Modéliser les raisons qui poussent au djihad pour mieux cerner d’éventuelles solutions? Yaël Mento, étudiante en gestion d’entreprise, partage ses impressions au sujet d’une conférence qui a eu lieu lors des Journées de l’économie à Lyon, les 8 et 9 novembre 2016.
Un sujet aussi proche de l’actualité m’a tout de suite interpellée. J’ai d’ailleurs pu constater tout au long de ces deux jours que c’est un thème récurrent et une grande préoccupation du peuple français.
Ce qui m’a d’abord surprise, c’est l’énorme quantité d’informations que le premier intervenant, le Professeur Diego Gambetta de l’European University Institute de Florence, a réussi à recueillir durant 10 ans sur les djihadistes enrôlés dans les pays musulmans mais également européens. De tels renseignements sont difficiles à récolter, car ces membres de groupes djihadistes ne collaborent pas facilement. Nous savons également que ces individus manipulent les informations qu’ils donnent à la population et aux médias. Il y a donc un risque énorme de biais sur ces données.
Cependant, les recherches du Professeur Gambetta permettent de renforcer une idée déjà présente dans les esprits en Europe: les individus recrutés dans nos pays sont principalement des hommes avec peu de formation et ce qu’on peut appeler des individus marginaux. Salah Abdeslam, le terroriste impliqué dans les attentats de Paris du 13 novembre 2015, en est l’archétype même.
Beaucoup d’informations et de nombreuses questions
Peu de surprises jusqu’ici. Cependant, une autre observation, d’autant plus alarmante, a été soulevée: il semblerait qu’il y ait une proportion plus élevée de recrues qui ont suivi des études secondaires dans les pays musulmans qu’en Europe. Les chiffres présentés par le Professeur Gambetta montrent qu’ils sont deux fois plus élevés que pour les recrues européens
Cela soulève un grand nombre de questions, notamment sur la manière dont cette organisation réussit à attirer ces deux extrêmes et, surtout, si nous devons nous attendre à un changement dans les profils des recrues européennes? Ou, peut-être, arrivera-t-on à limiter le recrutement de tout individu pour ne pas voir un tel phénomène se produire?
Des décisions rationnelles
Pour cette dernière question, le deuxième intervenant, le Professeur Jean-Paul Azam de l’Ecole d’économie de Toulouse, a réussi, grâce à un modèle qui explique les motivations des recrues de Daesh, à donner un élément de réponse assez pertinent.
Le modèle qu’il a créé essaye de montrer les choix rationnels des recrues de Daesh. Il se compose de trois valeurs primordiales: la première est celle de la valeur d’une attaque sanguinaire pour l’individu. Elle dépend d’un indice médiatique, c’est-à-dire que nous allons déterminer si l’individu ressent un plaisir pervers pour la violence sanguinaire qu’il perçoit via les réseaux sociaux ou d’autres plateformes médiatiques. Nous pouvons en effet facilement l’envisager, notamment avec les vidéos de décapitations d’otages qui ont été diffusées par l’Etat islamique ces dernières années.
La deuxième est la valeur de mourir maintenant sur les lieux décrits dans l’Apocalypse, qui est une fonction décroissante du temps qu’il reste avant la fin du monde. En d’autres termes, plus la fin du monde est proche, plus il est important pour les partisans du groupe de venir se faire tuer sur le lieu où va se produire l’ultime bataille entre les byzantins (qui représentent les USA et leurs alliés) et les musulmans, afin de se trouver au début de la «file» pour le jugement dernier.
La troisième est l’utilité de réservation, c’est-à-dire la valeur d’une vie tranquille loin du djihadisme et de la violence.
On en déduit qu’un individu rejoindra le djihad si la somme de l’utilité de la valeur d’une attaque sanguinaire et de la valeur de mourir maintenant sur les lieux décrits dans l’Apocalypse est supérieure à celle d’une vie tranquille loin du djihadisme.
Déplacer les curseurs
Ce modèle permet une avancée importante dans la perception du djihadisme car il permet de rationaliser une décision qui, pour nous, est totalement irrationnelle. Il est important de ne pas sous-estimer l’appel aux émotions de leaders comme ceux de Daesh. C’est en comprenant mieux leurs stratégies que nous pourrons mieux les combattre.
Il permet également de montrer que ces différentes valeurs ne sont pas fixes et qu’il y a un moyen de faire diminuer l’emprise des leaders de Daesh, par exemple, en discréditant leurs dires concernant la fin du monde. Ce qui aurait comme conséquence d’éloigner temporellement l’Apocalypse et donc la nécessité de se trouver proche du lieu de celle-ci.
Une autre façon de démotiver les individus de rejoindre l’Etat islamique est de faire augmenter la troisième valeur, qui est celle de rester tranquillement chez soi, loin de la violence et du djihadisme, en créant, par exemple, des emplois ou en améliorant les conditions de vie de la tranche de population la plus défavorisée. C’est probablement un des éléments sur lequel nous avons le plus de chance d’avoir un impact positif sur ces jeunes, mais c’est aussi un problème qui existe depuis longtemps et auquel nous n’avons toujours pas trouvé de solution.
Ce modèle qui m’a amenée à beaucoup réfléchir aux derniers événements en lien avec le terrorisme et à ce qui a été mis en œuvre jusqu’ici pour essayer de limiter le recrutement des jeunes. Malheureusement, nous voyons que c’est un sujet très complexe et qu’une solution unique n’existe pas. C’est pourquoi, il est important de ne pas se décourager et de voir que la clé n’est pas toujours la force militaire mais peut être une restructuration de notre économie.
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- La Fachschaft CESES organise un nouveau voyage de quatre jours, du 6 au 9 novembre 2017, aux Journées de l’économie à Lyon. Les inscriptions sont complètes.
- Site des Journées de l’économie
- Djihadisme – modéliser pour comprendre - 09.10.2017