Depuis l’Antiquité, les Béotiens traînent une réputation de campagnards grossiers. Un colloque international, organisé à l’Université de Fribourg du 7 au 9 juin s’attache à dépoussiérer ces clichés en examinant les relations que le plus ancien état fédéral de l’Histoire entretenait avec ses voisins. Fabienne Marchand, professeure à l’Institut du monde antique et byzantin, répond à nos questions.
Commençons par un cliché… Ce qu’il reste de la Béotie tient souvent dans l’adjectif béotien, synonyme de grossier et d’inculte… D’où vient cette cruelle réputation?
La Béotie est une région rurale de Grèce centrale dont l’économie repose largement sur l’agriculture, ce qui lui a valu bien des quolibets, notamment de la part des Athéniens. Le cliché du «cochon béotien» a la vie dure et a connu une fortune bien au-delà de l’Antiquité, puisqu’on l’entend encore aujourd’hui! ll existait déjà au début du Ve siècle av. J.-C. On en trouve en effet une mention chez le poète d’origine béotienne Pindare, qui le présente dans sa VIe Olympique comme un topos déjà ancien. Quant au poète comique athénien Aristophane, il a fait du Béotien un personnage de comédie ridicule aisément identifiable à son accent particulièrement lourd. Par contre, on met moins souvent en évidence d’autres aspects de la Béotie, comme l’excellente réputation de ses musiciens ou les quelques décennies du IVe siècle av. J.-C. au cours desquelles Thèbes atteignit le statut de puissance dominante en Grèce.
La région a connu de nombreuses vicissitudes…
En raison de sa position géographique et de sa topographie – une grande plaine – la Béotie fut le théâtre de nombreuses batailles dans l’Antiquité, si bien que le général thébain du IVe siècle av. J.-C. Epaminondas aurait qualifié la région de «piste de danse du dieu de la guerre Arès». Parmi ces fameuses batailles on peut citer celles de Platées, qui mit définitivement fin en 479 aux guerres médiques avec une victoire des Grecs sur les Perses, et celle de Chéronée en 338, qui vit, cette fois, une coalition d’états grecs être défaite par le roi Philippe II de Macédoine, secondé par son fils Alexandre le Grand. C’est d’ailleurs ce dernier qui, trois ans plus tard, en 335 fit détruire la cité béotienne de Thèbes, qui s’était révoltée contre lui, et réduisit en esclavage ses habitants.
Bien qu’essentiel dans l’histoire de la Béotie, cet aspect militaire ne sera évoqué que marginalement dans le cadre du colloque international que j’organise au mois de juin. En revanche les thèmes de conflit et de violence en Grèce centrale seront discutés lors d’un workshop international intitulé «The Dancing Floor of Ares: Local Violence and Regional Conflict in Central Greece» que j’organise avec le Professeur Hans Beck à l’Université de McGill à Montréal au mois de novembre prochain.
Elle a connu aussi une structure politique relativement similaire à la Suisse…
La Béotie s’est en effet organisée très tôt en confédération dès le VIe siècle av. J.-C., ce qui lui vaut le statut de plus ancien état fédéral. La Confédération béotienne – et en particulier ses institutions politiques et militaires – ont intéressé bon nombre d’historiens depuis de nombreuses décennies, de même que la question de l’ethnicité des Béotiens, leur dialecte et encore leurs cultes. La recherche en études béotiennes a donc connu une approche très ethnocentriste. J’ai choisi d’étudier cette région en adoptant une perspective inédite, celle des relations que cette région a entretenues avec diverses puissances étrangères, notamment les rois hellénistiques montés en puissance après la mort d’Alexandre le Grand et, plus tard, les Romains. J’ai eu la grande chance d’obtenir un financement du Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique pour un projet de professeur boursier consacré à ce thème, ce qui m’a conduite à rejoindre l’Université de Fribourg à l’automne 2014 après un séjour de neuf années en Angleterre.
Votre colloque portera en particulier sur les relations que la Béotie entretenait avec ses voisins. Qu’avaient-elles de particulier?
Tout à fait, en particulier la première journée. Le premier voisin qui vient à l’esprit est, bien entendu, Athènes, avec laquelle la Béotie a construit des relations complexes. Pas moins de trois conférences sont consacrées à ce sujet. D’autres régions seront également discutées, telles la Locride, la Thessalie, et, de l’autre côté du golfe corinthien, le Péloponnèse. Les contacts avec ces voisins plus ou moins puissants ont été modelés en fonction de facteurs politiques, géographiques et historiques, car les relations se transforment considérablement au cours des siècles. Pour discuter de ces relations de voisinage particulières, j’ai également invité des spécialistes des régions limitrophes de la Béotie à intervenir dans le cadre de ce colloque.
- «Boiotia and the Outside World. Les relations internationales de la Béotie de l’Age du Bronze à l’époque impériale» est le premier colloque international portant sur les études béotiennes à se tenir en Suisse. Il est lié au projet du Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique consacré aux relations internationales de la Béotie et dirigé par la Professeure Fabienne Marchand. Le colloque se veut multidisciplinaire : dix-neuf spécialistes en histoire, archéologie et épigraphie provenant de neuf pays, parmi lesquels les plus éminents dans le domaine des études béotiennes, se déplaceront à Fribourg.
- Il se tiendra du 7 au 9 juin à l’Université de Fribourg, bâtiment de Miséricorde (MIS10, salle 01.13)
- Le mercredi 7 juin, le colloque sera inauguré par une conférence publique du Professeur Hans Beck de la McGill University de Montréal, qui sera suivie d’un vin d’honneur offert par l’Etat et la Ville de Fribourg.
- Photo du une: Mont Hélicon, copyright: Fabienne Marchand
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