Afin d’évaluer la santé des océans, un groupe de recherche en géosciences de l’Université de Fribourg étudie les foraminifères benthiques dans les eaux des Maldives. Ces micro-organismes sont considérés comme de véritables baromètres des fonds marins.
Le contraste est saisissant: tandis qu’une nappe de brouillard grisâtre vient s’échouer contre les fenêtres du bureau de Silvia Spezzaferri, sur l’écran d’ordinateur de la micro-paléontologue italienne défilent des images d’eaux turquoises et de poissons aux couleurs chatoyantes. Des photos paradisiaques, souvenirs d’une mission scientifique aux Maldives en avril 2015, qui ont de quoi faire des envieux: «Nos collègues nous appellent les géotouristes, avoue la chercheuse, mais même si l’endroit fait rêver, il n’y a pas eu de place pour la détente.»
Et pour cause! Ce voyage dans l’Océan indien avait pour but de comparer l’état de santé de plusieurs sites marins, certains proches de villages ou de complexes touristiques et d’autres plus éloignés de l’activité humaine.
Les foraminifères sont d’excellents bio-indicateurs
Bien spécifique, la méthodologie de travail du Département de géosciences consiste à étudier les foraminifères, des organismes marins pourvus d’une coquille en carbonate de calcium. Ceux-ci s’avèrent particulièrement utiles pour mesurer la pollution de l’eau et surveiller l’évolution des fonds marins.
On les trouve dans toutes les mers, de l’équateur aux pôles, des rivages côtiers aux plus grandes profondeurs. Ces êtres unicellulaires vivent dans les premiers centimètres des fonds marins. «Dans une poignée de sable, il en existe des milliers, explique Silvia Spezzaferri; ainsi, même en prélevant de très petites quantités de sédiments, nous pouvons déjà procéder à des analyses statistiques pertinentes.»
Une fois recueillis, les foraminifères sont traités à l’alcool, pour fixer la matière organique, puis déterminés au microscope binoculaire. Leur coquille, appelée «test» dans le jargon scientifique, contient des traces de nombreux éléments chimiques, ce qui permet de retracer l’évolution du milieu ambiant.
Du fait de leur cycle de vie très bref, la population des foraminifères fluctue très rapidement: «Si la qualité de l’eau se détériore, certaines espèces vont disparaître, d’autres en revanche, plus opportunistes, vont subsister. On peut ainsi déterminer l’état de santé des écosystèmes marins.»
Une méthode simple et respectueuse des fonds marins
Analyser statistiquement les échantillons de foraminifères se révèle beaucoup moins onéreux que les analyses géochimiques classiques. Akram El Kateb, doctorant au Département de géosciences, ne tarit d’ailleurs pas d’éloges à l’égard de cette méthode: «C’est génial! Il suffit d’un peu de sédiment, d’un tamis et d’un microscope binoculaire. Les analyses géochimiques, quant à elles, requièrent des machines qui coûtent plusieurs centaines de milliers de francs.»
Pour ne rien gâcher, l’impact de cette méthode sur l’environnement est moindre: «Des plongeurs prélèvent les échantillons à une dizaine de mètres de profondeur, sans toucher aux coraux», explique Silvia Spezzaferri.
Un projet pédagogique également
Dire que la santé des océans est essentielle pour l’avenir de l’humanité est une lapalissade, quand on sait que les moyens d’existence de 12% de la population mondiale dépendent directement de la pêche et de l’aquaculture. Aussi, la mission aux Maldives du groupe de géosciences de l’Université de Fribourg, subventionnée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), ne se limite pas à un contrôle sanitaire des fonds marins, mais comprend également un volet éducatif: «Nous formons des citizenscientists, explique Silvia Spezzaferri, nous sensibilisons les jeunes à l’importance de la préservation des écosystèmes marins. Nous leur avons enseigné comment étudier les coraux, les poissons et, bien entendu, les foraminifères.»
Suite et pas fin
Bien que ce projet scientifique ne soit pas encore complètement terminé, les premières observations permettent déjà de conclure que les récifs étudiés sont en bonne santé, qu’ils soient à proximité de sites d’activités humaines ou plus éloignés. Unique micro-paléontologue travaillant sur les foraminifères en Suisse, Silvia Spezzaferri, n’a désormais plus qu’un seul rêve: celui de retourner dans les Maldives pour y poursuivre ses recherches. Pas encore gagnée par l’ivresse des profondeurs, elle sait, toutefois, qu’il est plus difficile de trouver des financements que de recueillir des foraminifères, même par milliers.
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Film: Akram el Kateb, Unicom Christian Doninelli
Photos: ©Akram el Kateb
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