Quelques semaines pour lire une quinzaine d’ouvrages, dépasser la théorie pour appliquer un vrai regard critique sur l’actualité littéraire, défendre son point de vue et argumenter au-delà de son premier sentiment: voilà le défi que lance aux étudiants la «Liste Goncourt, le choix de la Suisse». Cinq étudiants fribourgeois partagent avec nous cette expérience hors du commun.
Mardi 8 novembre 2016, quelques heures avant le résultat des élections présidentielles américaines. L’air est glacial, les premiers flocons débarquent et l’appréhension commence à se faire sentir. Mais pour moi, ce soir, l’esprit est ailleurs, comme encore habité par la chaleur de la Maison de France. Consciente d’avoir vécu une soirée particulière, je déguste avec délice les images de la réception: les tapis moelleux, les natures mortes dans leurs cadres dorés, les meubles anciens et les invités charmants. Je me replonge dans cette ambiance chaleureuse et capitonnée, le sourire encore accroché aux lèvres au souvenir des diverses plaisanteries énoncées. Je revois la petite foule composée d’étudiants, de professeurs, de journalistes, de personnes toutes différentes réunies autour du même objet et me demande par quel miracle la lecture, une activité pourtant solitaire, a pu réunir autant d’individus au même endroit.
Appel à l’engagement
Je me remémore les discours, termine de digérer toutes ces dorures et cette magie verbale, reprends mes esprits pour me recentrer sur les objectifs de l’admirable projet auquel nous avons participé.
Encourager la diffusion de la littérature contemporaine francophone, titiller la curiosité des potentiels lecteurs, inciter à découvrir, à prendre du plaisir, à critiquer, à s’exprimer, à réfléchir, mais surtout à s’engager, à s’enflammer, à partager cet amour des mots qui nous avait fait nous rencontrer. Et de cette rencontre finalement, qu’en ressort-il? Des visages satisfaits et l’énorme envie de réitérer l’expérience: tous en veulent plus, sont émerveillés par l’énergie dégagée d’abord par des participants isolés, puis par l’ensemble de la foule, cette énergie qui nous a tous maintenus unis au long de cette course littéraire.
A l’annonce du lauréat, je vois plusieurs sourires se dessiner: l’œuvre de Catherine Cusset, L’Autre qu’on adorait, nous avait séduits par la richesse de son réseau de références et par son personnage principal aussi troublant que fascinant.
Les twitts fusent, la page facebook de l’Ambassade de France en Suisse est mise à jour: l’appel est lancé et avec lui l’espoir que d’autres universités s’engagent dans l’aventure.
Désintéressement
Après un rapide tour de salle et quelques conversations enjouées, je comprends qu’au-delà de notre intérêt commun pour la langue, notre présence se traduisait surtout par une volonté toute désintéressée de construire ensemble quelque chose de parallèle à la vie académique et au monde du travail, une volonté de redécouvrir la littérature pour la littérature, hors de tout cursus, de toute obligation et de ranimer cet appétit qui avait poussé chacun de nous dans la voie des Lettres.
Ce que j’en retiens? La grisante sensation d’avoir mis un pied dans le monde des «Grands» de ma place d’étudiante et d’avoir touché du bout des doigts un rêve de petite fille. Il est minuit passé, nous sommes déjà demain, mais ni la fatigue ni le froid ne peuvent effacer les fourmillements d’excitation qui me vrillent les doigts, après la révélation exquise que nos opinions d’universitaires avaient suscité surprise et intérêt.
Je repense à tous ces étudiants qui, comme moi, avaient perdu la motivation de lire pour le seul plaisir de le faire et remercie toutes celles et tous ceux qui, par leur implication, m’ont permis de retrouver cette petite flamme que la rigueur académique avait essoufflée. «Engagez-vous, qu’ils disaient»! En ce qui me concerne, j’espère juste avoir la chance de me réengager.
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Lancée l’an dernier à l’instigation du Professeur Robert Kopp, la «Liste Goncourt, le choix de la Suisse» reçoit le soutien de l’Académie Goncourt, de l’Ambassade de France en Suisse, de l’Agence universitaire de la Francophonie, de la librairie Payot et de la Fondation Catherine Gide.
Cette année, cinq universités suisses se sont laissé séduire par ce projet qui promeut tant la lecture que les littératures françaises et francophones. Grâce à leur motivation et à l’engagement des Professeurs Regina Bollhalder, Thomas Hunkeler, Thomas Klinkert et Loris Petris, les étudiants des Universités de la Suisse italienne, de Berne, de Fribourg, de Zurich et de Neuchâtel vont débattre et élire leur lauréat à partir de la liste établie par l’Académie Goncourt. Le vainqueur sera dévoilé le 8 novembre à Berne, en présence de l’ambassadeur de France et d’un membre de l’Académie Goncourt.
- Prix Goncourt: L’ouvrage qu’ils adoraient - 22.11.2016