Même s’il ne figure pas en aussi bonne place que Marignan dans les manuels scolaires, le traité de «paix perpétuelle», paraphé le 29 novembre 1516 à Fribourg, va jouer un rôle crucial dans l’histoire de notre pays. Il instaure des relations privilégiées avec la France qui dureront jusqu’à la Révolution française. On célèbre cette année son 500e anniversaire.
C’est une date que tous les écoliers ont dû apprendre: en 1515, sur le champ de bataille de Marignan, François Ier met en déroute les armées confédérées. Le traité dit de «paix perpétuelle» qui en découle, malgré son extrême importance pour la Suisse, n’occupe sans doute pas la place qui lui siérait dans les programmes d’enseignement. Et pourtant! A de nombreux égards, celui-ci va façonner le devenir de la Confédération helvétique. Claire Gantet, professeure associée d’histoire moderne à l’Université de Fribourg, nous en explique la portée.
Pourquoi est-ce que le traité de «paix perpétuelle» reste si largement méconnu du grand public?
De façon générale, les traités de paix sont moins commémorés que les défaites ou les victoires. Là, en l’occurrence, dans une Suisse divisée en treize cantons, le traité de Fribourg ne fait à l’époque pas l’objet d’une politique mémorielle particulière. Sans compter qu’il sera sans cesse contesté et renégocié. Ce traité n’est pas aussi limpide qu’on voudrait bien le faire croire de nos jours.
Quels en sont les points litigieux?
En paraphant ce traité, François Ier s’engage à verser 2000 francs à chacun des cantons suisses. Or, cette promesse ne sera pas tenue, ce qui va générer de nombreuses réclamations. De leur côté, bien que les Suisses promettent de ne plus mettre à disposition des mercenaires pour les armées du Saint-Empire romain germanique, ils vont continuer à le faire.
Malgré tout, cet acte mérite-t-il son titre de traité de «paix perpétuelle»?
Cette appellation n’est pas usurpée: par sa forme, le traité de Fribourg est un traité de paix perpétuelle. Mais on ne saurait affirmer que ce traité consacre à jamais la paix entre la France et la Suisse. Il faut vraiment nuancer cette vision. En 1798, quand la France envahit la Confédération, ce traité cesse de facto d’exister.
Qu’apporte-t-il à la Suisse?
Tout d’abord, ce traité instaure une situation de paix avec la France. Il contient également d’importantes clauses économiques. Comme il a requis de longues négociations et de fréquentes réclamations, il a certainement contribué à la cohésion des cantons. Il faut souligner qu’il constitue l’unique traité signé par tous les Confédérés.
Est-ce à cette occasion que la Suisse devient neutre?
Le point de départ de la neutralité suisse est difficile à dater. C’est sans doute un jalon, mais ce n’est ni le premier ni le dernier. La neutralité a sans cesse été renégociée. Le congrès de Vienne, en 1815, viendra définitivement la consacrer.
Comment se fait-il que les Confédérés reçoivent une indemnisation de François Ier alors qu’ils ont été défaits?
Les clauses de la paix de Fribourg sont plutôt favorables aux Confédérés compte tenu de leur situation militaire. François Ier a tout intérêt à garder les Suisses comme alliés dans un équilibre de puissance face au Saint-Empire. Il a aussi besoin des mercenaires, sans compter qu’il n’aurait pas les moyens militaires et politiques d’écraser la Suisse.
Pourquoi le traité a-t-il été signé à Fribourg?
Fribourg, un canton nouveau venu dans la Confédération helvétique, est en partie francophone, alors que les autres cantons sont germanophones. C’est évidemment un avantage pour négocier avec le roi de France. De plus, Fribourg s’entend bien avec les cantons-villes de Berne et de Zurich qui vont basculer dans la Réforme, Fribourg restant catholique. Cela permet à Fribourg de jouer le rôle d’intermédiaire avec la France.
Sur le plan logistique, comment se passe cette conférence pour la paix?
On ne le sait pas vraiment. Tous les ambassadeurs viennent avec leur suite et doivent financer eux-mêmes leur mission. Leur situation s’avère précaire car ils ne disposent pas de l’immunité et peuvent donc se voir disgracier par leur souverain. Comme les Etats ne sont pas encore très institutionnalisés, tout paraît plutôt bricolé. Les négociations induisent généralement toute une sociabilité. Des comédiens et des interprètes convergent vers les villes qui accueillent des congrès de paix. C’est très vivant!
Comment le traité de Fribourg est-il aujourd’hui perçu en France?
En France, la grande date, incontestablement, reste Marignan. François Ier célèbre tout de suite cette victoire, puis fait construire la galerie du château royal de Fontainebleau. Par la suite, tous les manuels scolaires reprendront 1515, une date facile à retenir. Marignan écrase donc la paix de Fribourg, qui ne joue dans la mémoire collective qu’un rôle marginal.
Pour commémorer la «paix perpétuelle», l’Université de Fribourg organise un colloque le 30 novembre avec les Archives d’Etat de Fribourg. Est-ce que tout n’a pas déjà été dit sur ce traité?
En histoire, rien n’est jamais complètement dit: l’histoire est une science, un chantier, une discussion! Le colloque nous livrera beaucoup de nouvelles informations, je pense, sur le déroulement des négociations à l’échelle locale, régionale, internationale – et, bien sûr, aussi sur l’image des soldats suisses. De plus, le traité fribourgeois sera montré dans une exposition gratuite!
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