«Fribourg a une carte à jouer dans l’alimentation et la nutrition»

«Fribourg a une carte à jouer dans l’alimentation et la nutrition»

De passage récemment à l’Institut Adolphe Merkle, l’ancien président de l’EPFL Patrick Aebischer évoque ses années d’étude à Fribourg, sa ville natale, et les possibilités de développement de son Université dans un contexte concurrentiel.

Chercheur, professeur, président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) pendant dix-sept ans, membre d’une foule de conseils d’administration, tels que Nestlé, Lonza, Logitech, président du comité scientifique du Novartis Venture Fund… La liste est loin d’être exhaustive: à 63 ans, après avoir remis les clés de l’EPFL il y a un an, Patrick Aebischer continue de voir toujours plus loin, surtout dans les domaines de l’innovation et du développement stratégique.

Nous l’avons rencontré en décembre dernier, dans les locaux de l’Institut Adolphe Merkle (AMI), où il donnait une conférence-débat pour l’Innovation Club Fribourg. Un retour aux sources, en somme, pour ce polyglotte passionné au verbe truffé d’anglicismes, car c’est sur ce même plateau de Pérolles, trente ans plus tôt, que ce natif de Fribourg découvre sa vocation pour les sciences et son esprit d’entrepreneur.

Après un bac au Collège Saint-Michel, vous avez effectué vos deux premières années de médecine à Fribourg puis, de 1980 à 1982, une partie de votre doctorat à l’Institut de physiologie à Fribourg, en neurophysiologie. Quels souvenirs gardez-vous de cette période?
Le domaine de la neurophysiologie était alors extrêmement pointu. Et déjà très international. On avait un professeur, Mario Wiesendanger, qui revenait des Etats-Unis. C’est à lui que l’on doit l’arrivée des neurosciences à Fribourg. C’était très certainement une poche de haut niveau à l’intérieur de l’Université. C’est là que j’ai découvert le monde de la recherche et que j’ai décidé d’y consacrer le reste de ma vie. En dehors des études, c’est aussi à cette période que j’ai participé, avec d’autres entrepreneurs étudiants, à la création d’une société d’informatique médicale, Datamed, qui existe toujours aujourd’hui. On découvrait alors les mini-ordinateurs et la programmation. J’avais acheté mon premier Apple II. C’était ma première expérience liée à la création de startups, même si on n’utilisait pas ce mot à l’époque.

Le Canton de Fribourg a connu un développement économique plus tardif que Berne et Vaud. SI bien qu’on garde parfois l’image d’un Fribourg un peu à l’étroit entre ses deux imposants voisins.  Ressentiez-vous cela, vous qui avez grandi en Basse-Ville à Fribourg?
Non. D’abord parce que, encore une fois, la neurophysiologie était très développée, ici à Pérolles, mais aussi parce que j’ai eu la chance de grandir dans un milieu familial artistique très ouvert. Mon père (Emile Aebischer, dit «Yoki», ndlr) était un artiste qui avait vécu à Paris et ma mère, Joan O’Boyle, une Anglaise d’origine irlandaise, était proche des milieux artistiques. De par la présence de l’Université à Fribourg, je me rappelle avoir baigné dans une vie intellectuelle. Des professeurs de littérature comme Pierre-Henri Simon ou des chefs d’orchestre comme Armin Jordan et Michel Corboz venaient à la maison. Durant mes années au Collège Saint-Michel, même si j’étais loin d’être un élève modèle au départ, j’étais passionné par la philosophie. Je n’ai ainsi pas le souvenir d’avoir grandi dans une ville de second ordre. C’était naturel pour moi de m’inscrire à l’Université ici, même si j’ai ensuite terminé à Genève et poursuivi aux Etats-Unis.

Comment voyez-vous l’Université de Fribourg aujourd’hui?
L’Université a une taille intéressante, avec près de 10’000 étudiants. La proximité avec les hautes écoles spécialisées est aussi un avantage et quand je vois le développement du plateau de Pérolles ces dernières années, alors qu’on n’y trouvait que deux ou trois bâtiments universitaires durant mes études, les perspectives deviennent passionantes. L’institution a également bien profité des réformes de Bologne. Elle s’est positionnée très rapidement en multipliant les cursus de Bachelor. Elle fournit une excellente formation de base. Par contre, il reste aujourd’hui difficile pour elle de se démarquer pleinement dans la recherche académique. L’un de ses défis, qu’elle relève déjà aujourd’hui, c’est de concentrer ses moyens et trouver des niches qui lui donnent de la visibilité.

A l’image de l’Adolphe Merkle Institut (AMI), centré sur les nanotechnologies?
Exactement, mais également les neurosciences ou la primatologie. Ce sont des domaines où elle est unique. Je pense aussi au droit, en particulier celui de la construction, l’architecture et le génie civil, autant de domaines où Fribourg se démarque. Il faut aussi considérer le tissu économique fribourgeois, moins spécialisé que celui de Neuchâtel, par exemple, avec la micro-technique. Sur Fribourg, l’économie est moins typée, mais il y a des forces. Fribourg a une carte à jouer dans l’alimentation et la nutrition. Le Canton possède une tradition culinaire et une industrie dans ces domaines, avec des entreprises comme Cremo ou Micarna. L’idée, c’est de trouver des points sur lesquels s’appuyer et développer des synergies. Il faut toujours investir là où on est bon.

Quels liens gardez-vous aujourd’hui avec Fribourg ?
J’y ai moins d’attaches, maintenant que mes parents sont décédés, mais je continue de revendiquer mon passé fribourgeois et j’en suis fier. Pour avoir grandi en Basse-Ville, j’ai pour ainsi dire Gottéron (le club hockey de la ville, ndlr) dans le sang. Même lorsque je travaillais aux Etats-Unis, je suivais les résultats du club! Et aujourd’hui, j’aime venir à Fribourg pour voir un match lorsque j’en ai l’occasion. Mon fils cadet n’a pas de lien particulier avec Fribourg et ne jure que par le LHC (Lausanne hockey club, ndlr). C’est d’ailleurs un petit drame familial (rires).

Repères biographiques

  • 1954 Naissance à Fribourg. Il grandit en Basse-Ville.
    1974 Baccalauréat au Collège Saint-Michel.
    1983 Thèse à l’Université de Fribourg, en neurophysiologie.
    1984 Chercheur à l’Université Brown, Rhode Island, Etats-Unis. Il y sera ensuite professeur, avant de diriger la section Organes artificiels, biomatériaux et technologie cellulaire.
    1992 Professeur au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et à l’Université de Lausanne, il dirige la division autonome de chirurgie expérimentale et du centre de thérapie génique.
    2000 Nommé président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
    2017 Quitte la présidence de l’EPFL et redevient professeur, actif, entre autres, dans les domaines de la stratégie et de l’innovation.
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Pierre Koestinger est journaliste indépendant.

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