Post 9 février, le sujet est toujours brûlant d’actualité. La mobilité étudiante est-elle un must pour compléter au mieux son cursus académique? Comment les flux d’étudiants ont-t-ils évolué au cours du XXe siècle dans l’espace francophone? Un colloque réunit des experts à Fribourg pour en discuter. Matthieu Gillabert, historien, répond à nos questions.
Les étudiants ont-ils depuis toujours envisagé leurs parcours universitaires de manière internationale?
La «nation» est un phénomène relativement récent qui empêche de parler d’une échelle «internationale». Cependant, la mobilité académique – la peregrinatio academica au Moyen-Age – est consubstantielle au développement de l’enseignement supérieur en Europe. Construit autour de pôles d’excellence qui échangent des savoirs, le système universitaire fonctionne grâce à la circulation des personnes et des idées. Jusqu’au XIXe siècle, l’immense majorité des étudiants suisses vont se former en France et en Italie. Certaines universités – Toulouse, Genève – se sont développées grâce à l’apport d’étudiants étrangers qui représentent, pour cette dernière, près de 80 % des effectifs au tournant du XXe siècle.
La recherche de pôles d’excellence n’est pas l’unique motivation, pour les étudiants. Ils sont parfois contraints de s’expatrier pour des raisons politiques, religieuses ou de genre. Les jeunes femmes de l’Empire tsariste sont nombreuses à étudier à Vienne, Zurich ou Paris. La décision de partir pour étudier est également liée à des politiques de bourses. Ainsi, la mobilité académique renferme des réalités très différentes qui demandent à être interrogées: est-elle contrainte ou souhaitée, encouragée ou entravée ?
En comparant les politiques publiques pour accueillir des étudiants étrangers, on constate la même dichotomie. Tantôt on promeut l’arrivée de ces étudiants, qui mettent en valeur l’attractivité des hautes écoles du pays et sauront, dans le futur, se montrer reconnaissants envers leur pays d’accueil. Tantôt on considère cet afflux comme un risque de dégradation du niveau d’enseignement et une concurrence sur le marché de l’emploi.
La mobilité estudiantine a-t-elle connu des fluctuations?
Ces tensions entre différentes formes de mobilité académique montrent que l’évolution n’est de loin pas linéaire. L’histoire ne mène pas vers le monde radieux des circulations sans entrave! En Suisse, la part des étudiants internationaux (étudiants étrangers immatriculés dans une haute école suisse, ayant obtenu leur certificat d’accès aux hautes écoles à l’étranger) était bien plus élevée au début du xxe siècle. C’est également le cas de la France. Après la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’étudiants de mobilité dans le monde continue d’augmenter de manière exponentielle jusqu’à aujourd’hui. En 2011, l’OCDE compte 4,3 millions d’étudiants effectuant leurs études dans un pays dont ils ne sont pas ressortissants. Cependant, la massification de l’enseignement supérieur, à partir des années soixante, a pour conséquence de réduire la part des étudiants étrangers jusque dans les années 1990. En Suisse, elle est aujourd’hui d’environ 17 %.
Les flux ont également fortement évolué. Schématiquement, on passe d’une circulation Est-Ouest avant la guerre à une circulation Sud-Nord au moment des décolonisations. Si les universités nord-américaines et européennes conservent une forte attractivité, on voit apparaître aussi de nouveaux acteurs régionaux, comme le Maroc. Ce pays accueille un grand nombre d’étudiants de l’Afrique subsaharienne, qui espèrent ensuite continuer leur formation en Europe, aux Etats-Unis ou au Canada.
La durée des échanges s’est raccourcie. On ne parle souvent plus d’études à l’étranger, mais de séjour de mobilité. Est-on passé d’un régime de «migration» étudiante à celui de la «mobilité» étudiante ? C’est le cas pour des programmes internationaux comme Erasmus. Cependant, il reste des étudiants qui effectuent toutes leurs études à l’étranger. Dans des pays d’immigration comme le Canada, ils sont considérés comme des migrants plutôt privilégiés, parfois au détriment d’autres migrants moins qualifiés.
Quel regard l’historien porte-t-il sur la situation actuelle?
Les circulations internationales des étudiants sont à la fois spécifiques – elles touchent une catégorie de personnes en études, jeunes, destinées à des professions hautement qualifiées – et en même temps inscrites dans la problématique complexe et plus générale de la mobilité, voire des migrations. Chercher à comprendre le fonctionnement de ces circulations doit être mis en lien avec d’autres problématiques connexes. C’est l’un des objectifs du colloque organisé à Fribourg: multiplier les éclairages sur ce phénomène en pleine croissance.
Il n’y a pas, en effet, une politique publique autonome, spécifiquement dirigée vers cette catégorie de population: les étudiants étrangers sont au croisement des politiques universitaires, de la promotion économique, des régimes de migrations, de la politique étrangère, de la diplomatie universitaire. A côté de ces approches par le haut, il y a encore de nombreuses recherches à mener sur la signification de cette mobilité pour les étudiants eux-mêmes: à quelle point est-elle une ressource dans les trajectoires de vie, qu’apporte cette expérience de dépaysement, voire de déracinement ? A force d’injonction à la mobilité, on oublie parfois de s’interroger sur le sens.
Comment envisagez-vous l’avenir?
L’historien est un piètre prophète… Mais plusieurs dilemmes entourent le phénomène de la mobilité étudiante. D’un côté, il y a une exigence insistante d’être mobile (la mobilité favoriserait l’acquisition de compétences transversales) pour être ensuite performant sur le marché du travail. De l’autre, la mobilité des personnes est politiquement remise en cause par certains mouvements de replis nationalistes.
Alors que la mobilité est considérée comme un atout pour tous les étudiants, on remarque qu’elle favorise plutôt une reproduction sociale. Ce phénomène est accentué par certains programmes particulièrement sélectifs d’échanges entre hautes écoles, réservés à leurs étudiants immatriculés. A une échelle plus large, on peut également remarquer d’autres formes de discrimination entre les voies d’études, les pays d’origine, les niveaux de formation.
Enfin, alors que le nombre d’étudiants internationaux est en pleine croissance, on peut se demander quel est et quel sera l’impact de cette mobilité: favorise-t-elle de nouvelles formes d’internationalisme, de nouveaux types de relations sociales à distance ? Cette question pour le futur s’adresse également aux historiens qui s’intéressent à l’impact qu’a pu avoir cette mobilité estudiantine sur les étudiants eux-mêmes.
__________- Matthieu Gillabert est assistant docteur en Histoire contemporaine.
- Programme du colloque « Les circulations étudiantes dans l’espace francophone au XXe siècle »