Professeure au sein du Département de psychologie, Valérie Camos, spécialiste mondialement reconnue en développement cognitif, détaille les mécanismes de la mémoire de travail, objet d’un programme ambitieux, qui a reçu un subside important d’une agence de financement britannique.
La Mémoire de Travail (MT) est une structure en travail perpétuel, de notre plus tendre enfance jusqu’à nos derniers jours, avec des capacités en croissance, puis en déclin. A l’exclusion des mécanismes de motricité, du langage et de la perception sensorielle, il s’agit du centre de notre fonctionnement mental, celui qui permet de stocker, puis de traiter des informations pour en produire du sens. Pour bien comprendre cette fonction essentielle, Valérie Camos évoque une situation que bon nombre d’entre nous aura vécue: «Etes-vous déjà allé au supermarché sans une liste en pensant que vous vous souviendriez de tout ce dont vous avez besoin… Mais quand vous rentrez à la maison vous découvrez que vous avez oublié plusieurs articles?».
Contrairement à une pile, plus elle est entraînée, moins la MT s’use. Elle a tout d’une grande sportive: elle aime être sollicitée et n’en aura que plus d’endurance, capable qu’elle est d’endurer au quotidien la gestion de milliers d’informations. Les tests et diagnostics en cabinets de psychologue révèlent qu’elle peut, simultanément, gérer le stockage et le traitement de 1 à 4 informations: des épreuves couramment utilisées dans les tests d’intelligence et qui présagent de nos performances à de très nombreuses tâches cognitives ou des apprentissages scolaires chez les enfants. En laboratoire, un scan plus fin et en profondeur de ces mécanismes est réalisé à l’aide de programmes informatiques et aboutit à de plus riches enseignements sur le fonctionnement de la MT.
Du premier au troisième âge
«Nous sommes des êtres voués au déclin; il n’en va pas autrement de la mémoire de travail.» Et la chercheuse française, faite chevalier dans l’Ordre national du mérite, de préciser le mécanisme de cette grandeur et décadence: «Les capacités de la MT explosent de manière exponentielle de la naissance jusqu’à l’âge de 15 ans environ. Un déclin peu significatif commence à s’amorcer à l’approche des 25 ans, mais la pente s’accentue à l’aube du troisième âge». C’est pourquoi, si ses recherches conjointes avec le Professeur Pierre Barrouillet de l’Université de Genève se sont souvent penchées sur les mécanismes de la MT chez l’enfant, ses prochaines démarches vont s’atteler à comprendre son déclin chez les personnes âgées: identifier la source du déficit, le fonctionnement du déclin et trouver des solutions pour y pallier.
Pour ce faire, Valérie Camos se trouvera au centre d’un ambitieux programme qui vient de recevoir un subside colossal pour une recherche en sciences humaines de la part du fonds de recherche britannique ESRC: 1.15 millions de pounds (1.62 millions de francs) sur 4 ans. L’objectif? Réunir des équipes de chercheurs britanniques, américains et suisses, ayant développé trois théories différentes; les opposer, reprendre chacune des hypothèses de base et faire surgir de cette confrontation directe un seul et unique modèle, global celui-ci. Les Professeurs Camos et Barrouillet devront donc accorder leur modèle TBRS, pour Time-Based Resource Sharing, avec le modèle britannique du Professeur Logie, qui postule que la MT est la somme du fonctionnement indépendant de divers modules, gérant chacun une fonction cognitive, et le modèle américain du Professeur Cowan qui, comme le TBRS, établit un lien entre la capacité d’attention et la MT.
Unifier la théorie pour mieux agir
Les bénéfices? «Ils sont colossaux, dans une société où l’on vit de plus en plus âgé. D’une part la recherche fondamentale y gagnera en cohérence, chacun s’enrichissant des compétences spécialisées de l’autre, et la recherche appliquée profitera du concours d’une sommité mondiale du vieillissement, le Professeur américain Naveh-Benjamin.» Quant aux personnes âgées elles-mêmes, au-delà d’efforts importants de communication qui font partie intégrante du programme, la chercheuse estime que, dans un court terme, le personnel travaillant à leur rééducation sera mieux armé pour adapter son intervention au cas unique de chaque individu, alors que dans le moyen terme un catalogue de bonnes pratiques pourrait voir le jour et atténuer les effets du vieillissement sur la MT.
Un enjeu majeur lorsqu’on pense aux générations futures, hyper connectées, qui confrontent précocement leur Mémoire de Travail à un zapping d’informations, alors que, pour développer son endurance, la meilleure pratique reste de focaliser son attention. Un travail d’avenir donc, qui démarrera dès la rentrée de septembre avec l’engagement d’un post-doctorant supplémentaire à l’Université de Fribourg.
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