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Les migrants rapportent davantage qu'ils ne coûtent
Les migrants sont souvent perçus comme un boulet pour l’économie suisse. Une étude conduite par une équipe de l’Unifr tord le cou à ce cliché: la contribution de la population issue de l’immigration aux assurances sociales helvétiques dépasse les bénéfices qu’elle en tire. Parfois malgré elle.
La campagne autour de l’initiative de limitation, sur laquelle les citoyen·ne·s suisses se sont exprimé·e·s le 27 septembre 2020, l’a confirmé: les clichés sur l’immigration ont la vie dure. Dans l’imaginaire collectif, la population migratoire est encore souvent perçue comme un poids pour l’économie helvétique. Hasard du calendrier, les résultats d’une recherche de l’Unifr, publiés un mois avant le scrutin, contribuent à tordre le cou à ces clichés. Comme le démontrent Monica Budowski et ses co-auteur·e·s Eveline Odermatt et Sebastian Schief, les migrant·e·s apportent davantage au système suisse de sécurité sociale qu’ils n’en bénéficient. Par ailleurs, leurs contributions fiscales ont une influence positive sur le produit intérieur brut du pays.
L’étude pilotée par la professeure au Département de travail social, politiques sociales et développement global constitue l’un des chapitres d’une nouvelle publication baptisée «Panorama de la société suisse», co-réalisée par l’Office fédéral de la statistique (OFS), l’Unifr et l’Université de Neuchâtel, dont la première édition est consacrée aux thématiques de la migration, de l’intégration et de la participation. «Nous souhaitions sortir de la perspective – trop souvent répandue en Suisse – selon laquelle les migrant·e·s coûtent cher», explique Monica Budowski. «Par ailleurs, il nous
tenait à cœur de dépasser la seule logique d’analyse des coûts et bénéfices en prenant en compte des critères supplémentaires», complète Eveline Odermatt.
Effets démographiques
En ce qui concerne spécifiquement le rapport des migrant·e·s avec la sécurité sociale helvétique, l’équipe de recherche s’est penchée sur l’AVS, les prestations complémentaires, l’AI, l’assurance maladie, l’assurance chômage et l’aide sociale. Etant donné que les travailleuses et travailleurs issu·e·s de l’Union européenne (UE) représentent plus des deux tiers des immigré·e·s en Suisse, c’est sur eux que l’étude s’est concentrée. «Les résultats de l’analyse coût-bénéfice varient d’une assurance sociale à l’autre», précise Monica Budowski. Reste que, globalement, «nos conclusions – qui se basent sur de nombreuses études préexistantes – suggèrent que les effets positifs prédominent.»
Dans le cas de l’AVS, par exemple, qui absorbe à elle seule plus du quart des dépenses totales des assurances sociales suisses, il est intéressant de souligner qu’en 2016, selon des chiffres du SECO, l’apport des ressortissant·e·s des pays de l’UE28/AELE représentait 26,1%, alors qu’ils n’en ont bénéficié qu’à hauteur de 15,3%. Il faut rappeler à cet égard que seuls 7% de ces immigré·e·s percevant une rente vieillesse en 2018 touchaient une pension complète, du fait qu’ils n’avaient généralement pas contribué à cette assurance durant toute leur vie professionnelle.
Du côté de l’assurance maladie (qui représentait, en 2017, 18,1% de l’ensemble des assurances sociales, selon l’OFAS), les spécialistes constatent que les immigrés paient en moyenne 500 francs de plus par personne et par an qu’ils n’en touchent. Ce ratio bénéficiaire pour notre pays s’explique principalement par des effets démographiques, les habitants étrangers étant en moyenne plus jeunes que les Suisses, donc impactant moins les coûts de la santé.
Des migrant·e·s hautement qualifié·e·s
En matière de fiscalité, plusieurs études parviennent à la conclusion que l’immigration a, dans un premier temps, un impact favorable sur les finances publiques helvétiques. A plus long terme néanmoins, l’impact pourrait plutôt devenir négatif. Une autre recherche relève, pour sa part, que les retombées fiscales liées aux ressortissant·e·s de l’UE sont plus importantes en Suisse que dans 28 autres pays pris en considération. Cela s’explique par le fait que la part des citoyen·ne·s originaires de l’UE y est la plus élevée et que la Suisse jouit d’un pour-centage proportionnellement élevé d’immigré·e·s très qualifié·e·s.
C’est d’ailleurs aussi ce haut niveau de qualification des travailleuses et travailleurs étrangers résidant en Suisse – aussi appelés high skilled – et, par ricochet, leur rémunération plutôt élevée, qui explique la contribution positive des migrant·e·s au système helvétique de sécurité sociale dans son ensemble, commente Monica Budowski. Selon l’OCDE, le nombre d’immigrant·e·s hautement qualifié·e·s a plus que doublé depuis 1991 en terre helvétique. Pour mémoire, on entend par «hautement qualifié» le fait d’être au bénéfice d’une formation de niveau tertiaire. «Là encore, on constate que la réalité migratoire est très différente de la vision la plus couramment véhiculée par les médias, à savoir celle de migrant·e·s à l’aide sociale et/ou en détresse.»
Un fossé entre la théorie et la pratique
Certes, la littérature spécialisée existante était suffisamment riche pour permettre aux trois chercheur·e·s de l’Unifr d’évaluer l’apport de la population immigrée au système suisse de sécurité sociale. Ils ont néanmoins constaté l’existence de plusieurs lacunes: la manière dont les immigré·e·s utilisent cette sécurité sociale, la transférabilité internationale des prestations sociales, ainsi que le niveau d’accès à (et d’information sur) la sécurité sociale n’ont à ce jour pas été analysés de façon systématique. «Nous avons décidé de compléter nos résultats en ce sens en nous basant, par exemple, sur une étude qualitative menée dans le Canton de Zoug», explique Monica Budowski. A noter que, dans ce cas, l’accent est plutôt mis sur les immigré·e·s moins favorisés.
Il apparaît que, même si la population issue de la migration est appelée à contribuer normalement au système de protection sociale helvétique, elle n’en retire pas forcément les mêmes avantages que la population indigène. «Prenez l’exemple de la portabilité de la protection sociale vers le pays d’origine; en l’absence d’accords bilatéraux entre la Suisse et ce pays, la travailleuse ou le travailleur étranger qui décide d’y rentrer après sa retraite peut être fortement pénalisé», rappelle Eveline Odermatt. C’est le cas en Croatie, pays dont les ressortissant·e·s se voient, à leur retour de Suisse, «taxés sur l’AVS». Au final, leur rente diminue donc comme peau de chagrin, «atteignant le même niveau que celle qu’ils auraient touchée s’ils étaient restés au pays, alors qu’ils ont laissé amis et famille pour partir à l’étranger».
Les auteurs de l’article constatent, par ailleurs, que de nombreux immigré·e·s, en particulier les plus âgé·e·s, se heurtent à un fossé séparant la théorie sur leurs droits en matière de protection sociale et la pratique. Il n’est pas rare qu’ils passent à côté d’une partie des prestations qui leur sont dues, que ce soit à cause d’une méconnaissance du système, de la complexité des procédures d’octroi ou encore d’une mauvaise maîtrise de la langue. En raison de ces expériences négatives, les migrants peuvent avoir tendance à se méfier des institutions publiques helvétiques, voire omettre – plus ou moins volontairement – de solliciter certains services, malgré le fait qu’ils ont contribué à la sécurité sociale pendant toute leur vie d’adulte.
Migrations helvétiques
Si l’enquête menée par Monica Budowski et ses co-auteur·e·s Eveline Odermatt et Sebastian Schief parvient à la conclusion – positive – que les ressortissant·e·s étrangers représentent une bouffée d’air pour le système suisse de protection sociale plutôt qu’un boulet, elle comporte également sa face sombre. L’équipe de recherche estime qu’il faudrait encourager des études plus approfondies analysant les droits des migrant·e·s dans leur pays d’accueil et leur pays d’origine. Les trois chercheur·e·s trouvent, par ailleurs, indispensable de ne pas traiter séparément les aspects économiques, politiques et sociaux du phénomène migratoire. «Lorsqu’on se base uniquement sur des modèles du type coût-bénéfice, on néglige plusieurs aspects positifs très importants», tels que la flexibilité de la main-d’œuvre immigrée, son apport en matière de savoir-faire et d’innovation ou encore «le niveau de formation acquis avant l’arrivée en Suisse, qui n’est donc pas à la charge de la collectivité helvétique», souligne Eveline Odermatt.
Ce que les auteurs souhaitent aussi, c’est que les résultats de leur étude contribuent à élargir le discours autour de la migration et, en particulier, à rappeler que «les Suisses aussi bougent, notamment la jeune génération», poursuit Eveline Odermatt, en précisant qu’actuellement plus d’un Suisse sur dix vit hors de nos frontières. La conclusion de conventions de sécurité sociale avec d’autres pays, ainsi qu’une meilleure information sur la reconnaissance des prestations sociales à l’étranger, «profiterait donc autant à la population indigène qu’à la population migrante».
Notre experte Monica Budowski est professeure ordinaire au Département de travail social, politiques sociales et développement global de l’Unifr. Parmi ses thématiques de recherche de prédilection figurent les inégalités sociales, la précarité, la qualité de vie, la santé et la recherche sociale comparative.
Notre experte Eveline Odermatt est assistante-docteure au Département de travail social, politiques sociales et développement global de l’Unifr. Elle s’intéresse tout particulièrement à la migration intra-européenne, au retour et à la réintégration post-retour, ainsi qu’aux configurations transnationales.
Notre expert Sebastian Schief est conseiller aux études et à la recherche au Département de travail social, politiques sociales et développement global de l’Unifr. Ses intérêts portent sur la recherche comparative sur le marché du travail, le temps et l’organisation du travail, les relations industrielles, la sociologie organisationnelle et économique, la précarisation, ainsi que la politique sociale et la mondialisation.