«Rejoindre Barcelone ou périr», voilà la nouvelle devise de la jeunesse de Dakar. Avec un taux de chômage proche de 25%, les jeunes Sénégalais n’ont que deux choix: les petits boulots ou l’émigration. Explications du Professeur Babacar Fall de passage à Fribourg pour une conférence.
Durant votre conférence «Les jeunes vulnérables: entre l’étau de la crise de l’emploi et l’émigration clandestine», vous parlez du chômage qui frappe le Sénégal. Connaît-on l’origine de cette crise?
Pour bien comprendre, il faut revenir brièvement sur l’histoire du travail au Sénégal. Le premier changement capital se produit avec l’établissement des colonies, l’avènement des cultures commerciales, notamment l’arachide et plus tard le coton. Jadis valorisées dans les sociétés d’économie de subsistance, les activités manuelles et agricoles sont davantage perçues comme dégradantes et c’est encore le cas aujourd’hui. De plus, l’agriculture est plus orientée vers des fins commerciales au détriment des besoins de nourrir les communautés. A partir de 1946, le développement industriel est sans précédent jusqu’en 1960, faisant du secteur privé le premier employeur du pays. Entre 1964 et 1990, c’est l’Etat qui devient le premier fournisseur d’emplois, mais, avec la politique d’ajustement structurel adoptée suite à la crise économique des années 1980, l’embauche étatique se réduit de manière drastique. Parallèlement, entre 1970 et 2013, la population du Sénégal triple. Les jeunes des groupes d’âge 15-35 ans (34,9% de la population totale et 57,1% de la population active) sont le plus touchés par le chômage. Dans les années 90, l’émigration vers l’Europe débute, d’abord par voie terrestre, puis maritime, via les Canaries.
L’Europe représente-t-elle un Eldorado?
C’est ce que pensent les jeunes Sénégalais. Cette image est renforcée par la réussite affichée par quelques migrants qui reviennent avec suffisamment d’argent pour construire une grande villa et acheter une voiture. Ce n’est plus l’éducation qui symbolise le succès, mais l’émigration. Il ne faut pourtant pas se leurrer: les success-stories sont rares et les conditions de travail tiennent plus de la survie que du luxe. D’un salaire d’environ 1000 euros mensuels pour une besogne harassante, ils gardent 200 euros pour «vivre» et envoient le reste à leur famille.
L’émigration clandestine représente donc un vrai problème…
Oui. L’Europe tente de limiter ce flux, mais tant qu’elle aura besoin de main-d’œuvre bon marché dans les secteurs agricoles et touristiques, il y aura toujours des jeunes prêts à braver tous les dangers pour assurer une petite rentrée d’argent à leurs proches restés au pays. La décision de partir n’est pas individuelle, mais familiale; elle implique un sacrifice important, émotionnel d’un côté et financier de l’autre, pour payer le voyage. De nombreux propriétaires et capitaines de bateaux ont d’ailleurs rapidement compris que ces transports clandestins pouvaient être un véritable business. De marins, ils sont devenus passeurs, en particulier dès les années 80, quand l’industrie de la pêche s’est écroulée.
C’est l’occasion qui fait le larron?
La nécessité surtout. Face à une situation de crise, on se débrouille comme on peut. C’est sur ce terreau que se développe le secteur «informel», composé de petits boulots et de menus services rendus en milieu urbain principalement. C’est le refuge de 85% des jeunes. Le système LMD «licence – maîtrise – doctorat» est détourné en «lutte – musique – danse», révélant le renversement des valeurs. Les études n’assurant plus la sécurité d’un emploi, la jeunesse désœuvrée n’a pas d’autre choix que d’entrer dans la marginalisation: les gagne-pains précaires ou l’émigration, qui représente parfois l’«option du désespoir».
Que faire pour freiner l’émigration?
Du côté européen, on doit s’engager à assouplir les conditions d’immigration, afin de garantir officiellement une mobilité plus fluide, un va-et-vient entre les deux continents. Le durcissement des modalités d’accès à L’Europe n’est pas une solution viable. En effet, tant que certains pays auront besoin de travailleurs sous-payés parce qu’illégaux, les plus courageux ou les plus désespérés entreprendront l’odyssée. Actuellement, quand un clandestin arrive en Europe, il travaille et se cache pour rester le plus longtemps possible. Pas question de rentrer au Sénégal sans l’assurance de pouvoir revenir.
Y a-t-il des solutions pour combattre le chômage?
Tout est question d’équilibre. Premièrement, les programmes en faveur des jeunes, proposés dans le cadre de l’accompagnement aux pays en voie de développement, doivent être augmentés. Deuxièmement, une redéfinition du système éducatif est indispensable. Actuellement, l’apprentissage technique n’est absolument pas valorisé. Les adolescents apprennent un métier «sur le tas», sans qualification. Une formation aux normes leur permettrait d’offrir des services professionnels compétitifs. Enfin, il faudrait faciliter l’accès aux crédits et aux terres pour les jeunes entrepreneurs, qui deviendraient des «créateurs de richesse». Une telle option contribuerait largement à promouvoir les secteurs agricoles et industriels au détriment du secteur informel.
Avez-vous proposé ces idées à votre gouvernement?
Avec des enseignants des Universités suisses de Fribourg et de Lausanne, des chercheurs résidents de l’IEA de Nantes et d’universités au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Mali, nous préparons un projet de recherche sur l’emploi, la formation professionnelle et le développement durable en Afrique occidentale francophone. Ce projet sera soumis à la Fondation nationale suisse des Sciences (Swiss National Science Foundation). Nous sommes quelques-uns à penser que l’investissement consenti dans la politique publique n’est pas en phase avec les priorités économiques. Il y a une certaine débauche de ressources pour une moindre efficacité: l’enseignement supérieur ne correspond pas aux exigences du marché de l’emploi et l’importance donnée à la formation professionnelle est trop faible. Il faut donc valoriser et mettre en place des apprentissages techniques. Le but de ce projet multidisciplinaire est de convaincre les décideurs de modifier l’orientation du système éducatif pour freiner le chômage et l’émigration.
Qu’est-ce qui vous motive à poursuivre le combat?
Tout d’abord, je suis persuadé que l’éducation représente l’unique alternative permettant de créer une masse critique en phase avec les besoins et les défis de l’économie durable. Ensuite – et surtout – parce que la jeunesse est au cœur de tous les enjeux des sociétés actuelles.
Babacar Fall est directeur du Centre de recherche sur les métiers et la mémoire en Afrique de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal. En 2008, il est nommé docteur Honoris Causa de l’Université du Havre et obtient pour son habilitation le titre de PH.D à l’Université d’Amsterdam en 2010. Spécialiste de l’histoire du travail en Afrique de l’ouest francophone, il conduit des recherches sur les migrations, les innovations pédagogiques et les réformes en éducation.
Babacar Fall est aussi chercheur résident de l’Institut d’études avancées de Nantes (IEA), avec lequel l’Université de Fribourg a conclu un accord de coopération en décembre 2013, sous le patronage du Secrétariat d’Etat à la formation, la recherche et l’innovation (SEFRI). Dans ce cadre, l’Unifr et l’IEA développent une collaboration sur les cadres institutionnels de la vie en société (droit, langue, religion), la notion d’humanisme et son rôle dans le paysage scientifique actuel, ainsi que l’interdisciplinarité en sciences humaines et sociales.
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Babacar FALL a été un enfant de terroir profondément enraciné aux valeurs profondes du travail , d’abnégation ,de courage , de vérité , de religiosité islamique et surtout de dignité alimentée par la fierté naturelle que lui confère ses origines princières de ces aïeux laborieux . Adolescent , il découvre la complexité , les tricheries , artifices et hypocrisie intrinsèques à l’un environnement urbain raffiné et à l’austérité atténuée par les éclats de rire des renégats éblouies par le jaillissement de la luminosité gratuite des boulevards de la belle ville de Saint Louis du Sénégal un des berceaux de la civilisation occidentale en Afrique coloniale .
Sa générosité et sa grande intelligence de tout , en particulier des pays et des hommes lui confère une valeur sûr en or inaltérable .
D’une sensibilité précoce aux souffrances des damnées de la terre , il ne pouvait pas ne pas être l’historien du travail forcé et un critique redoutable de toutes les formes d’ajustement par le travail de nos économies déstructurées , sources de misère humaine , ou forme nouvelle de dérive économiques de nos continents n’offrant à notre jeunesse qui n’a plus rien à perdre , qu’ une seule alternative : Barça ou Barskhe !!!
Son frère et ami de toujours : Ababacar Gaye FALL ( Babs)
J ai bien la dernière partie le problème est très complexe c’est aussi la faillite des politiques des religieux , des universités et de la société tout court le manque de perspective alimente l extrémisme félicitations mais il faut rentrer au senegal