Fokus
Plus de transparence pour plus de confiance
L’Université de Fribourg a signé un accord national l’engageant à communiquer de manière ouverte sur les animaux utilisés dans la recherche. L’objectif: reprendre la main dans un débat émotionnel et y amener des arguments factuels. Un enjeu important pour l’une des deux seules institutions à mener des expériences avec des singes en Suisse.
Quatre mille: c’est le nombre d’animaux qui ont été utilisés à l’Université de Fribourg dans des expériences scientifiques en 2022. A savoir 3’712 rongeurs, 273 poissons, 15 primates et 5 léporidés (famille de mammifères comprenant les lapins et les lièvres). Ces chiffres figurent dans le premier rapport annuel de l’institution sur l’expérimentation animale. La haute école fribourgeoise a choisi d’augmenter la transparence sur ce thème. Elle est l’une des premières de Suisse à avoir signé, en 2021, l’Accord suisse de transparence sur la recherche animale (STAAR). Il engage les acteurs·trices scientifiques à communiquer de manière ouverte – et convaincante – sur ce sujet délicat, émotionnel et âprement débattu en société (voir «STAAR: des exigences de transparence»). «En résumé, l’accord veut soutenir une communication proactive sur l’expérimentation animale, explique Marius Widmer, responsable de la communication de l’Université de Fribourg et membre du groupe de travail de STAAR. Si nous ne parlons pas de ce thème, d’autres le feront à notre place, dont notamment des associations opposées à la recherche avec les animaux.» Le monde académique s’exprime encore souvent en deuxième temps et en réaction à des allégations ou des critiques. «Cela constitue un mode de communication très défensif, poursuit Marius Widmer. Pour équilibrer les points de vue, il faut que les institutions de recherche fassent entendre leur voix de manière proactive. C’est le but premier de STAAR.» Ces efforts doivent être réalisés de manière continue et soutenue, et pas seulement lorsqu’une pression politique met en danger l’expérimentation animale, comme ce fut le cas en 2022 avec une initiative populaire visant à l’interdire entièrement.
L’accord établit un cadre commun à ces efforts de communication, fédère les acteurs·trices au niveau national et consolide le soutien institutionnel. «Il permet d’éviter de répéter les mêmes discussions –parfois un peu philosophiques – sur le bien-fondé ou non de communiquer sur ce sujet, relève Marius Widmer. Nous pouvons désormais avancer de manière concrète et durable.»
Expliquer le contexte
Les signataires de l’accord – la plupart des institutions faisant ou soutenant des expérimentations animales – s’engagent ainsi à déclarer le nombre d’animaux utilisés, à expliquer les procédures suivies et le degré de gravité des expériences, à souligner le rôle de l’utilisation d’animaux dans des études concrètes ainsi qu’à soutenir le dialogue avec la société. Il s’agit donc à la fois de renforcer la transparence et d’avancer des arguments soutenant l’expérimentation animale.
«La transparence n’est pas une fin en soi, confirme Marius Widmer, mais sert la cause de la science en contribuant à défendre la possibilité même de mener des recherches avec des animaux. Toutefois, il faut garder en tête que les critiques envers l’expérimentation animale – y compris celles avançant des arguments discutables – sont absolument légitimes sur le plan démocratique. Elles poursuivent un objectif noble, la réduction de la souffrance des êtres vivants, qui est également soutenu par les scientifiques.»
L’institution fribourgeoise s’est désormais largement ouverte, invitant les médias et les politiques à visiter les animaleries et à assister aux expériences. L’objectif n’est pas d’être «missionnaire» ou de convaincre, mais de se donner la possibilité d’informer sur les objectifs des recherches, d’expliquer pourquoi une alternative sans être vivant n’est pas possible dans un cas précis, ou encore de donner des détails sur les conditions vécues par l’animal. «La société, tout comme notre campus, héberge autant d’opinions diverses, poursuit Marius Widmer. On ne peut pas éviter la confrontation des idées, même avec des gens très polarisés. Ceci dit, Fribourg est une petite ville où tout le monde se croise, ce qui aide à avoir un climat constructif et relativement apaisé.»
La force d’une image
L’Université de Fribourg occupe une position sensible dans ce débat, étant avec sa consœur zurichoise l’une de deux seules de Suisse à mener des expériences scientifiques avec des singes. «Ce sont des animaux très proches des humains qui éveillent naturellement une grande empathie et se retrouvent souvent au cœur des débats», commente Michael Schmid, professeur dans la Section de médecine. Le neuroscientifique mène des recherches avec des macaques pour mieux comprendre comment le cerveau traite les informations visuelles et participe au développement de prothèses visuelles pour des personnes aveugles. «Certaines images des expériences peuvent choquer et il est important de pouvoir les contextualiser.»
Le pourquoi et le comment des études – comme leur objectif ou la manière dont l’animal les vit – peuvent rapidement se perdre dans les débats, ou se voir occultés par la force d’une image. Lors d’un débat sur la Schweizer Radio und Fernsehen (SRF) en 2022, l’émission Arena projette une vidéo montrant un singe de l’équipe fribourgeoise. Alors qu’il semble plutôt bien disposé à participer à l’expérience, la vidéo s’arrête au moment précis où l’animal est immobilisé dans un chariot et a un regard inquiet – de quoi développer de l’empathie pour lui et imaginer qu’il est angoissé. «Il s’agit pour moi d’un procédé un peu manipulateur, comme si je prenais une série de photos d’une personne en train de parler ou de manger pour en sélectionner la moins flatteuse», avance Marius Widmer. D’où la volonté des institutions de recherche d’expliquer le contexte de manière proactive et de souligner l’importance de le relayer de manière honnête.
«Je ne vais pas prétendre être neutre dans ce débat, poursuit Michael Schmid. Les scientifiques qui travaillent avec des animaux ont la conviction qu’étendre nos connaissances est une bonne chose pour la société, notamment en contribuant à améliorer les possibilités de diagnostic et de traitement. Ce que nous pouvons – et devons – faire, c’est embrasser ce mouvement de transparence et montrer au public comment nous travaillons, et pourquoi.» Alors que le monde académique «avait tendance à rester discret et à adopter une position attentiste», le neuroscientifique dit préférer empoigner le problème de manière active plutôt «que de rester dans la tour d’ivoire».
Pour lui, cette évolution profite de l’arrivée d’une nouvelle génération de scientifiques, à l’aise sur les réseaux sociaux et dans les rencontres avec le public. «Dialoguer avec des gens hors du milieu académique peut aussi nous aider à progresser. Autrefois, la tête des singes était toujours immobilisée durant les expériences afin d’assurer des conditions stables pour l’enregistrement des signaux neuronaux. Mais nous avons entendu qu’une telle situation est difficilement tolérable pour de nombreuses personnes et avons réussi à développer des méthodes permettant un relevé des données fiable sans que la tête des primates soit continuellement fixée. Nous nous posons plus de questions, et plus souvent, comme de savoir s’il serait possible de se passer de l’expérience ou de la remplacer par d’autre procédés sans animaux.»
Remplacer, réduire et raffiner
La communication a son rôle à jouer, mais c’est dans les laboratoires que les progrès concrets sont à accomplir. Les institutions de recherche suisses adhèrent largement aux principes des 3R, à savoir remplacer autant que possible les animaux (in vivo) par des cultures cellulaires (in vitro) ou des simulations par ordinateur (in silico), réduire le nombre d’expérimentations animales et les raffiner par des méthodes impliquant moins de souffrance ou de contraintes.
«Le principe des 3R constitue un repère important pour le milieu de la recherche en Suisse, souligne Katharina Fromm, rectrice de l’Université de Fribourg depuis le 1er février 2024. Il nous pousse à bien réfléchir avant, pendant et après les recherches afin de tout faire pour minimiser l’impact sur les animaux.» Pour la chimiste, «expliquer ce que nous faisons, comme exigé par l’accord STAAR, est la seule manière de gérer cette question et s’inscrit dans notre volonté de renforcer globalement le dialogue avec la société». Mais intensifier la communication implique un certain investissement: «Il est important de bien coordonner ces efforts, car on ne peut pas demander à tous les scientifiques de communiquer avec le grand public. La recherche a besoin de temps; il faut le respecter.»
La recherche animale à l’Université de Fribourg
Avec celle de Zurich, l’Université de Fribourg est la seule en Suisse à mener des expériences avec des singes. Mais plus de 92% des expériences se font avec de souris et des rats. Un tiers de ces rongeurs proviennent d’une ligne génétiquement modifiée de sorte à pouvoir répondre aux questions de recherche. Deux tiers des animaux ont participé à des expériences de degré de gravité 0 ou 1 (douleur ou inconvénient de courte durée et léger), 30% de degré 2 (contrainte d’intensité moyenne) et 7% de degré 3 (contrainte courte mais sévère ou modérée mais à moyen ou long terme). Pour être autorisée, toute étude doit convaincre la commission d’éthique responsable que la souffrance de l’animal est justifiée par les bénéfices attendus pour la société. Le rapport annuel donne plus d’information: unifr.ch/go/animalresearch
STAAR: des exigences de transparence Lancé en 2022, l’Accord suisse de transparence sur la recherche animale (STAAR) veut «améliorer la communication et la transparence sur l’utilisation des animaux dans la recherche». Ses signataires s’engagent à publier des chiffres précis sur les animaux utilisés, à expliquer comment l’expérimentation animale fonctionne, à souligner son importance et à soutenir le dialogue avec la société. L’Université de Fribourg fait partie des premiers signataires rassemblant les universités et instituts de recherche fédéraux menant des expériences avec les animaux, ainsi que des institutions telles que le Fonds national suisse et les Académies suisses des sciences.
Nos expert·e·s
Katharina Fromm est rectrice de l’Université de Fribourg.
katharina.fromm@unifr.ch
Michael Schmid est président et professeur au Département des neurosciences et des sciences du mouvement de la Section de médecine.
michael.schmid@unifr.ch
Marius Widmer est responsable d’Unicom Communication & Médias.
marius.widmer@unifr.ch