Franz Werro: Le droit au cœur du concret

Franz Werro: Le droit au cœur du concret

Il vient de boucler un colloque sur le droit de la circulation routière et s’apprête à un break de quelques jours pour un … périple piéton jusqu’en Provence! Il aime confronter ses étudiants aux implications concrètes du droit, à Fribourg comme à Washington ou à Londres… Alma&Georges réussit in extremis à attraper Franz Werro, professeur de droit des obligations et de droit privé européen, dans son bureau.

Les récentes Journées du Droit de la circulation routière montrent que vos recherches académiques ont une implication concrète sur la vie quotidienne des gens…
Ces journées ont effectivement pour but de répondre aux besoins des praticiens du droit et aux questions concrètes des spécialistes de ces domaines. D’une manière générale, mes domaines d’enseignement, le droit des contrats et le droit de la responsabilité civile, sont en lien avec le quotidien de tous, qu’ils soient dans une activité professionnelle ou non. Une personne qui se fait construire une maison et confie à un architecte le soin de la planifier pourra rencontrer des problèmes qui relèvent du droit des contrats ou de la responsabilité civile. Il en va de même pour des PME qui concluent des contrats commerciaux. Comment comprendre le contrat, comment l’exécuter, que faire en cas de litige? A chaque jour son lot de cas concrets…

On est loin d’une Tour d’Ivoire détachée de la Cité… Comment parvenez-vous à insuffler ce sens du concret à vos étudiants ?
Je m’efforce de souligner à quel point le droit naît des solutions de la pratique. Il peut être séduisant intellectuellement de s’attarder sur des concepts, mais il faut que les étudiants se rendent compte que le droit, c’est avant tout la pratique et la jurisprudence du Tribunal fédéral, une réalité en perpétuelle évolution. Le droit n’est jamais détaché des faits; il résulte toujours de conflits d’intérêts. Plus qu’une vérité absolue, il reflète une vérité relative qui découle d’une confrontation. Mes étudiants actuels disposent à cet égard d’Internet pour se mettre en contact de réalités fort diverses. Ils saisissent les choses de manière plus crue, au détriment parfois de la synthèse ou de l’analyse critique. Mais globalement, on leur fait avaler moins de couleuvres que par le passé…

Quelles autres recherches présentant un tel impact concret menez-vous?
Nous travaillons à l’élaboration de deux projets qui feront bientôt l’objet d’une demande de subsides auprès du Fonds national suisse. Un premier a trait à l’étude de l’impact des nouvelles technologies sur le droit des contrats, aux problèmes spécifiques soulevés par l’ubérisation des services (taxis, locations hors des circuits classiques, etc.). Un autre projet qui me tient à cœur vise à analyser les liens entre le droit et la langue. Celle-ci détermine fortement la manière dont on pense le droit. Nous sommes bien placés pour savoir qu’elle sera différente en Suisse romande ou alémanique, du fait même du bagage culturel et identitaire; l’UE s’en rend compte aussi, puisque l’élaboration d’un Code civil européen semble complètement dans l’impasse. Chacun parle et pense différemment ; il n’en va pas autrement dans le monde du droit. L’idéal serait de pouvoir travailler avec des linguistes pour nous éclairer à ce sujet.

Vous êtes très actif sur le plan international : vous terminez une année de mission pour le Center for Transnational Legal Studies de Londres, co-dirigez l’American Journal of Comparative Law et vous êtes aussi titulaire d’une chaire au Georgetown University Law Center à Washington D.C…. Où se situe votre centre de gravité?
Je suis avant tout basé à Fribourg! L’Unifr a conclu un accord avec la Georgetown University pour que je puisse passer l’essentiel de mon temps à Fribourg. Quant à mon implication avec l’American Journal of Comparative Law, la revue de référence du domaine pour le monde anglophone, elle se fait le plus souvent à distance. A certains égards, être au cœur de cette internationalisation du droit me permet aussi d’être plus lucide sur les risques de la globalisation. Je crains que la loi du plus fort soit souvent la meilleure et que les solutions qui conviennent au niveau local ne soient reléguées à l’arrière-plan.

Vous venez aussi de recevoir un prix pour l’excellence de vos travaux en droit privé européen de la part de l’ESADE, une université espagnole… Quelle importance à vos yeux?
J’en suis d’autant plus honoré que je n’avais rien demandé (rires)… En 2015, j’ai eu l’occasion de partager une recherche avec un de leurs professeurs et de donner un cours à l’ESADE, également en réseau avec l’Université de Fribourg. Je ne peux que remercier leurs alumni de m’avoir fait l’honneur de sanctionner ainsi cette collaboration.

Finalement, vous et tant d’autres collègues êtes la preuve que l’Université de Fribourg compte au niveau international…
Il en a toujours été ainsi: Fribourg est à la frontière des cultures et son Université a su cultiver de longue date le goût de l’ouverture sur le monde. C’est notre force et notre chance, tant il est vrai que nous ne bénéficions pas des mêmes moyens que nos collègues de Zurich ou de Genève…

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Author

Philippe Neyroud, rédacteur freelance depuis plus de 20 ans, a organisé d'importants événements culturels avant d'orienter sa carrière vers le Marketing et la Communication, en Suisse romande et à l’étranger (4 ans au Vietnam). Il collabore de manière régulière pour Universitas depuis 2013.

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