Dossier
L’enjeu de l’interdiction des thérapies de conversion
«Aimer n’est pas une maladie, il n’y a rien à soigner». Cette phrase du Député Julien Eggenberger prononcée lors de l’adoption, par le Grand Conseil du Canton de Vaud le 29 octobre 2024, de la modification de la loi cantonale sur la santé publique visant à interdire les «thérapies» de conversion résume bien, à elle seule, tous les enjeux portés par cette nouvelle législation.
L’expression «thérapie de conversion» est née aux Etats-Unis dans les années 1950. Elle renvoie à un ensemble de pratiques ayant pour objectif de modifier l’orientation sexuelle ou l’identité sexuelle d’une personne. Ces «thérapies» reposent sur trois approches principales: psychothérapeutique, fondée sur l’idée que la diversité sexuelle ou de genre découle d’une éducation ou d’une expérience anormale; médicale, basée sur la théorie que l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont la conséquence d’un dysfonctionnement biologique; et confessionnelle, qui part du principe que les orientations sexuelles et les identités de genre différentes ont quelque chose de fondamentalement mauvais. Ces «thérapies» prétendent pouvoir «restaurer» l’identité sexuelle des personnes homosexuelles, bisexuelles ou lesbiennes en les convertissant à l’hétérosexualité. Elles partent du principe que les personnes d’orientation sexuelle diverses ou de genre variant sont en quelque sorte inférieures, sur le plan moral, spirituel ou physique, aux personnes hétérosexuelles.
Discriminatoire par nature
Basées sur ces présupposés, les «thérapies» de conversion ne respectent en aucun point le droit à la santé sexuelle reconnu à tout individu. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la santé sexuelle se conçoit «comme un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social dans le domaine de la sexualité. Cela sous-entend non seulement l’absence de maladies, de dysfonctionnements ou d’infirmités, mais aussi une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles agréables et à moindre risque, sans contrainte, discrimination et violence». En d’autres termes, la santé sexuelle peut se comprendre comme le droit pour chacun de vivre et d’exprimer sa sexualité en tenant dûment compte des droits d’autrui et implique le respect, la sécurité, l’absence de discrimination et de violence en permettant l’expression de diverses sexualités et formes d’expression sexuelle. Par conséquent, en ciblant un groupe spécifique basé uniquement sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, ces «thérapies» sont donc, par nature, discriminatoires. Elles peuvent également être assimilées à des actes de torture en fonction des circonstances, selon la gravité des souffrances physiques et mentales infligées, et vont aussi à l’encontre du droit à la santé, y compris le droit de ne pas être soumis·e sans son consentement à un traitement médical.
En Suisse, les droits sexuels, en particulier le droit à la santé sexuelle, découlent directement des droits humains, ils sont d’ailleurs en étroite relation avec les droits fondamentaux tels qu’ils sont inscrits dans la Constitution fédérale. Le Conseil fédéral, répondant en 2019 à la motion 19.3840 «Interdire de guérir les mineurs homosexuels», rappelle que «toute ‹thérapie› ayant pour but de modifier une orientation homosexuelle est à rejeter d’un point de vue humain, scientifique et juridique. L’homosexualité n’est pas une maladie et ne nécessite aucune thérapie. Infliger un tel traitement, a fortiori à une personne mineure, constitue non seulement une discrimination, mais peut aussi avoir un lourd impact psychique». Il poursuivait en précisant que «vivre sa propre orientation sexuelle constitue un droit absolu et strictement personnel». En 2020, le Conseil fédéral a confirmé ce point de vue dans sa réponse à l’interpellation 20.3870 «La Suisse, refuge des guérisseurs homos».
Au niveau fédéral, il n’existe cependant aucune disposition qui interdise ces «thérapies» de conversion. En effet, pour l’instant, l’interdiction de ces «thérapies» ne peut s’appuyer sur aucune base légale fédérale spécifique à ce domaine et le traitement d’une non-maladie ne constitue pas en soi une infraction. Tout au plus, une «thérapie» de conversion peut constituer une infraction pénale notamment si elle porte atteinte à l’intégrité physique, à la liberté personnelle ou aux biens. Toutefois, après trois initiatives parlementaires déposées en 2021 (initiative 21.483 visant «l’interdiction des thérapies de conversion sur des personnes mineures», initiative 21.496 demandant «l’interdiction et la pénalisation des thérapies de conversion sur des mineurs et des jeunes adultes» et initiative 21.497 portant sur «l’interdiction et pénalisation des thérapies de conversion»), le Conseil fédéral a finalement adopté en 2022 le postulat 21.4474 «Fréquence des thérapies de conversion en Suisse et nécessité de réglementer ces pratiques dans la loi» pour étudier les possibilités d’inscrire l’interdiction de ces «thérapies» dans le droit fédéral. Les cantons sont pour leur part beaucoup plus réactifs et à la pointe dans les débats pour interdire ces «thérapies». Ainsi, certains cantons ont déjà inscrit l’interdiction dans leur droit cantonal: Neuchâtel en mai 2023, Valais en mai 2024, Fribourg en juillet 2024 et Vaud en octobre 2024. Le Canton de Saint-Gall avait, quant à lui, déjà adopté en 2022 une motion en ce sens. Dans d’autres cantons, la thématique est actuellement en débat: Jura, Zoug, Zurich, Bâle-Ville et Genève. Il est également à noter que les cantons de Lucerne et Bâle-Ville avaient déposé chacun une initiative au Parlement fédéral en 2022 afin d’interdire ces «thérapies»: respectivement l’initiative 22.310 «Interdiction des thérapies de conversion» et l’initiative 22.311 «Interdiction des thérapies de conversion en Suisse». Ces deux initiatives ont cependant été liquidées avec l’adoption du postulat.
Pour ou contre les libertés individuelles
Malgré ces récentes avancées, ces «thérapies» continuent d’avoir des partisan·e·s, y compris en Suisse. Ceux et celles-ci estiment ainsi que ces «thérapies» peuvent servir les droits des personnes qui éprouvent un désir pour des personnes de même sexe, mais souhaitent suivre un parcours de vie hétérosexuel, ou pour les personnes qui éprouvent le désir instinctif de s’identifier à un autre genre que celui qui leur a été attribué, mais souhaitent tout de même continuer à vivre avec le genre assigné à la naissance. Dans la même veine, pour les tenant·e·s de ces «thérapies», leur interdiction serait également contraire au droit à l’autodétermination ou à la liberté individuelle, au droit à la liberté d’opinion et d’expression et au droit à la liberté de croyance et de religion. Or, et comme cela a d’ailleurs été clairement établi par l’Expert indépendant des Nations Unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans son rapport paru en 2020, il n’existe aucune corrélation directe entre religion et rejet de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. De plus, considérer que des personnes qui se trouvent face à des dilemmes existentiels peuvent choisir d’avoir recours à des mécanismes d’accompagnement et de conseil, dont certains reposent sur des approches psychologiques, médicales ou religieuses axées sur l’exploration et le développement ou l’affirmation libre de l’identité personnelle, est complètement erroné. En effet, aucune de ces approches ne peut viser une prétendue «conversion» ni affirmer que l’orientation sexuelle ou l’identité de genre variante est une maladie ou un trouble qui nécessite une thérapie.
Depuis bien longtemps, il est admis que la sexualité humaine recouvre différents aspects: l’attirance physique et affective, le sexe ou le genre du, de la ou des partenaires sexuel·le·s ainsi que l’autodéfinition. Ces trois aspects ne sont pas nécessairement congruents. Ainsi, une personne peut se définir comme hétérosexuelle et avoir, au cours de sa vie, un, une ou des partenaires du même sexe que le sien. Cet état de fait lié intrinsèquement à la nature humaine ne peut être en aucun cas l’expression d’une maladie nécessitant d’être guérie. A cet égard, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations-Unies a estimé que les réglementations en vertu desquelles les lesbiennes, gays, bisexuel·le·s, transgenres et intersexes doivent être «guéri·e·s» par un prétendu «traitement» constituaient une violation manifeste du droit de ces personnes à la santé sexuelle. En soi, l’interdiction des «thérapies» de conversion représente donc un enjeu très important afin que chaque individu puisse bénéficier d’un droit à la santé sexuelle, pouvoir faire valoir ce droit et que celui-ci soit pleinement respecté.
Notre experte Marlène Collette est avocate et directrice académique du Centre national de l’Institut du fédéralisme de l’Unifr.
marlene.collette@unifr.ch
Références
- OMS, Developing Sexual Health Programmes – A Framework for Action, Genève, 2010;
- Rapport sur la «Pratique des thérapies dites ‹de conversion›» de l’Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, mai 2020;
- Observation générale no 22 (2016) sur le droit à la santé sexuelle et procréative;
- «Homo-Heiler» drängen in die Schweiz, Beobachter, 20.11.2020;
- «Für sie ist Homosexualität nur ein Symptom», Der Bund, 21.05.2020;
- «Wissenschaftsfreiheit beerdigen? Nein zum undurchdachten Verbot von Konversionstherapien», Eidgenössisch-Demokratische Union;
- «Chercher la restauration de son hétérosexualité: une démarche honorable», Christian Bibollet, myfreelife.ch