Prix Goncourt: Un lieu mystérieux

Prix Goncourt: Un lieu mystérieux

Quelques semaines pour lire une quinzaine d’ouvrages, dépasser la théorie pour appliquer un vrai regard critique sur l’actualité littéraire, défendre son point de vue et argumenter au-delà de son premier sentiment: voilà le défi que lance aux étudiants la «Liste Goncourt, le choix de la Suisse». Cinq étudiants fribourgeois partagent avec nous cette expérience hors du commun.

Le détour d’une rue, un collège, le 22 rue Saint-Pierre Canisius… Oui, j’y suis. La bibliothèque de pédagogie curative se tient là, devant moi, prête à m’ouvrir ses portes vitrées et à me dévoiler ses secrets.

Une personne attend déjà, les autres arrivent. Une légère avance sur l’heure prévue. La réunion au sommet va débuter. Un badge nous donne l’accès à la salle mystérieuse qui nous accueille enfin, étudiants de littérature francophone, profanes en ce lieu mystique de la pédagogie. Il est temps de s’approprier les lieux. On bouscule l’ordre établi en déplaçant tables et chaises, afin de nous se réunir en cercle autour d’une table rectangle (et oui tout est possible en ce lieu) et d’entamer nos débats passionnés.

Faire entendre sa voix

Une légère boule au ventre me taraude à l’instant où la réunion s’ouvre officiellement. Une certaine tension est palpable. Après des semaines de lectures marathoniennes, de débats enflammés, une première sélection discutée et discutable, il est temps d’entamer le sprint final. Les ultimes débats, le dernier moment pour faire entendre sa voix. Est-ce que je serai à la hauteur de l’évènement? Est-ce que je saurai émettre mes avis et convaincre?

Les premières phrases ont de la peine à se former. Les visages se crispent, on ressent l’envie de s’exprimer, mais la crainte de se jeter à l’eau. Dans chaque tête, les lectures se déroulent une énième fois. Chacun a ses préférences, ses coups de cœur et de gueule. Par où commencer? Comment organiser les débats? Les offensives finissent par se former, la défense s’organise. Je sens qu’il est temps, que je vais pouvoir émettre un avis, m’insérer dans les échanges naissants. Là! Je saisis l’opportunité, expose une idée… Ça y est. Oui, ça y est, je le ressens ce plaisir diffus de parler littérature. Ce bonheur de parvenir à construire une pensée en parlant d’un livre et d’avoir les outils nécessaires pour se dresser contre d’autres avis. Les mots coulent, mon angoisse disparaît et je clos mon intervention avec une sérénité retrouvée. Je me sens en phase avec moi-même, avec ma pensée.

Une belle aventure

Très vite, l’échange s’intensifie, les avis divergent parfois, mais commencent rapidement à converger. Des majorités l’emportent, malgré les positions isolées qui s’y opposent vivement. A chacune de mes interventions, je me sens un peu plus à l’aise, à ma place parmi ces amateurs de lecture. Aimer lire, c’est beau. Pouvoir partager avec d’autres passionnés l’est encore plus! J’apprécie la vision de chacun et respecte les déchaînements intenses dont certains font preuve. Je comprends que chaque livre nous a touchés à des degrés divers. Qu’on ait aimé ou détesté, aucune œuvre ne nous a laissés totalement indifférents. C’est ce qui me semble admirablement intéressant.

Alors, je comprends que le but de cette aventure dépasse grandement la remise d’un simple prix. Un prix décerné, ce n’est rien, juste un avis final, qui ne traduit pas toute la richesse de l’aventure. Peu importe le résultat, il ne sera qu’un simple nom au sommet d’une liste, qui ne révèlera rien de ces instants privilégiés d’échanges. Découvrir la pointe de la littérature actuelle, se former à la critique, se plonger dans des lectures qui nous séduisent ou nous révulsent, explorer, s’enrichir, voilà quelques facettes de notre aventure. Une entreprise humaine et littéraire fondée sur l’échange, la curiosité, la rigueur et surtout le plaisir!

__________

Lancée l’an dernier à l’instigation du Professeur Robert Kopp, la «Liste Goncourt, le choix de la Suisse» ​reçoit le soutien de l’Académie Goncourt, de l’Ambassade de France en Suisse, de l’Agence universitaire de la Francophonie, de la librairie Payot et de la Fondation Catherine Gide.
Cette année, cinq universités suisses se sont laissé séduire par ce projet qui promeut tant la lecture que les littératures françaises et francophones. Grâce à leur motivation et à l’engagement des Professeurs ​Regina Bollhalder, Thomas Hunkeler, Thomas Klinkert et Loris Petris, les étudiants des universités de la Suisse Italienne, de Berne, de Fribourg, de Zürich et de Neuchâtel vont débattre et élire leur lauréat à partir de la liste établie par l’Académie Goncourt. Le vainqueur sera dévoilé le 8 novembre à Berne, en présence de l’ambassadeur de France et d’un membre de l’Académie Goncourt.

Les derniers articles par Lucien Zumhoffen (tout voir)

Author

Est étudiant en français et histoire contemporaine à l’Université de Fribourg. En parallèle de ses études, il est danseur et participe à de multiples projets artistiques.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *