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L’avenir radieux des cellules solaires à pérovskites

En 10 ans seulement, l’efficacité des cellules solaires à pérovskites a fait des progrès spectaculaires. Seule leur instabilité notoire les empêche. encore de s’imposer commercialement, mais des scientifiques du monde entier, dont la Docteure Jovana V. Milic de l’Institut Adolphe Merkle, cherchent la parade.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le mot pérovskite n’est pas formé avec le suffixe «ite», synonyme d’inflammation. Il n’empêche, ce terme, qui désigne à l’origine un simple minéral découvert dans les contreforts de l’Oural, porte depuis une décennie le monde scientifique à l’incandescence. C’est un chercheur japonais qui, le premier, a découvert le potentiel prometteur de cette structure cristalline pour la production d’électricité photovoltaïque. En 2009, et avec un dispositif très rudimentaire, Tsutomu Miyasaka parvint à transformer 3,8% de l’énergie solaire incidente en énergie électrique. Un départ de tortue qui ne laissait en rien présager les bonds de lièvre que cette technologie a effectués depuis. Voyez plutôt: à peine 10 ans plus tard, et moyennant quelques perfectionnements, ses rendements dépassent les 25%, une progression fulgurante qui permet aux cellules solaires à base de pérovskites de rivaliser, en termes d’efficacité, avec les cellules solaires conventionnelles à base de silicium. Un produit miracle? Oui, à un détail près, et de taille: les cellules à pérovskites se désagrègent sous l’effet du rayonnement ultra-­violet et de la chaleur, un comble pour un dispositif censé convertir le rayonnement solaire en électricité.

Une émulation sans précédent

On comprend toutefois mieux la frénésie qui s’est emparée des équipes de recherche, de la Corée du Sud au Royaume-Uni en passant par la Suisse et l’Université de Fribourg. Les publications scientifiques sont innombrables. Il faut plancher sur une solution, et vite, notamment pour atteindre les objectifs de neutralité carbone si chère à de nombreuses collectivités publiques! Pour Jovana Milic, responsable d’un groupe de recherche à l’Institut Adolphe Merkle (AMI), les cellules à pérovskites peuvent y contribuer, leur fabrication s’avérant beaucoup moins énergivore que celle des panneaux photovoltaïques conventionnels: «Pour produire du silicium, il faut chauffer du sable à très haute température, plus de 1000°C, tandis qu’il suffit de dissoudre des sels précurseurs dans un solvant organique ou de les broyer à température ambiante pour obtenir une structure cristalline de type pérovskite.» La suite est encore plus simple, puisque les cellules à pérovskites peuvent être fabriquées à l’aide d’imprimantes industrielles, tandis que celles en silicium le sont en salle blanche, un procédé lourd et coûteux.

Cela dit, ces dernières risquent de dominer le marché pendant encore quelques années, car elles sont non seulement éprouvées techniquement, mais, étant produites à large échelle, d’un coût de revient très bas. «C’est vrai, concède la chercheuse de l’AMI, cela va dépendre, d’une part, des incitations fiscales et, de l’autre, du passage à la production à grande échelle des cellules à pérovskites. On en prend la voie: En Chine et à Oxford, par exemple, des sociétés ont déjà monté de telles  chaînes de production.»

L’AMI entre dans la danse

Cette nouvelle technologie a donc tout pour plaire: les cellules solaires à pérovskites s’avèrent efficaces, flexibles, faciles à fabriquer, mais, on l’a vu, d’une fragilité encore rédhibitoire. «En fait, renchérit Jovana Milic, leur rendement n’est plus à démontrer et on pourrait même s’en contenter, mais il faut impérativement résoudre ce problème de désagrégation précoce.» Cette obsolescence non désirée s’explique par la nature même des cellules à pérovskites: «On a affaire à ce que l’on nomme un matériau hybride, car il est constitué d’ions organiques et inorganiques. Cette particularité lui confère une certaine souplesse, mais elle nuit à la stabilité opérationnelle du dispositif.» Concrètement, au niveau moléculaire, voici ce qui se passe: exposés aux rayons du soleil ou soumis à une tension électrique, les ions se déplacent et, donc, endommagent le matériau.

Pour maîtriser ce phénomène, Jovana Milic compte sur ses connaissances en chimie supramoléculaire, une approche qu’elle estime jusqu’à présent négligée dans le domaine. Celle-ci consiste notamment à ajouter des composés organiques à la pérovskite, afin d’influencer sa structure et donc ses propriétés optiques et électriques: «Les molécules organiques que je développe peuvent remplir différentes fonctions, telles que fixer les ions, les empêchant d’endommager la structure avec leurs mouvements. Elles contribuent ainsi à la stabilité du matériau.» Il est important de trouver la bonne composition moléculaire, afin que la stabilité retrouvée ne nuise pas aux performances photovoltaïques.

 

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Une course au coude-à-coude

Dans une course, fût-elle technologique, il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. Jovana Milic n’ignore cependant pas que se dressent face à elle de grands groupes aux ressources financières incomparables:  «Cela ne m’inquiète pas, car je reste fascinée par la science. Même quand on n’obtient pas les résultats escomptés, le processus nous apprend énormément, ce qui ouvre des perspectives que nous ne pouvons souvent pas imaginer au départ – c'est la beauté de la science! – en remettant en question les limites de nos connaissances. Il y a d’ailleurs d’innombrables questions qui restent en suspens. A vrai dire, on ne comprend pas vraiment ‹la magie› qui se cache derrière les pérovskites, mais nous en découvrons plus à travers cette recherche.»

Bientôt en magasin?

Pour l’heure, la piste la plus prometteuse semble être d’utiliser la pérovskite de manière conjointe avec le silicium. Dans ces cellules dites tandem, la pérovskite accroît sensiblement les performances du silicium. Ces progrès spectaculaires ne doivent cependant pas masquer une réalité plus prosaïque: ce n’est sans doute pas demain que l’on pourra garnir le toit de sa maison avec des panneaux photovoltaïques à base de pérovskites. «Je me garde de tout pronostic, mais je dois vous avouer que les pérovskites ont une autre tare, en particulier en Europe où les lois sont plus strictes: les pérovskites les plus efficaces, celles à halogénures métalliques, contiennent du plomb, un neurotoxique tristement connu.» On pourra bien sûr arguer que du plomb se trouve dans de nombreux appareils, y compris dans les cellules solaires à base de silicium. La différence, en l’occurrence, c’est que le plomb des pérovskites est soluble dans l’eau. «Cette concentration reste faible, relativise Jovana Milic, et on peut sans doute trouver une solution, éventuellement remplacer le plomb par de l’étain ou faire en sorte qu’il ne s’écoule pas dans la nature.» La chercheuse de l’AMI compte, là aussi, sur la chimie supramoléculaire et organique pour fixer le plomb et l’empêcher de s'éparpiller dans l'environnement.

Des applications innombrables

La plasticité des cellules à pérovskites n’a pas que des inconvénients, puisqu’elle leur permet d’adhérer à une grande variété de substrats. C'est pourquoi on peut envisager d’innombrables applications, notamment dans le domaine des technologies portables, pour alimenter, entre autres, des montres connectées ou des textiles dotés d’éléments électroniques. Jovana Milić entrevoit également un grand potentiel dans le domaine de l’aérospatiale. «C’est un domaine très prometteur, car dans l’espace l’absence d’atmosphère règle certains problèmes de stabilité des pérovskites.»

Et d’ailleurs, leur utilisation ne se limite pas à la transformation des photons en électrons. A l’avenir, les pérovskites pourraient non seulement remplacer les diodes électro­luminescentes et les écrans lumineux, mais permettront aussi de stocker ou de transférer les données. L’ironie de l’histoire n’a pas échappé à Jovana Milic: «Ces mouvements d’ions qui nous causent tant de tracas pour les applications photovoltaïques vont nous rendre des services inimaginables dans d’autres domaines!»

 

Notre experte Jovana V. Milic est responsable d’un groupe de recherche à l’AMI depuis le mois de septembre 2020. Elle a reçu plusieurs prix prestigieux, dont un financement Prima du Fonds national et un prix Green Talents, qui récompense les projets contribuant au développement durable. Elle a aussi été sélectionnée pour représenter l’un des élément (Db) du tableau périodique par l’International Union of Pure and Applied Chemistry (IUPAC). Sa recherche sur les cellules solaires à pérovskites, elle s’en réjouit, requiert une intense collaboration interdisciplinaire avec des chimistes, des physiciens et des ingénieurs.

jovana.milic@unifr.ch