Prendre place dans son véhicule et profiter du voyage pour lire un bon livre. Ce sera bientôt possible si l’on en croit l’évolution des véhicules connectés. Mais cela pose de nombreux problèmes juridiques. A qui incombera la responsabilité civile en cas d’accident ? Eclairage du Professeur Franz Werro, spécialiste de droit privé.
Quelles sont les nouvelles technologies mises à disposition sur les véhicules aujourd’hui ?
En tant que juriste, je ne suis pas versé dans la technologie, mais je vois essentiellement des systèmes d’assistance partielle, intégrés dans le véhicule – caméras de recul, assistance au parcage ou dans le démarrage en côte, etc. – et des systèmes de conduite autonomes, assurant de l’extérieur le guidage électronique du véhicule – GPS et pilotage électronique à distance. C’est par rapport à ces systèmes de conduite qu’on parle de véhicules connectés. Ceux-ci relèguent le rôle du conducteur à l’arrière-plan, au point qu’on envisage maintenant des véhicules sans conducteur.
En quoi ces nouveautés posent elles des problèmes de droit ?
A mon avis, les systèmes d’assistance partielle ne posent pas de problème juridique spécifique. En droit de la responsabilité civile, le détenteur répond des défectuosités de son véhicule, même si celles-ci trouvent leur cause dans le défaut d’un produit intégré dans le véhicule. Les systèmes d’assistance partielle ne remettent, ainsi, pas en cause la responsabilité (sans faute) du détenteur. Au besoin, le détenteur du véhicule (ou son assureur) pourra se retourner contre le fabricant pour les défauts du produit ayant causé un dommage à autrui.
Est-ce aussi valable pour les véhicules connectés?
Il pourrait en aller différemment pour les véhicules connectés. Dans ces véhicules, on envisage de remplacer le conducteur par l’ordinateur. A la limite, le conducteur pourra prendre place à l’arrière de son véhicule et lire le journal. Cette évolution remet en cause les prémisses de la responsabilité civile, telle qu’on la connaît aujourd’hui. On pourrait ainsi se demander s’il convient de maintenir la responsabilité civile du détenteur du véhicule automobile ou s’il ne faut pas plutôt la transférer à l’exploitant du système électronique de pilotage. En effet, actuellement, le système de la responsabilité est fondé sur le risque lié à l’emploi d’un véhicule automobile, mais il repose sur l’idée que c’est la conduite humaine défaillante qui est à l’origine des accidents. A partir du moment où l’ordinateur remplace la conduite humaine dans la conduite de l’automobile, la réalité n’est plus la même. Pour ces véhicules connectés, il se pose également d’assez nombreuses questions de droit administratif, notamment en relation avec leur homologation.
Existe-t-il déjà des réponses à ces problèmes ?
Les changements législatifs n’ont pas encore vu le jour, mais on y songe. Tenant compte de l’évolution qui se dessine, la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) a annoncé, le 23 mars dernier, une révision de la Convention de Vienne sur la circulation routière qui prévoit, notamment, que tout véhicule ou ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur. En l’état, cette révision devrait autoriser les systèmes de conduite automatisée sur les routes, à condition qu’ils soient conformes aux règlements sur les véhicules des Nations unies. Pour le moment, toutefois, seuls les systèmes qui fonctionnent sous le contrôle permanent du conducteur – qui doit pouvoir les désactiver – figureront sur la liste des systèmes autorisés par l’ONU. Il semble, en revanche, que les voitures totalement autonomes devront encore attendre.
Si ce n’est pas le cas, quelles démarches doivent être entreprises ?
Un dialogue accru doit avoir lieu entre les milieux concernés. Les juristes doivent prendre la mesure des changements en cours. Les assureurs, en particulier, auront à trouver les solutions les plus avantageuses. Avec le maintien de la responsabilité du détenteur pour les véhicules connectés, on risque de multiplier les recours de ce dernier contre les exploitants de commandes à distance. Il faudra voir s’il n’est pas préférable d’éviter ces recours et de simplifier ainsi le contentieux. En tout état de cause, il ne saurait être question de mettre en péril la protection des victimes d’accidents de la route et d’affaiblir les moyens juridiques dont elles disposent aujourd’hui. Sur le plan éthique aussi, il faudra se demander comment résoudre les dilemmes que pourrait causer l’emploi des véhicules connectés. J’imagine que ce ne sera pas une tâche aisée. Par exemple, on devra se demander si le véhicule doit mettre en péril l’intégrité physique d’un piéton sur la trajectoire du véhicule ou celle de ses passagers, en déviant cette trajectoire à leur détriment.
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