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Uni·e·s contre le harcèlement sexuel à l'université

Le sexisme et le harcèlement sexuel ne sont pas une affaire individuelle. Ces pratiques s’installent et prospèrent à l’intérieur d’un système qui en minimise, voire en ignore sciemment la portée. Une mobilisation institutionnelle est nécessaire, c’est pourquoi l’Institut de médecine de famille et l’Université de Fribourg ont lancé une campagne de prévention.

Tolérance zéro, c’est le mot d’ordre des deux campagnes, lancées durant le mois d’octobre 2020 par l’Institut de médecine de famille (IMF) et l’Université de Fribourg pour contrer les fléaux insidieux du sexisme et du harcèlement sexuel. Il faut dire que, selon un sondage mené par les étudiant·e·s en médecine de l’Unifr, 92% d’entre elles et eux ont déjà entendu parler de situations de harcèlement sexuel en milieu hospitalier et 54% redoutent d’y être confronté·e·s lors de leurs futurs stages. Plus largement, une enquête, menée par la chercheuse Klea Faniko, à l’Université de Genève en 2016, met fortement en avant les différentes formes de harcèlement et de sexisme dans le milieu académique, ainsi que l’inertie structurelle autour de ces questions. Après deux ans de phase test de son Ombudsstelle et l’entrée en vigueur de nouvelles directives en 2019, pour l’Unifr, il était temps d’agir.

«A l’entrée en vigueur des nouvelles directives, l’Ombudsstelle est devenu le point de contact pour les personnes victimes de harcèlement sexuel. Le but de la campagne est donc de marteler notre politique de tolérance zéro et d’informer les personnes touchées du soutien qui leur est proposé», explique Chantal Martin-Soelch, vice-rectrice en charge de l’égalité. Muriel Besson, responsable du Service de l’égalité entre femmes et hommes, abonde: «L’Unifr a pour mission d’offrir un cadre de travail et d’étude exempt de discrimination et de harcèlement sexuel. Elle doit garantir l’intégrité tant physique, que mentale et psychique des membres de la communauté universitaire.»

Au niveau chiffres, après 2 ans de phase pilote, la création de l’Ombudsstelle a été ratifiée par le Sénat le 1er février 2020. Durant ces deux années, il a traité 80 cas, dont 6 relevaient du harcèlement sexuel. Pour Ariane Linder, responsable du Service Uni-Social et médiatrice à l’Ombudstelle: «Le Service de médiation répond à un besoin certain de la communauté universitaire. Bien qu’il ait été institué de façon efficace, mais sans publicité, il a été sollicité à de nombreuses reprises et continue à l’être.» Muriel Besson ajoute: «Ces dernières années, plusieurs cas de harcèlement sexuel et/ou de sexisme ont dû être traités par le Service de médiation. Ces cas ont été signalés par le biais de différents services: médiation, égalité entre femmes et hommes, décanats des facultés…» Désormais l’Ombudsstelle doit servir de point d’entrée unique. Les personnes qui s’adresseront aux médiatrices et aux médiateurs – 3 au total – «seront conseillées personnellement et, le cas échéant, orientées vers d’autres instances universitaires ou cantonales compétentes», explique Ariane Linder.

De l’individuel au structurel

De l’examinateur qui accueille l’étudiante d’un «Installez-vous charmante mademoiselle», au directeur de thèse qui demande à son «petit chat» de bien vouloir lui tirer des photocopies, en passant par les messages déplacés, les invitations insistantes, les attouchements ou l’agression pure et simple, le spectre est large. Et il est parfois bien difficile, tant pour la victime que pour celles et ceux qui assisteraient aux faits, de rétablir la part des choses. Dans son rapport, Klea Faniko établit une différence entre sexisme bienveillant et sexisme hostile. Pascal Gygax, lecteur en psychologie à l’Unifr, explique: «Le sexisme bienveillant est plus difficile à reconnaître, principalement parce qu’il se traduit par des attitudes dont le ton et la couleur peuvent paraître positifs. Il englobe toutes les injonctions, croyances ou discours qui considèrent les femmes comme ‹plus sensibles, plus fragiles mais tellement douces...› Les comportements qui découlent de ces attitudes sont toujours condescendants et imprégnés de paternalisme. Pourtant, certain·e·s les considèrent toujours comme positifs.»

Lorsqu’on lui demande si – en plus, bien sûr, d’éduquer ces messieurs – il ne serait pas temps que les femmes apprennent à rétorquer, Pascal Gygax remet l’église au milieu du village: «Attention, le sexisme, sous toutes ses formes, est systémique. C’est-à-dire qu’il est construit socialement et fait partie intégrante de notre société. On rencontre d’ailleurs aussi des femmes qui ont des attitudes sexistes envers d’autres femmes, et qui pensent que le système est juste. Bien entendu, il faut éduquer les hommes, mais il faut surtout changer le système. Le premier pas est de sensibiliser tout le monde à ses effets pernicieux. Prenons la dernière votation pour le congé paternité. Si la Suisse avait vraiment voulu une égalité entre femmes et hommes, nous aurions voté pour un congé paternité de 4 mois (ou, au moins, un congé parental). Alors que là, nous avons voté en faveur d’un congé ‹pour aider les mères›. Une très belle illustration du paternalisme sociétal. Dans un pays comme la Suisse, très mauvais élève en termes d’égalité de genres, s’opposer à ces comportements demande du courage et de l’énergie, tant on sent qu’on se bat contre le système en place.»

 

Campagne de prévention de l’Unifr,  © karakter.ch

Paysage académique

Chantal Martin-Soelch est moins sévère: «Il me semble que les chercheuses sont bien intégrées, mais qu’il est important de montrer une tolérance zéro, ainsi que les endroits et moyens de plainte. Le harcèlement et le sexisme ne font pas forcément partie du système, mais il faut répéter qu’ils ne sont pas tolérés, même si certains domaines semblent plus affectés que d’autres, comme le souligne la campagne de l’IMF.» Selon Muriel Besson: «En ce qui concerne le harcèlement sexuel et le sexisme, l’objectif ultime est de créer une culture égalitaire et d’ouverture, ainsi qu’un climat respectueux auquel chacun·e a la responsabilité de contribuer. C’est la communauté universitaire, comme la société, qui doit ‹vivre› cette tolérance zéro, car chaque personne en est actrice. D’autre part, le Rectorat et les facultés ont la responsabilité de faire passer le message, de mettre cette culture en pratique dans la gestion de l’Université et, finalement, d’être exemplaires dans leurs actions.»

En conclusion de son rapport, Klea Faniko souligne: «Le milieu académique, comme d’autres milieux professionnels en Suisse, est caractérisé par plusieurs obstacles à la progression professionnelle des fem­mes.» Au premier titre, «le sexisme exprimé sous une forme directe ou subtile [qui] dévalorise les chercheuses dans le contexte professionnel et limite leur progression dans leur carrière». Elle ajoute: «Par rapport aux hommes, les femmes dénoncent plus de situations caractérisées par un manque de soutien, telles que le manque de conseils, d’encadrement, de financement pour des activités scientifiques, ou encore le manque de promotion de la part de leur supérieur·e hiérarchique.» Enfin, elle souligne l’impact plus lourd de la parentalité sur les carrières féminines. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: en 2019 on comptait 64% de femmes étudiantes en bachelor et master pour 57% de doctorantes, 51% de femmes assistantes diplômées, 37% de maître-­assistantes et seulement 25% de professeures. Il semble clair que la leaky pipe-line est loin d’être colmatée.

Convergence des forces

Sur la carte helvétique, l’Unifr n’est cependant pas la plus mauvaise élève: «que ce soit au niveau du nombre de professeures [la moyenne suisse s'élevant à 23,9% en 2019, selon l'Office fédéral de la statistique, ndlr] que de la représentativité des femmes à différents niveaux hiérarchiques, tels que la direction de l’Université, son Rectorat ou ses décanats. Nous y travaillons dans le cadre du plan d'action égalité de l'Unifr dont certaines mesures sont reprises dans les facultés: programmes de mentorat, amélioration de la conciliation travail-famille, rôles modèles… La poursuite de la collaboration avec le Service Promotion Recherche et l’établissement de bonnes pratiques pour les commissions d’appel, ainsi que la mise en application de la convention San Francisco Declaration on Research Assessment (DORA) sont également à l’ordre du jour», argue Chantal Martin-Soelch.

La vice-rectrice et le Service de l’égalité peuvent également compter sur le soutien de la Commission de l’égalité entre femmes et hommes. Celle-ci «émet des propositions à l’intention du Rectorat, s’exprime dans le cadre de procédures de consultation, soutient le Service de l’égalité et conseille les facultés dans leurs procédures d’appel», explique sa présidente, Sarah Progin-Theuerkauf. La Commission a participé à la mise à jour des directives du Rectorat contre le harcèlement sexuel et soutenu la campagne de sensibilisation. «Nous avons également participé à la rédaction de la stratégie 2030 en y intégrant le thème de l’égalité de manière proéminente. Cet été, suite à la signature de l’initiative trans­welcome, un atelier de sensibilisation sur ce thème a été organisé. Enfin, tous les deux ans, nous octroyons le Prix Genre à des travaux de master et de doctorat.»

En tant que juriste, Sarah Progin-­Theuerkauf soutient sa faculté dans les procédures d’appel. «A la Faculté de droit, je consulte tous les dossiers pour voir si des aspects ‹égalité› doivent être pris en compte, comme, par exemple, un déficit de publications à cause d’un congé maternité.» En dialogue avec toutes les instances de l’Université, le Service Egalité soutient de nombreux projets facultaires et entretient un dialogue constant avec la Commission Equal Opportunities (EquOpp) de l’Association générale des étudiant·e·s (AGEF) et l’association LAGO.

Tolérance zéro

Reste l’épineuse question des sanctions. Si le sexisme et le harcèlement sexuel doivent faire l’objet d’une politique de tolérance zéro, encore faut-il établir un cadre pour les définir. Alors, que disent les directives du Rectorat? Le harcèlement sexuel y est défini comme «tout comportement isolé ou répété à connotation sexuelle, imposé à une personne et portant atteinte à sa dignité et à son intégrité. Peuvent notamment constituer un harcèlement sexuel des paroles déplacées et embarrassantes, des plaisanteries et remarques sexistes, l’usage de matériel pornographique, des tentatives d’attouchement, particulièrement si elles sont accompagnées de menaces de représailles ou de promesses de récompenses, des actes de violence sexuelle et, dans le cas extrême, le viol.» Selon Sarah Progin-­Theuerkauf, le Code pénal interdit, notamment, la contrainte sexuelle (Art. 189) et le viol (Art. 190). «Mais quand on n’est pas dans le cadre d’une relation de travail ou que le seuil du droit pénal n’est pas atteint, il est difficile d’agir, souligne-t-elle. C’est pourquoi le Rectorat se positionne clairement pour l’interdiction de certains actes et la possibilité d’ouvrir des procédures disciplinaires.» Et d’ajouter: «C’est le ressenti de la personne qui compte pour l’ouverture d’une telle procédure, mais souvent, en pratique, la victime est dans une position de faiblesse, car c’est elle qui doit prouver les comportements déplacés. Il faut donc des témoins, des preuves... Normalement, la première étape est d’entendre l’auteur·e présumé·e pour qu’elle ou il puisse se défendre. Malheureusement, souvent, cela s’arrête là. On ne peut rien faire de concret tant qu’on n’est pas dans le domaine du droit pénal.»

Les bases légales différencient le personnel académique, administratif et technique des étudiant·e·s. Le personnel est concerné notamment par la Loi fédérale sur l’égalité, ainsi que par l’Ordonnance du Conseil d’Etat du 14 décembre 2015 relative au harcèlement et aux difficultés relationnelles (OHarc). Tandis que ce sont les Directives du Rectorat concernant les mesures contre le harcèlement sexuel à l’Université de Fribourg qui constituent la base légale pour les étudiant·e·s. Le secrétaire général de l’Unifr, Ralph Doleschal, explicite les sanctions qui peuvent aller: «d’un blâme contre un·e étudiant·e reconnu·e coupable, à la supsension, voire à l’expulsion. Par ailleurs, sur la base de l’art. 117, l’accès aux bâtiments universitaires pourrait lui être interdit. Au niveau du personnel de l’Université, c’est la législation sur le personnel de l’Etat qui s’applique. Les sanctions possibles sont l’avertissement, la suspension ou le déplacement provisoires d’activité, ainsi que le licenciement. Demeurent, bien sûr, réservées les sanctions prévues par le code pénal.»

Parler et écouter

Reste que, à l’instar de tous les tabous, pour débloquer le système, il faut que celles et ceux qui subissent le harcèlement trouvent des safe space pour prendre la parole et que les autres apprennent à écouter. L’Ombud­stelle offre désormais un tel espace et, au-delà de l’opération de sensibilisation, les campagnes de l’IMF et de l’Unifr cherchent également à libérer cette parole.

L’IMF a mis sur pied un théâtre-forum pour sensibiliser ses nouvelles et nouveaux étudiant·e·s et leur donner les outils pour faire face à la problématique en tant que victime ou témoin. Une campagne d’information est déployée dans toutes les institutions formatrices des futur·e·s médecins (hôpital fribourgeois, Réseau fribourgeois de santé mentale, Unifr), ainsi que dans les cabinets médicaux pour visibiliser les structures intra- et extra-institutionnelles qui peuvent aider les étudiant·e·s. Enfin, l’IMF s’est associé au Collectif de lutte contre les attitudes sexistes en milieu hospitalier (CLASH), tout juste créé à Fribourg. Ce pôle d’écoute permet aux étudiant·e·s de médecine de parler d’égal·e à égal·e et en toute confidentialité. CLASH-­Fribourg est mandatée en tant que structure extra-­institutionnelle et redirige les personnes visées vers les instances d’aide adéquates. Elle récolte également des témoignages anonymes au moyen d’un formulaire en ligne. Ibrahim Nimaga, coordinateur de la campagne de l’Université, a, quant à lui, prévu une campagne évolutive, qui pourra s’étendre sur plusieurs années. «Covid-19 oblige, les ateliers et les discussions, prévus tout au long du mois, n’ont malheureusement pas pu voir le jour. Ils pourront facilement être organisés plus tard.» De son côté, la Commission Equ’opp travaille sur un formulaire de récolte de témoignages qui pourrait bientôt être mis en ligne.

Muriel Besson souligne enfin que «Le plan d’action Egalité, qui a débuté en 2017, se terminera à la fin de cette année. Un prochain plan pour la période 2021–2024 est en cours d’élaboration. Le thème du harcèlement sexuel et du sexisme en fera, bien entendu, partie». Avec Chantal Martin-Soelch, elle se réjouit également du projet déposé auprès de swissuniversities, conjointement à presque toutes les universités et hautes écoles suisses, en vue de la journée du 23 mars, dédiée à la lutte contre le harcèlement sexuel dans les hautes écoles. «Il s’agit de déterminer un kit d’actions de communication qui sera lancé le 23 mars 2023.» La lutte continue.

 

Plus d’informations:
Campagne de l’Institut de Médecine de Famille:
www.unifr.ch/go/imf-respect

Campagne de l’Université de Fribourg:
www.unifr.ch/go/respect