pensés comme mutuellement exclusifs. Et, last but not least, on peut le faire en utilisant des GIFS (Graphic Interchange Format) et des MEMES, outils de la nouvelle génération 4.0, sans pour autant banaliser des thématiques sociétales importantes. Voir pour croire!
Les thèmes abordés par les bloggeurs PositivIslam sont nombreux: de larges réflexions sur la place et le rôle de la jeunesse à l’expérience personnelle du port du voile, en passant par des vécus subjectifs de discrimination. Les sujets ne sont pas tous strictement religieux. Au contraire. Souvent les jeunes non musulmans parlent d’islam et les jeunes musulmans parlent de thématiques sociétales, il n’y a pas de règles précises.
Ces contributions relativisent le préjugé selon lequel toute personne de confession musulmane se réduirait à l’islam. En effet, les jeunes musulmans manifestent leur volonté de pouvoir tout simplement s’exprimer sur les sujets les plus variés (musique, sport, voyages, etc.), sans pour autant être toujours ramenés à leur identité a priori religieuse. Au-delà du projet PositivIslam, les réseaux sociaux ouvrent évidemment de grandes possibilités à des jeunes de tous horizons culturels, religieux ou sociaux pour exprimer leur subjectivité.
Une opportunité à saisir
Des projets comme PositivIslam sont importants et constituent peut-être un point de départ pour la création d’une voix alternative aux médias classiques, auxquels les jeunes n’ont pas encore un accès facilité. Les médias sociaux permettent une expression libre et relativement peu coûteuse comparée aux mass media conventionnels. En ceci, ils peuvent être considérés comme plus démocratiques. Cette facilité de circulation des idées et des messages a été très bien cernée par des groupes extrêmes, qui exploitent les opportunités de la communication digitale pour véhiculer des discours haineux ou par des personnes diffusant des fausses informations, mieux connues sous le nom de fake news. Ces aspects appellent une réflexion sur les instruments à développer en vue d’une utilisation réfléchie des médias sociaux, des éléments que le projet PositivIslam essaye de prendre en compte dans la réalisation de ses blogs.
Notre expert Federico Biasca est chercheur junior au Centre Suisse Islam et Société. En charge de la gestion du projet PositivIslam, il travaille depuis 2017 dans l’organisation de formations continues portant, entre autres, sur la prévention des radicalisations.
Notre experte Mallory Schneuwly Purdie est chercheuse senior au Centre Suisse Islam et Société. Elle travaille depuis une vingtaine d’années sur l’islam et les musulmans en Suisse, notamment sur les courants militants. Responsable du projet PositivIslam, elle fait aussi partie au comité directeur du CAS «Prévenir les extrémismes. Idéologies, religions et violence(s)» qui a débuté en septembre 2018 à l’Unifr. Elle a également rédigé, avec Hansjörg Schmid, Andrea Lang et Andreas Tunger-Zanetti, «Les musulmans dans l’espace public et médiatique» pour le CSIS-Paper 5.
mallory.schneuwlypurdie@unifr.ch
Site du projet: https://www.positivislam.ch/
Page Facebook: https://www.facebook.com/PositivIslam